Aristide, « douée pour tout, capable de rien », a fini par inventer son propre métier


Après avoir essayé une trentaine de métiers sans jamais pouvoir s’y ancrer, Artistide, membre de l’AFFA,  en est venue à inventer son propre métier : animatrice d’ateliers sur le vivre-ensemble

Douée pour tout, c’était la phrase de ma mère. Capable de rien, ça a été la mienne en réponse aux résultats de chacune de mes diverses tentatives.

Visite rapide de l’institution ou comment orthographier correctement le mot échec

Mes années collège ont été relativement sereines, la présence de ma mère comme enseignante m’a sans doute permis de camoufler une différence qui n’avait pas encore de nom. Afin de calmer un tempérament que l’on disait caractériel, et à ma demande insistante, j’avais réussi à obtenir de mes parents de faire du poney. J’étais, pour une fois, dans une certaine réussite. Avec le temps, j’avais réussi à intégrer une écurie de concours. La présence des poneys était une île où régnait le silence, le bleu, et la douceur.

L’arrivée en seconde fut un chaos immédiat, annonçant de façon prémonitoire une impossibilité pour moi d’espérer des études longues. Adieu mon rêve d’archéologue. Devenue une jeune demoiselle, le décalage autrefois discret m’éclatait continuellement à la figure, faisant de moi une personne blessée, blessante.

Jusqu’en terminale où je passais mon bac comme figurante, je fus promenée par des parents totalement désemparés d’établissements privés en établissements publics… Une fois mon bac ailleurs que dans ma poche, je décidais de tracer et de partir loin.

 

Première découverte, il y a un ailleurs

Je voulais être monitrice d’équitation, je sentais que peut-être ça je pourrais.

Ma dyslexie, dysorthographie, dyscalculie, dyspraxie. Avec ce truc en plus… ce truc… mais quoi ?

Aucune chance, seule, d’avoir le tronc commun nécessaire. Loin de mes parents, seule et quelque peu désœuvrée, je trouvais du travail dans une écurie ranch au fin fond de la forêt de Chantilly. Exploitée par un patron très compréhensif. Impossible pour moi de lui témoigner un désaccord tant il me laissait tranquille. Je crois, j’aurais donné de l’argent pour ce travail qui payait juste les frais de ma jument de concours et de quoi vivoter.

Dans ce ranch perdu au cœur de la forêt de Chantilly, dans la brume des petits matins, seule comme pouvait l’être le dernier Mohican, je découvris le concept du bonheur. Un accident de parcours (blessures suite à des chutes de cheval) allait y mettre un point.

Raccourci brutal d’une trajectoire qui, je le savais, ne menait à rien.

 

Première tentative de lâcher de valises ou comment résister au courant

Retour à la case départ. Bonjour M’man, Bonjour P’pa !

Je tournais en rond, attendant que mon cerveau devenu épileptique récupère je ne sais quoi.

J’avais 19 ans, je commençais à comprendre qu’aucun Martien ne viendrait me chercher.

J’osais Paris comme une forêt peuplée d’êtres transparents.

En passant devant un cours de théâtre, je vis sur le trottoir des jeunes en train de répéter.

Se fichant totalement de crier des textes ne voulant rien dire au milieu d’un Paris amnésique.

Profitant d’un zeste d’inconscience, je fis de l’inscription et de l’audition une formalité. Je me retrouvai dans un univers où la normalité n’était visiblement pas la bienvenue. Ce fut magique de voir à quel point mon atypisme encombrant que l’on avait fini par baptiser « caractère de cochon » passait totalement inaperçu. Je découvrais un fantastique laboratoire d’étude. Sans le savoir, je passais de l’archéologie à l’anthropologie.

Pendant les vacances, profitant de mon passé équin, je trouvai du travail dans un célèbre cirque national.

Je fus adoptée au bout de quinze jours. Là encore mon atypisme faisait office de passeport.

La proposition de rejoindre cet univers sous la forme d’un contrat d’artiste, je l’eu rapidement ; la réponse aussi, non merci. Je voulais encore étudier l’humain, apprendre à me transformer me « caméléoniser ».

Je suis restée dans l’univers du cirque en tant qu’amie pendant de très longues années, j’y ai beaucoup appris.

Au fil du temps, j’atterris au conservatoire du 10ème arrondissement de Paris.

J’obtins un premier prix au bout de la 1ère année. Il était temps de me lancer dans le monde du travail.

 

Devenir comme tout le monde, un impossible rêve

Je fus engagée comme comédienne dans une compagnie de théâtre.

Nous jouions des spectacles scolaires en journée mais aussi d’autres spectacles en soirée.

J’ai été intermittente pendant plus d’une dizaine d’années. Là encore, ma différence passait inaperçue.

Hélas, je travaillais avec mon conjoint. Après notre séparation, je n’ai plus eu de travail.

À ce moment-là, ce fut impossible pour moi de travailler comme comédienne, de ne m’occuper que de ma petite personne. Photos, coiffures, fringues, maquillage, etc… Les douleurs de la vie m’avaient fait grandir.

Je me sentais si libre de faire tout, tout et rien fatalement…

 

Le Phoenix est mon maître. Ai-je le choix ?

Par hasard je me lançai dans l’expérience du « Théâtre de l’Opprimé ».

Il fallait analyser la société, la sociologie. On était très près de la vision toute personnelle que j’avais de l’anthropologie. À nouveau s’ouvrait un champ d’études gigantesque. Apprendre encore et toujours.

Je me lançais totalement dans l’aventure et comme cela n’allait pas assez vite à mon goût, à côté je faisais des formations sur la communication non-violente, l’analyse transactionnelle, l’écoute active.

Je commençais aussi à militer contre les violences faites aux femmes.

Pendant ce temps, durant 5 ans, j’ai suivi une formation et j’ai passé un diplôme de monitrice d’auto-défense.

Je travaillais comme comédienne et Joker (animer le débat d’un forum) dans le monde du Théâtre de l’Opprimé.

Quelque chose de nouveau commençait, pourtant cela ne me satisfaisait pas. Ce n’était pas assez efficace pour moi, il fallait être plus minutieux, aller au cœur des choses.

Alors que, pour rendre service, j’animais une séance de jeux collectifs dans une école primaire, l’enseignante me proposa de travailler en séances hebdomadaires avec sa classe l’année suivante, car mes jeux avaient mis en relief les difficultés du vivre ensemble.

 

Il fallait que je pose l’équation. Si je mettais tout dans la balance :

  • le regard qu’avait posé sur moi la société, « réfractaire à toute forme d’autorité, ingérable, fragile, fatigable de façon anormale », « une petite nature » ;
  • mon asociabilité grandissante avec l’âge ;
  • la colonie joyeuse et débordante de mes intolérances ;

au final, la décision que j’avais à prendre semblait une évidence.

Je décidai d’inventer mon métier, de créer un atelier dans lequel chacun en toute sécurité pourrait compter sur les autres pour aborder une réflexion sur son propre positionnement dans la vie.

 

Une trentaine de métiers

Pendant toutes ces années, j’aurai essayé tout un tas de métiers sans jamais rester ancrée.

Quelques-uns sur quelques années, d’autres sur quelques mois, quelques semaines, quelques jours, quelques heures…

– animatrice de colonies de vacances – monitrice poney – distributrice de prospectus – assistante maternelle – conductrice de voiture publicitaire – caissière – entraineuse de chevaux de concours – cuistot de self de salon – main d’œuvre en grande distribution – femme de ménage – fleuriste – surveillante en collège – testeuse de jeux – animatrice radio – ouvrière usine de carton – hôtesse d’accueil Cité des Sciences Paris – régisseuse son et lumière – actrice – maquilleuse visage pour enfants – régisseuse plateau – palefrenière – éducatrice chevaux cavalerie Gruss – comédienne – maman – metteuse en scène – chargée de production – joker Théâtre de l’Opprimé – professeure de théâtre – hôtesse d’accueil – animatrice atelier de masque – professeure Wendo – formatrice –

 

Demain est un jour inconnu, mais je suis venue jusqu’ici

Aujourd’hui je fais un métier que j’aime, car à travers lui je me sens quelque peu utile et efficace tout en continuant mon « anthropologie mienne ».

Je ne gagne pas beaucoup d’argent mais je me sens libre. J’ai appris le vrai nom de mes particularités, Asperger, et je l’apprends encore tous les jours. J’apprivoise la tolérance vis-à-vis de moi-même après des années d’autocritique assassine. Je découvre avec joie et soulagement que je ne suis pas si seule. Mars a colonisé la terre.

 

 

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5 commentaires sur “Aristide, « douée pour tout, capable de rien », a fini par inventer son propre métier

  • Aurelie F

    Merci pour ce témoignage, ça donne espoir.
    Je crois qu’on est nombreuse à galérer professionnellement parlant, à essayer tout un tas de métier, sans jamais se trouver. Alors lorsque l’une d’entre elles nous s’en sort, on est contente et ça donne espoir. On se reconnaît dans le témoin et on se sent moins seule, moins différente. Merci, bon courage et bonne route à vous. Pourvu que votre témoignage soit inspirant pour nous toutes.

  • brune

    Bonjour et merci pour ce témoignage éclairant par sa justesse, j’y ai puisé l’énergie pour surmonter les difficultés du diagnostic, le bon sens de vieillir au mieux dignement, reprendre le fil du vivre ensemble dans la tolérance et le respect, merci, Emmanuelle Brune.