Traduction par Phan Tom, membre de l’AFFA et autrice du blog comprendre l’autisme, d’un article de Renata Jurkevythz, publié le 22 octobre 2018 dans le magazine australien Spectrumwomen
Il s’agit de mettre en lumière le prix des aménagements intrinsèques au handicap.
Sommaire
Le prix invisible de l’aménagement
Chaque aménagement mis en place pour une personne handicapée, qu’elle soit handicapée physique ou mental, visible ou invisible, est généralement perçue comme quelque chose de « gratuit ». Quelque chose qui est facilitateur pour eux, d’une manière qui ne le serait pas pour une personne sans le dit handicap. Soi-disant il est compris que cela n’est pas un avantage, mais une manière de rendre les choses moins difficiles, ou juste possible, pour quelqu’un qui lutte déjà avec des choses qui sont prises pour acquises par autrui.
Soi-disant, évidemment. C’est là que réside le premier problème que rencontrent les personnes handicapées et qui est également à l’origine du second, le titre de cet article.
Intentionnellement ou non, chaque aménagement finira par être perçu comme une sorte d’avantage par ceux qui n’y ont pas droit. Une rampe pour une personne en fauteuil roulant est plus facile à accepter par tout le monde car vous en voyez clairement la nécessité et ce n’est pas un avantage réel si on le compare à la chaussée ordinaire. Mais quand il s’agit de la première place d’une file d’attente, ou peut-être d’un siège spécial, plus confortable, ou de la possibilité d’emmener un animal de soutien dans des endroits où les animaux domestiques ne sont pas autorisés…
Et bien, les réactions des gens vont certainement changer. Ceux-ci sont des sortes d’avantage en comparaison des règles que les autres doivent suivre, donc vous devez prouver votre droit. Les gens voudront s’assurer que vous avez effectivement besoin de ce support, et que ça n’est pas juste pour duper tout le monde pour avoir un traitement de faveur. Ce sentiment a créé une monnaie invisible et très chère que les personnes handicapées ont besoin d’échanger pour ces services et ces aménagements. Appelons cela la devise (note : au sens monétaire du terme) de la victime.
La devise de la victime
Ça n’est pas une monnaie physique, et elle ne semble pas être très précieuse pour ceux qui la demandent, mais c’est à la fois inestimable et dangereux à utiliser pour ceux qui ont besoin de l’échanger.
Alors, quelle serait la « devise de la victime »? C’est principalement la capacité d’une personne à exprimer son statut de victime permanente de l’univers. Une victime a besoin d’être quelqu’un qui a toujours l’air misérable, pour commencer. Elles ne peuvent pas rire, s’amuser, ou même être optimiste. Elles doivent toujours montrer un mécontentement constant dans leur vie et faire en sorte que tout le monde soit désolé pour elles, tout le temps.
Elles ne peuvent pas non plus avoir aucunes réalisations dans leur vie. Une victime est une personne qui n’expérimente que la souffrance et n’a aucune capacité à produire quelque chose de valable. Si elles parviennent à produire quelque chose, ce doit être quelque chose de trivial ou bien inférieur à ce que leurs pairs produisent. De préférence, elles doivent montrer à quel point elles souffrent pour être capable de faire quelque chose d’aussi simple à réaliser pour les autres.
Une victime ne peut pas, sous aucune circonstance, accomplir quoi que ce soit de vraiment remarquable ou cela représenterait un défi pour les «non victimes». Si vous pouvez accomplir une chose, vous pouvez tout accomplir, donc vous n’avez pas besoin d’aide. Être optimiste est aussi une faute grave. Si vous croyez qu’il y a de meilleurs lendemains, alors le pouvoir de croire devrait vous rendre automatiquement capable d’affronter n’importe quoi, non?
Donc vous devez traverser la vie sans aucun soutien pour vous engager dans votre optimisme.
Être heureux, et après…quoi ? Vous devez être fou si vous avez quelque chose de mauvais dans votre vie et osez rire, faire une blague, rester optimiste!! Les victimes ne sont pas heureuse, si vous montrez le moindre signe de cela, vous allez instantanément aller bien, tout est juste parfait dans votre vie. Vous vous moquez même des autres avec votre bonheur…
Alors hourra, c’est fondamentalement le prix de votre estime de soi, de votre motivation, de votre résilience et de votre capacité à lutter pour un meilleur avenir ou tout simplement pour rester en vie. Comme je l’ai dit précédemment, un inestimable prix, et plus important, un prix très dangereux.
Le plus gros problème est que ces choses que je viens juste de mentionner sont cruciales pour toute personne luttant avec un handicap. Pour vivre dans la douleur, qu’elle soit physique ou mentale, notre vie quotidienne est de ne jamais se sentir comme si on appartenait à quelque chose ou d’avoir l’impression que les choses sont trop difficiles pour les faire valoir. Être handicapé de quelque manière n’est jamais simple. Si vous n’êtes pas capable de trouver le bonheur dans les plus petites choses de la vie ou de vous sentir optimiste, de croire à de meilleurs lendemains ou juste de vous sentir accompli en faisant quelque chose de spécial pour lequel vous savez que vous êtes doué, vous ne penserez peut-être pas qu’il y a une raison de continuer à vivre.
C’est une affaire sérieuse. Vous ne pouvez tout simplement pas enlever ça à une personne pour la première place dans une file d’attente, ou pour lui donner un siège spécial, ou quoi que ce soit dont elle ait besoin en tant que personne handicapée qui est capable de faire ce que les autres font aisément. C’est plus que cruel. Les gens font cela tout le temps, la plupart du temps sans en avoir conscience, et cela a un énorme impact sur les vies des personnes qui ont besoin de soutien.
La surtaxe du handicap invisible
Cela va sans dire que plus invisible est votre handicap, plus vous devez payer.
Les gens ne peuvent pas voir votre problème ? Payez double. Est-ce que c’est un handicap psychique ? Oh, vous devrez payer au moins quatre fois plus. Il n’y a aucun test physique pour confirmer vos problèmes mentaux, alors vous devrez travailler vraiment dur pour prouver que vous n’essayez pas seulement de le faire plus facilement.
J’ai moi-même choisi d’abandonner non pas seulement les aménagements, mais une simple reconnaissance et un geste gentil éventuel, car je me suis rendu compte que nous devions payer le prix même pour cela. Je ne mentionne que rarement mon autisme à quelqu’un et je n’ai même pas l’intention de le faire dans un environnement professionnel, car dès que je le ferai, les gens penseront immédiatement que je suis moins capable qu’ils ne le sont, ou que je mens et cherche simplement à attirer l’attention.
Je subis également beaucoup de stimuli qui pourraient facilement être atténués par ceux qui m’entourent, car si je leur parle de quelque chose, on me dirait que je fais l’enfant gâtée ou pire, et je ne pourrai faire en sorte que les gens changent quoi que ce soit que si je paie le prix de la victime.
Je ne suis pas disposée à ça, cependant. Même quand j’ai vraiment besoin de cela. Même si j’ai une terrible vague de crises après mon retour à la maison après une journée complète de camouflage et à supporter de nombreuses choses difficiles qui sont faciles pour les autres.
Construire des moments de bonheur, conserver mon optimisme et reconnaitre les choses pour lesquelles je suis douée et investir mon temps et mon (peu) d’énergie dedans sont les choses qui me tiennent en vie. Je ne suis absolument pas disposée à les abandonner de quelque manière que ce soit.
Mon cœur bat pour ceux qui ne peuvent se permettre d’éviter le besoin d’aménagement. Ceux qui devront payer le prix, que cela leur plaise ou non, parce qu’ils ne peuvent tout simplement pas vivre sans soutien. Les enfants qui grandissent sous ce poids monétaire, les empêchant d’être des adultes épanouis et de pouvoir trouver quelque chose qui leur convient et qui pourrait les rendre heureux à l’avenir, car ils sont conditionnés à jouer le rôle de victime à un âge précoce et ne savent pas comment le faire différemment par la suite. Tant de bonnes personnes se perdent à cause du poids cruel de cette monnaie et se sentent encore plus misérables que ce que leurs conditions leur font ressentir, car ils ne sont pas autorisés à utiliser des outils de guérison. Encore une fois, c’est un compromis très, très cruel.
Nous avons besoin de faire prendre conscience aux autres de ce prix invisible et de son impact négatif sur la vie des gens. Il y a beaucoup de bonnes personnes qui s’engagent dans le bon combat, essayant de sensibiliser le public à ce problème, montrant à quel point le prendre soin, la résilience et le soutien émotionnel sont importants pour les personnes aux prises avec des problèmes de santé physiques ou mentaux. Rejoignons les pour les aider à briser le stigmate de la victime qui entoure le handicap. Je crois en de meilleurs lendemains, où les personnes montreront de l’empathie et de la gentillesse les uns envers les autres et les personnes handicapées n’auraient pas besoin de ressentir le besoin de s’abaisser pour obtenir le soutien dont elles ont besoin. Je le crois parce que je dois le faire. C’est le contrat que j’ai passé avec moi-même, de combattre pour un futur meilleur, croyant qu’il arrivera. Cela me soigne, m’aide à continuer. Et personne ne va m’enlever ça.
Au sujet de Renata Jurkevythz
J’ai 36 ans, et récemment diagnostiquée Aspie. Mariée à un neurotypique depuis 15 ans. Mère de trois enfants – une fille aspie de 10 ans, un garçon autiste typique de 4 ans et un petit bébé garçon. J’ai découvert ma neurologie l’année dernière après le diagnostic de mon fils et j’ai commencé à creuser profondément ce qu’est l’autisme. Le diagnostic de ma fille a suivi. Nous sommes un groupe unique et heureux et essayons de tirer le meilleur parti de ce que nous avons. Nous pensons que différents cerveaux sont simplement différents, tous avec des aspects positifs et négatifs – il n’y a pas de mauvais! Nous venons du Brésil mais nous avons récemment déménagé en Allemagne. Mes intérêts spécifiques sont l’écriture, l’apprentissage des langues, des jeux et des films. J’aime aussi les forêts – elles m’apportent la paix. Ce qui me rend instantanément heureuse, ce sont les chants d’oiseaux (spécialement les mouettes) et les enfants qui rient.
ARTICLE ORIGINAL :
https://www.spectrumwomen.com/wellbeing/the-invisible-price-of-accommodation-renata-jurkevythz/
Rédaction par Nathalie Saillard-Pichon, membre de l’AFFA – 13/02/19