Les agressions sexuelles chez les enfants autistes


Les facteurs qui accroissent les risques et interférent avec la reconnaissance des agressions sexuelles

L’AFFA remercie ses membres : Sho Shin – Louise – Lucile – Ourse pour leur investissement dans ce travail remarquable de traduction de l’étude de Meredyth Goldberg Edelson, paru dans Disability Studies Quarterly (2010) .

Il est essentiel de mettre en lumière l’existence de ces violences sexuelles envers les enfants autistes afin d’améliorer le système de détection et de prévention.

agressions sexuelles sur enfants, AFFA

Mots clés : autisme ; troubles du spectre de l’autisme ; agressions sexuelles

Résumé

Deux arguments principaux s’imposent en matière d’agressions sexuelles chez les enfants autistes. Tout d’abord, certains enfants autistes seraient la cible des agresseurs sexuels dans la mesure où ils pourraient les considérer comme vulnérables. Deuxièmement, lorsque les enfants autistes sont victimes d’agressions sexuelles, ils peuvent le manifester par des symptômes qui peuvent passer inaperçus ou qui peuvent être mis à tort sur le compte de leur autisme plutôt que sur celui d’éventuelles violences sexuelles. En raison de ces deux problématiques, et afin de pouvoir déterminer si un enfant concerné par le spectre de l’autisme a bien été victime d’une agression sexuelle, il est nécessaire d’employer des méthodes fiables. Ces procédures doivent tenir compte des défis rencontrés par les personnes avec autisme, rapportés aussi bien par ces personnes sur l’ensemble du spectre que par les chercheurs spécialisés dans le domaine de l’autisme.

agressions sexuelles sur enfants autistes, AFFA

Selon les estimations récentes proposées par les Centres de Contrôle des Maladies (CDC, Center for Disease Controls) et de Prévention, un enfant sur 150 serait concerné par l’autisme ou par un trouble relevant du spectre de l’autisme (CDC, 2008). Le taux se rapportant au diagnostic de l’autisme a augmenté de façon régulière au cours de ces vingt dernières années, avec une prévalence qui se serait multipliée de trois à vingt sur cette période (Waterhouse, 2008).

Identifié à l’origine par Kanner (1943), l’autisme se définit par des défis à surmonter dans les domaines de la communication, des interactions sociales et du comportement (APA, American Psychiatric Association, 2000). Mais il existe une très grande variabilité dans la manifestation et l’intensité des symptômes.

À l’autisme s’ajoutent tout une palette d’autres troubles relevant du spectre de l’autisme, tels que le syndrome d’Asperger, le syndrome de Rett et le trouble désintégratif de l’enfance (APA, 2000).

[note du traducteur : le syndrome de Rett a été en réalité extrait du groupe de l’autisme à la rédaction du DSM-5, pour des raisons scientifiques et éthiques, alors que le DSM-IV-TR l’incluait dans les troubles envahissants du développement.]

L’ensemble de ces troubles se rapportent aujourd’hui à l’unité nosographique nommée Troubles du Spectre de l’Autisme (TSAs). Parmi les personnes âgées de moins de 21 ans, environ 560 000 personnes rempliraient les critères diagnostiques de TSA aux États-Unis (CDC, 2008).

Ces dernières décennies, on constate également un nombre régulièrement croissant de témoignages écrits par des personnes plaidant elles-mêmes leur propre reconnaissance en tant que personnes sur le spectre de l’autisme (avec entre autres Grandin & Scariano, 1986 ; Mukhopadhyay, 2008 ; Newport & Newport, 2002 ; Prince-Hughes, 2002). Leurs récits montrent non seulement que les difficultés résultent souvent du fait que le monde social est conçu pour les neurotypiques [note du traducteur : c’est-à-dire les personnes non autistes ou plus généralement sans particularité notoire de fonctionnement cognitif et social], avec peu d’adaptations proposées pour les individus atypiques, mais aussi à quel point les difficultés relevant du fonctionnement sensoriel et d’une anxiété qui les submerge ont un impact significatif dans leur expérience de vie.

Comme l’illustre ces différents récits, l’autisme et les TSAs se manifestent de façon hétérogène. De plus, et bien qu’elles n’entrent pas en compte pour établir le diagnostic d’autisme, les capacités cognitives des personnes autistes sont également très variables : certaines personnes présentent une déficience intellectuelle, alors que les compétences reliées aux « niveaux d’intelligences » de certains les situent autour de la moyenne, dans la tranche supérieure de la norme, voire au-delà (Edelson, 2006). L’hétérogénéité dans la manifestation et le degré d’intensité des symptômes, ainsi que dans les habiletés cognitives, et le fait également que les personnes autistes présentant une intelligence supérieure ne soient pas pour autant en mesure de déchiffrer et/ou d’initier des interactions sociales basiques, peuvent expliquer l’écart considérable constaté entre personnes autistes, dans leurs capacités à interagir et à communiquer efficacement.

La plupart des enfants neurotypiques ont des aptitudes sociales, communicatives et cognitives qui leur permettent de traverser sans encombre les complexités de l’univers social.

Malgré ces aptitudes, certains de ces enfants seront victimes d’interactions sociales aussi indésirables que préjudiciables telles que des agressions sexuelles sur mineurs. Des estimations suggèrent qu’une fille sur trois et qu’un garçon sur dix seront victimes d’une agression sexuelle avant d’atteindre leur dix-huit ans (Tang, Freyd, & Wang, 2007). Étant donné la nature sexuelle de ces abus et la nette réticence à divulguer leur survenue (Alaggia, 2004), les statistiques des agressions sexuelles sur mineurs se caractérisent très probablement par une sous-estimation (Tang et al, 2007). En outre, lorsqu’une agression sexuelle se produit, son auteur est généralement une personne que l’enfant connaît et à qui il avait attribué sa confiance (Cavanagh Johnson, 1999).

Bien que nous ne disposions pas de données empiriques permettant de mesurer spécifiquement la fréquence avec laquelle les enfants concernés par l’autisme sont victimes d’agressions sexuelles, des informations sont disponibles concernant ceux qui présentent en général des troubles du développement.

Mansell, Sobsey et Moskal (1998) rapportent que le taux d’abus sexuels estimé chez les enfants présentant un trouble envahissant du développement (TED) est environ le double de celui mis en évidence chez les enfants neurotypiques. Par ailleurs, Mansell et al. avancent l’idée que les conséquences des agressions sexuelles sur les enfants présentant des troubles développementaux pourraient être aggravées par l’isolement et l’aliénation sociale.

Lorsqu’il existe des suspicions d’agression sexuelle sur un enfant tout-venant, des protocoles permettent d’évaluer si une telle agression a été perpétré ou non. Les Centres de Défense pour Enfants (CAC, Children’s Advocacy Centers) et les Centres d’Évaluation de la Maltraitance des Enfants (CAAC, Child Abuse Assessment Centers), qui proposent des examens médicaux auprès des mineurs et des entretiens médico-légaux, sont souvent sollicités afin d’établir la nature de l’agression sexuelle (Cronch, Viljoen & Hansen, 2006 ; Walsh, Jones & Cross, 2003). Ces conclusions reposent sur les indices relevés lors des examens médicaux – ce qui est peu courant dans les situations d’agressions sexuelles (Finkel & Dejong, 1996 ; Myers, 1998) – sur les antécédents rapportés par l’enfant et sa famille ainsi que sur les affirmations de l’enfant au cours de l’évaluation. Pour établir l’existence avérée d’une agression sexuelle, il est nécessaire que l’enfant soit capable de participer pleinement à l’ensemble de l’évaluation.

Certains enfants autistes peuvent avoir des difficultés avec les modèles actuels de détermination de l’acte d’agression sexuelle, en raison de l’usage courant d’entretiens uniques très fastidieux, et du fait de la nécessité du maintien de la réciprocité sociale et des échanges verbaux (Cronch et al., 2006 ; Cross, Jones, Walsh, Simone & Kolko, 2007). Pour toutes ces raisons, il est important de mettre en place des protocoles destinés aux personnes autistes et tenant compte de leur manière d’interagir et de communiquer avec autrui.

Cet article vise d’une part à mettre en lumière les raisons pour lesquelles les enfants et adolescents autistes peuvent être vulnérables aux agressions sexuelles, et d’autre part à susciter une prise de conscience sur le manque d’adéquation des protocoles utilisés pour prendre en charge ces enfants, en cas de suspicion d’agression sexuelle. Afin de répondre aux objectifs de cet article, la discussion se concentrera uniquement sur la réalité en cas d’autisme ou de syndrome d’Asperger, et ne prendra pas en compte les autres TSAs.

Dans cette analyse, deux points fondamentaux seront débattus : en premier point, le fait que les enfants autistes sont plus exposés au risque d’agression sexuelle et peuvent rencontrer des difficultés à se faire comprendre lorsqu’ils divulguent de tels faits ; deuxièmement, lorsque des enfants autistes sont victimes d’agressions sexuelles, ils seraient plus à même de le manifester par des signes passant inaperçus ou interprétables à tort comme résultant de leur autisme et non d’une éventuelle agression sexuelle. En outre, en cas de suspicion de sévices sexuels, investiguer auprès des personnes autistes est particulièrement délicat, en raison de la manière bien particulière qu’elles ont de communiquer, ce qui rend alors inadéquate l’utilisation des méthodes habituelles visant à confirmer ou infirmer l’agression sexuelle soupçonnée. Cette problématique sera brièvement traitée dans la conclusion de cet article.

Les caractéristiques de l’autisme et le risque d’agression sexuelle

Si les personnes autistes rencontrent des difficultés au niveau du comportement, de la communication et des habiletés sociales (APA, 2000), c’est en grande partie dû au fait que le monde social est conçu pour les personnes (neuro)typiques. Bien que cela ne représente pas un problème majeur pour toutes les personnes autistes, lorsque certaines difficultés au niveau des émotions et de la communication sociale sont présentes, elles peuvent être perçues par les agresseurs sexuels comme autant de points de fragilité dont ils peuvent tirer profit. La présente section fait état du risque accru d’agression sexuelle auquel seraient exposés les enfants autistes présentant ce type de défi caractérisant les habiletés socio-émotionnelles et communicatives.

Le fait par exemple de parvenir à interpréter les émotions des autres peut permettre à un enfant de se protéger des individus malfaisants. Bien que certaines personnes autistes revendiquent leur grande capacité à traiter intuitivement les émotions des autres (Mukhopadhyay, 2008), d’autres décrivent des difficultés majeures dans ce domaine (Prince-Hughes, 2002). De plus, des recherches ont démontré que le traitement des émotions peut représenter une difficulté pour certaines personnes autistes. Begeer, Koot, Rieffe, Meerum Terwogt et Stegge (2008) ont mené une revue de littérature portant sur les compétences émotionnelles des enfants s’intéressant à quatre domaines de compétences corrélés à l’efficacité dans les interactions sociales : (a) la capacité à exprimer les émotions ; (b) la perception émotionnelle ; (c) l’adaptation aux émotions ; d) la capacité à comprendre les émotions. D’après les études menées en laboratoire avec des personnes autistes, Begeer et al. (2008) ont mis en évidence que les personnes présentant peu de symptômes autistiques sont en mesure d’exprimer des émotions simples et de répondre aux émotions des autres, alors que celles qui présentent de nombreux signes de TSA sont davantage sujettes à des difficultés de traitement des émotions. Begeer et al. se sont également rendu compte que dans des conditions naturelles, beaucoup de personnes autistes peuvent rencontrer des défis majeurs en ce qui concerne le fait d’identifier les émotions le fait de réagir de manière empathique aux comportements des autres.

Les personnes avec autisme peuvent par ailleurs présenter plus de difficultés à comprendre les émotions des autres lorsque les émotions exprimées sont trompeuses (comme cela peut d’ailleurs être le cas lors de l’interaction avec un prédateur sexuel). Dennis, Lockyer et Lazenby (2000) ont mis en évidence que les enfants dits autistes à haut niveau de fonctionnement étaient moins en mesure de reconnaître les mimiques d’émotions fausses et de comprendre les raisons pour lesquelles une personne afficherait une expression faciale trompeuse, en comparaison au groupe contrôle d’enfants similaires en âge et en genre. Les agresseurs tentent souvent d’obtenir la confiance de leurs potentielles victimes, et ce, en utilisant la tromperie. En outre, ils peuvent afficher des émotions mensongères, qui peuvent ne pas être reconnues comme telles par certains enfants autistes.

agressions sexuelles sur enfants autistes, AFFA

Outre leurs difficultés de traitement émotionnel, les enfants autistes peuvent rencontrer des obstacles au niveau de la communication, ce qui en fait des cibles particulièrement attrayantes pour les prédateurs sexuels, car ces enfants peuvent alors leur sembler incapables de divulguer l’agression. Les recherches indiquent que la proportion d’enfants autistes dont la communication verbale ne serait pas fonctionnelle pourrait aller jusqu’à 50% (APA, 2000). Bien que de nombreux enfants autistes utilisent les méthodes de communication alternative et augmentée (CAA) pour communiquer efficacement, l’apparente incapacité des enfants autistes non-verbaux à communiquer peut augmenter leur risque d’être choisis comme cible d’agresseurs sexuels.

Les enfants autistes verbaux peuvent également avoir du mal à rapporter une agression sexuelle dès lors qu’ils présentent certaines difficultés de communication. A titre d’exemple, Dahlgren et Dahlgren Sandberg ont étudié en 2008 la communication référentielle d’enfants présentant de l’autisme ou un TSA. La communication référentielle implique que le locuteur fournisse des informations à la fois suffisantes et précises à un auditeur pour que celui-ci comprenne à quoi il est fait référence. Cette compétence est cruciale lorsque l’information à laquelle il est fait référence n’est pas encore connue de l’interlocuteur, comme c’est le cas lors de la révélation d’une agression sexuelle. Dahlgren et Dahlgren Sandberg ont observé que les enfants présentant de l’autisme ou un TSA montraient davantage de difficultés que les enfants neurotypiques à communiquer des informations pertinentes, et qu’ils étaient de manière générale moins efficaces en communication référentielle. Par conséquent, certains enfants autistes qui tenteraient de révéler une agression sexuelle ne seraient pas assez armés pour communiquer de manière claire et efficace sur ce qui leur est arrivé. Hale et Tager-Flusberg (2005) rapportent par ailleurs que nombre d’enfants autistes présentent des difficultés dans l’utilisation pragmatique du langage et dans les capacités de maintien des interactions verbales. Ces problématiques sont plus enclines à apparaître lors des conversations, ce qui augmente encore la probabilité que ces enfants soient incapables d’appréhender toutes les nuances de la réciprocité conversationnelle ; cette compétence est en requise pour parvenir à divulguer une agression sexuelle qui se serait produite.

Les difficultés d’ordre socio-affectif et de communication ne représentent qu’une partie des raisons qui expliquent le risque accru d’agressions sexuelles chez les enfants autistes. Stevens (1997) a étudié les techniques de sélection utilisées par les prédateurs sexuels pour choisir leurs victimes. Il a classé les critères de sélection en quatre grandes catégories : (a) selon la notion de « proie facile » (au sens de victime vulnérable, par exemple jeune ou de sexe féminin) ; (b) selon des critères propres à la victime (par exemple l’attractivité sexuelle supposée) ; (c) selon des critères liés à la situation (par exemple l’opportunité de passer à l’acte) ; et (d) selon des critères liés définissant le type de circonstances associées et l’existence de manipulation (par exemple, l’usage de violence ou d’intimidation avant l’agression sexuelle). Les enfants autistes pouvant être considérés comme des « proies faciles » à la portée des agresseurs potentiels, et étant facilement manipulables ou intimidables en raison des défis sociaux que l’autisme leur impose (APA, 2000), ils peuvent ainsi être considérés comme des cibles particulièrement séduisantes pour les délinquants sexuels.

De plus, les pédophiles ont souvent recours à des distorsions cognitives pour répondre de leurs actes auprès de l’enfant ciblé, et être amené à mettre mentalement de côté leur caractère malsain ou dangereux pour cet enfant (Burn & Brown, 2006). Ces distorsions cognitives sont des stratégies que les délinquants sexuels emploient couramment afin de minimiser ou de rationaliser la portée de leurs actes pour les justifier (Burn et Brown, 2006). Dans la littérature traitant des agressions sexuelles sur adultes, il a été démontré que l’une de ces stratégies cognitives employées pour leur « permettre » d’agresser est l’instrumentalisation de leur victime, lors de laquelle ils l’assimilent à un objet plutôt qu’à une personne (Russell, 1998). D’ailleurs, certains enfants autistes présentent des comportements répétitifs ou stéréotypés qui peuvent être considérés comme étranges (APA, 2000). Un délinquant sexuel pourra par conséquent trouver beaucoup plus facile d’instrumentaliser un enfant qui se livre à ces comportements étranges, que d’instrumentaliser un enfant typique.

Selon Cavanagh Johnson (1999), il existe deux principales sortes de pédophiles. Le premier type d’agresseur est le délinquant qui « prépare » l’enfant avant de commettre l’infraction. Ces préparatifs ont pour fonction d’initier l’enfant à des contacts physiques agréables et d’établir une relation positive avec l’enfant au fil du temps, afin de faire de lui une victime potentielle. Ce rapprochement progressif de l’enfant permet au délinquant de vérifier si l’enfant sera capable ou non, de lui résister et de le dénoncer, et ce, dès le début du processus. STOP Lorsqu’un prédateur sexuel se trouve face à un enfant capable de lui résister dès la phase de préparation, il perd habituellement son statut de victime potentielle, en raison du risque élevé que cet enfant dénonce son agresseur, et les mauvais traitements subis. Dans ce cas de figure, l’attitude défensive que présentent certains enfants autistes lors de contact tactile est un facteur de protection (Grandin et Scariano, 1986); cependant, dans le cas d’enfants autistes non verbaux, le risque de dénonciation peut paraître si faible à l’agresseur, qu’il peut décider de ne pas passer par cette phase de préparation. Le second type de pédophile, est le délinquant  » opportuniste « , qui profite d’opportunités qui s’offrent à lui, pour agresser sexuellement des enfants vulnérables (Cavanagh Johnson, 1999). Aussi bien les problèmes socio-affectifs, que ceux appartenant au domaine de la communication, exposent les enfants autistes à un risque accru d’agression sexuelle de la part des délinquants de type opportuniste, ils peuvent même rendre les enfants autistes particulièrement désirables – ou même des victimes « idéales » – aux yeux des délinquants opportunistes.

Le risque additionnel, pour les enfants autistes, d’être victimes d’agressions sexuelles, par rapport aux enfants typiques, repose aussi sur le contact plus fréquent qu’ils ont avec des prestataires de soins, qui peuvent également être des pédophiles opportunistes. Goldman (1994) a démontré que dans plus de 50 % des cas d’agressions sexuelles ayant eu lieu sur une personne avec déficience intellectuelle, la prise de contact entre l’agresseur et sa victime, a pu se faire grâce à l’activité qu’ils exerçaient comme prestataires de services pour personnes handicapées. La nature spécifique du service ayant permis le contact entre le délinquant et sa victime comprenait des prestations de services rémunérées, le placement en famille d’accueil, et le transport spécialisé. Étant donné, que les enfants autistes ont souvent besoin de services spécialisés, correspondant à ceux cités par Goldman (1994), le risque d’entrer en contact avec des délinquants sexuels est lui-même augmenté. De plus, bien qu’il n’existe pas de données spécifiques à l’autisme, les données concernant les personnes déficientes intellectuellement, et vivant en en milieu institutionnel, sont plus à risque de subir des agressions sexuelles que celles qui vivent au sein de leur noyau familial (Goldman, 1994). Ce phénomène est vraisemblablement lié à l’augmentation du nombre de contacts possibles avec les délinquants opportunistes, dans le milieu institutionnel.

Enfin, indépendamment du type de délinquant, les enfants atteints de TSA sont à risque accru d’être victimes de violence sexuelle, comparativement aux enfants typiques, en raison de leur désir d’être acceptés socialement, malgré les difficultés sociales auxquelles ils sont souvent confrontés. Si le prédateur sexuel se présente comme un  » ami  » potentiel auprès d’un enfant autiste, l’entrée en relation avec le délinquant peut être attrayante pour l’enfant, pour lequel ce genre de lien social est difficile d’accès. Tout comme c’est le cas pour les enfants typiques, un enfant atteint d’un TSA peut tolérer les comportements sexuels inappropriés de son agresseur, dans le but de conserver son « amitié ». De même, en raison de leur manque d’accès à une éducation sexuelle adéquate, lié à la croyance sociétale erronée que les enfants autistes sont asexués (Irvine, 2005), un enfant atteint de TSA peut ne pas reconnaître le caractère inapproprié du comportement d’un délinquant sexuel, quand il y est confronté. Ce risque est décrit par Newport et Newport (2002) qui affirment que  » la naïveté relative des filles autistes, ou leur éventuel désir d’échanger des services sexuels contre de la  » popularité « , peut les initier beaucoup plus tôt [à l’activité sexuelle] mais rarement d’une manière saine  » (p. 34).

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Étant donné le risque accru d’agressions sexuelles auquel les enfants autistes sont confrontés, il est important de pouvoir déterminer à quel moment l’agression sexuelle a eu lieu. Cependant, en raison de la constellation de symptômes associés à l’autisme, les enfants autistes victimes d’agressions sexuelles peuvent ne pas être reconnus comme tels. La section suivante explique pourquoi les signes comportementaux d’agression sexuelle chez les enfants autistes peuvent être ignorés ou attribués de manière erronée à l’autisme de l’enfant.

Manifestations comportementales secondaires aux agressions sexuelles pouvant être ignorées ou confondues avec des manifestations liées à l’autisme chez l’enfant

Les enfants autistes ont parfois des comportements d’autostimulation, d’automutilation et des comportements stéréotypés et répétitifs (APA, 2004 ; Cunningham et Schreibman, 2008). Un enfant autiste victime d’agressions sexuelles, pourra présenter une augmentation de l’intensité, de la fréquence, ou l’apparition nouvelle de ces comportements, qui témoignent des difficultés de l’enfant à faire face à cette situation.

La recherche suggère que les enfants autistes non verbaux, présentent plus de difficultés comportementales, par rapport à ceux qui ont des capacités de communication verbale (Dominick, Davis, Lanihart, Tager-Flusberg, & Folstein (2007). Ce pourrait être le reflet de la frustration générée par l’incapacité à se faire comprendre par son entourage. En effet, Dominick et collaborateurs (2007), ont observé une relation inverse et significative, entre la présence de comportements d’automutilation et la capacité de langage verbal expressif, dans un échantillon d’enfants autistes. Ainsi, l’apparition de difficultés comportementales, chez des enfants autistes victimes d’agression, secondaires à l’impossibilité de se faire comprendre par leur entourage, peut être interprétée, à tort, comme une manifestation liée à l’autisme. Par conséquent, le fait que l’enfant ait été, ou continue d’être victime de violence sexuelle, peut ne pas être pris en compte.

Certains auteurs suggèrent, que la présence de comportements sexualisés chez l’enfant, pourrait être un indicateur d’agression sexuelle. En effet, Bow, Quinnell, Zaroff et Assemany (2002) notent que la présence de comportements sexualisés est plus fréquente chez les enfants victimes de violence sexuelle, que chez les enfants non victimes de violence sexuelle. Cependant, cette étude montre également, que les comportements sexualisés peuvent également survenir en réponse à de la violence physique, et non pas uniquement à la violence sexuelle (Merrick, Litrownik, Everson, & Cox, 2008). Parfois, les comportements sexualisés surviennent en absence de violences sexuelles (Cavanagh Johnson, 1999). Cavanagh Johnson (2002) décrit un continuum dans les comportements sexuels observables chez les enfants, à savoir, les comportements sexuels typiques, les comportements sexuellement réactifs, les comportements sexuels excessifs, mais mutuels, entre pairs, et les comportements sexuellement agressifs. La première catégorie du continuum fait partie du développement habituel de l’enfant, et les trois autres catégories peuvent se développer en réaction à des événements traumatisants en général, ou à un environnement trop stimulant, et non pas uniquement en réaction à une agression sexuelle (Cavanagh Johnson, 2002).

Historiquement, on a toujours considéré que les personnes ayant un déficit intellectuel n’avaient pas désir sexuel (Irvine, 2005). Nario-Redmond (sous presse) a mené une étude explorant empiriquement les stéréotypes culturels à l’échelle individuelle, à l’égard de personnes avec ou sans handicap. Une partie de son étude visait à déterminer quels stéréotypes seraient évoqués spontanément par les participants, dont certains étaient eux-mêmes en situation de handicap. Conformément aux croyances historiques concernant les personnes handicapées, Nario-Redmond a démontré que les trois stéréotypes les plus couramment évoqués, aussi bien à propos des hommes que des femmes en situation de handicap, étaient qu’ils étaient dépendants, incompétents et asexués.

autisme et sexualité, AFFA

Nario-Redmond (sous presse) souligne ainsi, qu’une partie des difficultés rencontrées par les individus qui diffèrent de la norme, ne repose pas sur les limitations biologiques imposées par leur handicap, mais plutôt sur un phénomène « d’exclusion systématique » qu’ils subissent, et qui empêche leur pleine participation à la vie dans la société. En raison de ce phénomène d’exclusion, et du stéréotype de la personne handicapée asexuée, les personnes autistes n’ont pas toujours l’opportunité d’afficher des comportements sexuels, ou d’avoir accès à l’éducation sur ce sujet. Ainsi, des comportements sexuellement inappropriés peuvent survenir, et peuvent être attribués à tort, à un vécu d’agressions sexuelles. De plus, les enfants victimes d’agressions sexuelles n’affichent pas toujours des comportements sexualisés ou inquiétants (Kendall-Tackett, Meyer Williams, & Finkelhor, 1993). Par conséquent, la présence ou l’absence de comportements sexualisés n’est pas un indicateur fiable, de la présence ou l’absence d’agressions sexuelles chez un enfant.

Malheureusement, il n’existe à ce jour, aucune recherche étudiant les manifestations comportementales de l’agression sexuelle chez les enfants autistes. En effet, une recherche de littérature dans PsycInfo sur le thème des agressions sexuelles chez les enfants autistes, n’a révélé aucun article empirique sur ce sujet.

La sexualité, en général, est également rarement abordée dans la littérature scientifique sur l’autisme ; seulement quatre références ont été trouvées lors d’une recherche combinée sur la sexualité et l’autisme (voir Gabriels & Van Bourgondien, 2007 ; Koller, 2000 ; Rhodes, 2006 ; Stokes & Kaur, 2005). On trouve un peu plus de littérature sur ce sujet dans la littérature non scientifique.

Jerry et Mary Newport, un couple marié atteint du syndrome d’Asperger, a écrit un livre traitant du thème de la sexualité, basé sur leur propre expérience, contenant des renseignements, et conseils pratiques (Newport & Newport, 2002). Les Newport traitent le sujet en donnant des conseils pragmatiques sur le développement de relations sociales et sexuelles, sur la façon d’aborder les premiers sentiments sexuels, et sur la façon dont les parents devraient parler de sexualité avec leurs enfants atteints de TSA. Ils abordent également le thème du viol, de la brutalité, et de la maltraitance. Les Newport sont la preuve que les personnes atteintes de TSA sont sexuées, et qu’elles peuvent subir, et subissent effectivement, de multiples types d’agressions sexuelles.

La littérature scientifique traitant de la sexualité chez les personnes autistes porte principalement sur la perception, et les questionnements des parents en matière d’éducation sexuelle. Dans l’une des rares études traitant de la sexualité chez les personnes autistes, Ruble et Dalrymple (1993) ont analysé 100 enquêtes menées auprès de parents d’enfants autistes âgés de 9 à 38 ans, évaluant les opinions des parents (habituellement les mères) sur l’éveil de leur enfant autiste à la sexualité, l’éducation et les comportements sexuels de leurs enfants. Les résultats de l’enquête ont révélé que plus l’enfant avait des compétences de communication verbale, plus les parents déclaraient que l’enfant connaissait les parties et les fonctions du corps, comprenait la différence entre les comportements publics et privés, et avait reçu une certaine forme d’éducation sexuelle. Il est possible que ces résultats reflètent, le fait que les parents d’enfants ayant de plus grandes capacités verbales, avaient davantage parlé de sexualité avec leurs enfants, que les parents d’enfants ayant des aptitudes verbales moins développées. Ruble et Dalrymple ont également constaté que plus  leur enfant avait de capacités verbales, plus les parents décrivaient la présence de comportements sexuels inappropriés chez leur enfant (66 % des parents d’enfants autistes verbaux ont décrit la présence de comportements sexuels inappropriés chez leur enfant). Comme décrit  chez les personnes porteuses de troubles développementaux en général (Irvine, 2005), cela peut être expliqué par le manque d’opportunités d’exprimer des comportements sexuels appropriés, à mettre en lien avec le stéréotype des personnes autistes asexuées (Nario-Redmond, sous presse).

Dans l’étude de Ruble et Dalyrmple (1993), les craintes suivantes à propos de la sexualité de leur enfant autiste ont été relevées : le risque d’exploitation sexuelle, de grossesse non désirée, de MST, le risque que des comportements sexuels puissent être mal compris, et la question de la pertinence même des relations sexuelles pour les personnes autistes. Cependant, la plupart des parents n’exprimaient aucune crainte au sujet du développement sexuel physiologique de leur enfant, reflétant possiblement à nouveau, la croyance sociétale que les personnes autistes sont asexuées.

Les comportements sexualisés peuvent apparaître à divers stades du développement sexuel chez les enfants typiques (Cavanagh Johnson, 1999); chez les enfants autistes, l’apparition de ces comportements à un âge développemental parfois décalé par rapport à leur âge biologique, aura tendance à les rendre plus visibles par l’entourage. Chez les enfants d’âge préscolaire, l’exploration, et la stimulation de leur propre corps, parfois en public, est chose courante (Cavanagh Johnson, 1999); les enfants et adolescents autistes peuvent aussi présenter ces comportements, mais parfois, à un âge biologique plus tardif. Leur apparition, peut alors être interprétée à tort comme des signes d’agression sexuelle, surtout si les parents ont la croyance que les enfants autistes sont asexués (voir Ruble et Dalrymple, 1993). A l’inverse, l’apparition de comportements sexualisés chez l’enfant autiste, peut survenir dans le contexte d’agressions sexuelles, et être attribuée, à tort, comme étant la progression retardée, du développement sexuel typique. Au vu de ces éléments, il parait évident, que le diagnostic d’agressions sexuelles chez un enfant autiste, ne peut reposer uniquement sur des observations comportementales.

L’apparition de comportements sexualisés chez les enfants autistes, ne permet donc pas, comme seul critère, de faire la part des choses, entre le développement physiologique mais retardé de l’enfant, les troubles du comportement liés à l’autisme, versus le signe d’agresions sexuelles. Dans la littérature scientifique psychiatrique, il a été démontré, qu’une fois qu’un diagnostic de maladie mentale a été posé chez un patient, tout comportement observé par la suite chez ce patient, sera attribué et interprété comme un symptôme ou une manifestation de cette maladie (Rosenhan, 1973). Rosenhan (1973) a mené une étude, dans laquelle il a envoyé des « pseudo-patients » dans des établissements psychiatriques, avec des plaintes qui étaient d’entendre des voix qui leur soufflaient des mots comme « vide », « creux » ou faisaient un bruit sourd. À l’exception du fait que les pseudo-patients étaient en réalité des professionnels de santé mentale, tous les autres renseignements personnels fournis aux établissements psychiatriques étaient conformes à la réalité. Un diagnostic de maladie mentale a été retenu pour chaque pseudo-patient de l’étude (la plupart ayant reçu un diagnostic de schizophrénie), et ils ont été admis dans un établissement psychiatrique. Une fois hospitalisés, les pseudo-patients ont arrêté de se plaindre d’entendre des voix, et, à l’exception de la prise de notes pour documenter les résultats de l’étude, n’ont eu aucun comportement inhabituel.

Parmi les éléments intéressants mis en évidence par Rosenhan (1973), figure le fait que l’équipe soignante en charge des pseudo-patients, a interprété leur prise de notes, comme étant un symptôme de leur schizophrénie. Plutôt que de se questionner face à un comportement inhabituel, comme la prise de notes dans un établissement psychiatrique, les professionnels de santé mentale, ont automatiquement attribué ce comportement, comme étant une manifestation du trouble diagnostiqué chez le patient. Même les antécédents personnels des pseudo-patients ont été interprétés de manière à confirmer leur diagnostic. Selon Rosenhan (1973),  » une caractéristique implicite du diagnostic psychiatrique, est qu’il considère que la source de l’aberration est intrinsèque à l’individu diagnostiqué, plutôt qu’une possible réponse à divers  stimuli en provenance de l’environnement du patient. Par conséquent, les comportements stimulés par l’environnement, sont souvent, à tort, interprétés comme des symptômes du trouble dont souffre le patient » (p. 253).

On note de nombreux exemples historiques dans le champ de l’autisme, où la mauvaise interprétation d’éléments observés, a été à l’origine d’hypothèses erronées à propos des capacités des personnes autistes. Un des meilleurs exemples, est l’assertion selon laquelle, la majorité des personnes atteintes d’autisme, sont déficientes intellectuellement, ceci, malgré l’absence de preuves solides à l’appui (Edelson, 2006). L’hypothèse de la déficience intellectuelle a souvent été avancée, lorsqu’en raison de problèmes de communication, de comportement, ou d’attention, les examinateurs n’arrivaient pas à obtenir des données valides permettant d’estimer l’intelligence de patients autistes. Les chercheurs ont systématiquement attribué les faibles scores obtenus aux tests destinés à mesurer les capacités intellectuelles des enfants autistes, à la déficience intellectuelle, plutôt que d’envisager que ces tests n’étaient pas adaptés aux enfants autistes, ou qu’ils ne tenaient pas compte des limitations liées à l’autisme, (Edelson, 2006). De manière similaire, il est fort probable, que l’apparition de comportements inhabituels chez un enfant typique, soit reconnue comme une situation préoccupante, alors que s’ils surviennent chez un enfant autiste victime d’agressions sexuelles, ils soient banalisés.

agressions sexuelles sur enfants autistes, AFFA

Nous disposons aujourd’hui, de nombreux témoignages de la part de personnes autistes, qui ont été en capacité d’exprimer leur frustration, liée à la mauvaise compréhension, et à la pathologisation de certains comportements qu’ils ont pu démontrer. Temple Grandin, une adulte autiste, a écrit un certain nombre de livres, décrivant son vécu de personne autiste. Dans son livre intitulé « Emergence labeled autistic », elle décrit de nombreuses situations difficiles vécues lorsqu’elle était enfant, et qu’on la taquinait en raison de son autisme. Elle se souvient, par exemple, de l’époque où une fille de son école secondaire la surnommait « attardée ». Grandin raconte que, la colère déclenchée par cette situation a été si intense, qu’un jour, son livre d’histoire a volé en direction de la jeune fille, livre qui a fini dans l’œil de celle-ci. Suite à cet incident, le principal, M. Harlow, la renvoya de l’école. Temple raconte : « la colère et la frustration m’envahirent et je tremblais, j’en avais mal à l’estomac. M. Harlow n’avait même pas pris la peine d’entendre ma version des faits. Il a juste conclu, que, puisque j’étais  » différente « , j’étais entièrement fautive  » (Grandin & Scariano, 1986, p. 64). Tout comme M. Harlow, qui a automatiquement conclu que le comportement de Temple était lié à son autisme, il arrive souvent que des chercheurs, des professionnels de santé mentale, des enseignants, et peut-être même, que des parents, attribuent les comportements observés chez l’enfant, à son autisme, sans se questionner sur le rôle possible d’autres facteurs, ayant pu influencer, voire expliquer de manière cohérente, le comportement observé.

D’autres témoignages autobiographiques sont venus depuis, enrichir la compréhension de ce qu’une personne autiste peut vivre quand ses comportements sont mal compris, ou pathologisés par les individus typiques. Tito Rajarshi Mukhopadhyay a écrit de nombreux livres, détaillant ses expériences de personne autiste, devant évoluer dans le monde des individus typiques. Dans son dernier livre, « How can I talk if my lips don’t move ? Inside my autistic mind » (Mukhopadhyay, 2008), Tito décrit sa frustration face à la façon dont sa mère considérait son autisme comme une maladie à guérir, plutôt que comme une particularité à accepter. Tito déclare : « Comment a-t-elle pu [ma mère] cautionner un système qui me considérait comme malade ? Est-ce que Maman pensait vraiment que j’étais un moins que rien? » (p. 176). Habituellement, les individus typiques considèrent le comportement des personnes atteintes d’autisme comme étant « pathologique » ou le « symptôme d’une maladie ». Non seulement cela est préjudiciable pour l’individu en question, mais en plus, cela rend possible la mauvaise interprétation de comportements par ailleurs inquiétants, comme étant des symptômes de la « maladie » de l’autisme, plutôt que de chercher une cause extérieure à l’origine de ces comportements, comme par exemple, une agression sexuelle.

Enfin, certains comportements observés chez les personnes autistes, sont des facteurs facilitant leur adaptation et leur intégration dans le monde des personnes typiques, de par le sentiment de réconfort qu’ils génèrent. Par exemple, dans son livre « Aquamarine blue : Personal stories of college students with autism » Dawn Prince-Hughes relate les histoires de nombreux adultes autistes (Prince-Hughes, 2002). Un des récits concerne Darius, qui décrit sa frustration face au fait qu’il doit « déguiser » certains comportements d’autostimulation, en raison de la pression sociale face aux personnes typiques, qui ne perçoivent pas le « sentiment de réconfort » que ces comportements peuvent lui procurer. Darius raconte un épisode de sa vie scolaire, durant lequel, alors qu’il avait 11 ans, il se faisait rebondir avec son dos contre le mur. Son maître lui a alors demandé d’arrêter, suite à quoi Darius raconte:  » Je me souviens, que je ne comprenais pas pourquoi je ne pouvais pas me faire rebondir, car cela me procurait un sentiment très réconfortant. J’avais déjà, à ce moment-là, décidé d’arrêter certains comportements « d’autorégulation »  autistique en public, que je ne m’autorisais que dans ma chambre. Celui-ci a été le dernier à disparaître. J’avais, à cette époque, appris à  » masquer  » une partie de ces comportement « autorégulant » et répétitifs  » (Prince-Hughes, 2008 ; p. 13). L’histoire de Darius illustre le conflit intérieur qui peut se poser pour une personne autiste, entre avoir recours à ces comportements répétitifs, permettant de gérer l’anxiété (comme ce fut le cas avec le mouvement de « rebondissement »), et le besoin de masquer ces comportements en public, sous la pression sociale et l’incompréhension de l’entourage. Il est possible, et même probable, qu’un enfant autiste, victime d’agressions sexuelles, ait recours à ce genre de comportements d’auto-apaisement, qui peuvent être attribués, à tort, à une  aggravation de l’autisme de l’enfant, plutôt que secondaire à la violence subie. De plus, la volonté pressante de « guérir » ces comportements, peut interférer grandement avec la recherche d’une cause extérieure à l’enfant, à l’origine de ces comportements.

Il peut également y avoir une mauvaise compréhension en ce qui concerne l’origine du comportement délinquant parfois observé chez les personnes atteintes d’autisme. La plupart des adultes ayant été victimes d’agressions sexuelles dans l’enfance, ne deviennent pas eux-mêmes, des délinquants sexuels; cependant, chez certains délinquants sexuels, on retrouve un passé de victime d’agressions sexuelles (Burn et Brown, 2006 ; Coxe et Holmes, 2001 ; Glasser, Kolvin, Campbell, Glasser, Leitch, et Farrelly, 2001). Ceci est particulièrement vrai pour les hommes ayant été victimes d’agressions sexuelles durant l’enfance (Glasser et coll., 2001). Coxe et Holmes (2001) ont constaté que les pédophiles de sexe masculin avaient presque deux fois plus de risque d’agresser sexuellement d’un enfant de moins de 10 ans, s’ils avaient eux-mêmes été victimes de violence sexuelle lorsqu’ils étaient enfants, comparativement aux délinquants sexuels qui n’avaient pas ce type d’antécédents. Par conséquent, l’importance d’identifier précocement les enfants victimes de violence sexuelle, a un double objectif : permettre aux enfants d’avoir accès à une prise en charge adaptée d’une part, et pour éviter qu’ils ne deviennent à leur tour des prédateurs sexuels de jeunes enfants, d’autre part.

Plusieurs études récentes suggèrent que certains adultes atteints d’autisme de haut niveau, ou du syndrome d’Asperger, pourraient être prédisposés à un comportement délinquant, bien que la fréquence à laquelle cela pourrait se produire, fait l’objet de débats (Allen, Evans, Hider, Hawkins, Peckett, et Morgan, 2008). Allen et coll. ont étudié un petit groupe d’adultes atteints du syndrome d’Asperger, et ont récolté les données concernant les comportements délinquants de cet échantillon, par le biais d’informateurs. Le facteur prédisposant au passage à l’acte le plus souvent évoqué par ces informateurs, était la présence du syndrome d’Asperger. Les autres facteurs prédisposant évoqués étaient la naïveté sociale, le manque de conscience de la conséquence de ses actes, ainsi qu’une mauvaise interprétation des règles.

A noter, que dans cette étude d’Allen et coll. (2008), le rôle possible du passé de victime sexuelle, comme facteur prédisposant à la criminalité, est totalement absent des hypothèses évoquées par les informateurs. Conformément à l’assertion de Rosenhan (1973), les comportements de délinquance sexuelle sont automatiquement mis en lien avec les symptômes décrit dans le syndrome d’Asperger, et les tentatives d’identification d’autres facteurs pouvant prédisposer au passage à l’acte dans ce groupe d’adultes, tous de sexe masculin, sont presque inexistantes. Selon toute vraisemblance, la majorité des personnes atteintes du syndrome d’Asperger ne commettent pas d’infractions. Par conséquent, il est logique d’évoquer le fait que, des variables non liées à la symptomatologie du syndrome d’Asperger, expliquent, au moins partiellement, la délinquance, quand elle survient. En raison du passé d’agressions sexuelles dans l’enfance, connu chez certains délinquants adultes (Burn et Brown, 2006 ; Coxe et Holmes, 2001), il est raisonnable de penser que ce lien pourrait également exister chez certains délinquants autistes. Il est donc essentiel d’identifier les agressions sexuelles sur les enfants atteints du syndrome d’Asperger et d’autisme, afin qu’une prise en charge appropriée puisse aider les enfants à guérir, et prévenir le développement de comportements délinquants, une fois à l’âge adulte.

violences sexuelles evers les enfants autistes

Conclusions et Préconisations

Le monde de la recherche autour de l’autisme a consacré peu d’intérêt à la question de la sexualité en général et à la possibilité d’agressions sexuelles en particulier. L’absence de recherches ne signifie pas pour autant que le problème n’existe pas. En raison des manifestations particulières du syndrome, les enfants sur le spectre sont plus susceptibles d’encourir un risque d’agression sexuelle que les autres enfants. À cause de ce risque, il incombe aux chercheurs

– d’identifier les différentes stratégies afin de prévenir l’agression sexuelle,

– de développer des protocoles pour réagir de manière adéquate si une violence est constatée,

– d’éduquer les personnes TSA sur la question de la sexualité et des agressions,

– de s’assurer que les enfants autistes sont bien informés qu’ils doivent moduler et alterner les modes de communication,

– de développer des méthodes afin d’aider l’enfant victime à guérir pour qu’il ne développe pas de comportement auto destructeur en réponse aux agressions.

Lorsqu’une agression sexuelle concernant un enfant autiste est constaté, il devrait y avoir des protocoles adaptés pour évaluer si oui ou non a bien eu lieu un acte répréhensible. Il existe différentes techniques pour évaluer la situation avec des enfants neurotypiques lorsqu’ils sont concernés par une agression sexuelle. Cronch, Filjoen, et Hansen (2006) ont recensé les différentes techniques les plus usitées lors d’interrogatoires médico-légaux pour déterminer si l’agression a bien eu lieu. Certaines d’entre elles incluent l’utilisation de tests cognitifs, de poupées anatomiquement détaillées ainsi que d’échanges structurés. Malheureusement ces techniques ne vont pas toujours très bien fonctionner avec des enfants autistes ou dans le spectre.

Premièrement, les évaluations d’agressions sexuelles sont souvent une expérience ponctuelle et unique dans laquelle un enfant va rencontrer une personne qu’il ne connaissait pas auparavant. Or, la plupart des enfants autistes préfèrent la routine et présenter des difficultés dans de nouveaux environnements (Richler, Bishop, Kleinke, & Lord, 2007) et/ ou avec des personnes inconnues.

Temple Grandin décrit les difficultés que peuvent générer les changements dans les routines et l’anxiété que pouvaient causer les nouvelles situations ou nouvelles personnes chez l’enfant autiste qu’elle fut (Grandin & Scariano, 1986). C’est pourquoi la rencontre unique pour une audition peut s’avérer problématique. Deuxièmement les standards de l’interrogatoire médico-légal sont basées sur l’utilisation de protocoles structurés qui mettent l’accent sur les questions ouvertes qui appellent à une narration (Cronch et al., 2006). Ces protocoles demandent à l’enfant d’avoir des aptitudes verbales suffisantes et la capacité à s’engager dans une communication référentielle et la tenue de conversation, une chose que certains enfants autistes ne seront pas en mesure de faire. (Dahlgren & Dahlgren Sandberg, 2008; Hale & Tager-Flusberg, 2005). Tito Rajarshi Mukhopadhyay explique les difficultés qu’il a rencontrées au sujet de la perception et de la reconnaissance faciale. En fait, Tito décrit comment il crée des histoires des expériences sensorielles qu’il vit lors d’échanges verbaux avec d’autres personnes, ces expériences sensorielles souvent liées aux couleurs vives parce qu’il les vis à travers sa synesthésie. Tito précise que “sans ces histoires, reconnaître et se souvenir d’une personne ou une situation lui est très difficile” (Mukhopadhyay, 2008; p. 109). Les protocoles les plus couramment utilisés pour l’évaluation d’agressions sexuelles ne seraient pas adaptés ou fiables pour une personne comme Tito, par rapport à sa façon de se remémorer les  » histoires  » des gens dans son monde. La création de nouveaux protocoles adaptés permettant aux individus autistes de révéler une agression sexuelle est donc impérative. des personnes dans le spectre autistique, comme Temple Grandin, the Newports, Tito Rajarshi Mukhopadhyay et les adultes dont les témoignages figurent dans le livre de Dawn Prince-Hughes, certains ont subi des agressions sexuelles et doivent témoigner du contenu de ces protocoles.

L’inefficacité de ces protocoles habituels pourrait aussi être dûe au fait que les enfants autistes, comme les enfants typiques, ont une durée de concentration courte et n’ont jamais vécu de situation telle qu’un interrogatoire médico-légal, à laquelle ils pourraient se référer. Une version d’évaluation médico-légale plus poussée a été proposée par le National Children’s Advocacy Center (Cronch et al., 2006) dans laquelle différents types d’interrogatoires sont conçus pour s’adresser à ceux qui présentent une courte capacité de concentration et/ ou ceux qui ont besoin d’établir un rapport avec leurs interlocuteurs avant de pouvoir se livrer à un échange significatif et personnel. Bien que cette version des protocoles soit le fruit d’un besoin de processus plus adapté pour interroger de très jeunes enfants, elle pourrait très bien convenir aux enfants autistes. Des modifications pour ajuster les défis proposés dans ce document devront certainement être apportées. La difficulté à reconnaître les visages et lieux (Mukhopadhyay, 2008), la tendance à se fermer à toute communication lorsque l’interlocuteur devient condescendant (Mukhopadhyay, 2008; Prince-Hughes, 2002), et une faible conscience de son corps (Grandin & Scariano, 1986; Newport & Newport, 2002; Prince-Hughes, 2002), sont des défis supplémentaires auxquels les personnes dans le spectre autistique doivent souvent faire face, cela doit être reconnu et pris en compte dans l’élaboration de ces nouveaux protocoles. De plus, grâce aux témoignages personnels des individus qui s’identifient dans le spectre et leur participation contribueront à élaborer ces nouveaux protocoles plus enclins à permettre la révélation fiable d’une agression sexuelle subie par les TSA verbaux comme les non verbaux. Sans un aveu que l’agression sexuelle est un réel risque pour l’enfant autiste il n’y aura pas de mesures adéquates prise pour assurer la sécurité de ces enfants pour aider ceux qui ont été sexuellement agressés à guérir de ces violences et de prévenir les potentielles autres victimes.

Angie, une adulte autiste dont les résultats aux tests d’intelligence se révèlent d’un niveau très supérieur raconte les conséquences d’agressions psychologiques, physiques et sexuelles survenues durant l’enfance (Prince-Hughes, 2002). Elle dit, « je suis effrayée à l’idée de me retrouver dans une situation où je dois expliquer quelque chose à quelqu’un… La plupart du temps je reste seule parce que je me fais trop d’ennemis dès que je dis quelque chose… je ne suis plus vraiment intéressée par quoi que ce soit plus même si j’avais autre fois la remarquable possibilité de m’intéresser à tout. En fait j’aurais préféré avoir un retard mental parce que la plupart des gens comprennent ce que c’est et ma vie aurait probablement été plus simple et meilleure (Prince-Hughes, 2002; pp. 77-78). Angie est capable d’exprimer et la frustration de ne pas être comprise à cause de son autisme et le désespoir causé par ces agressions survenues dans son enfance ou qui y ont au moins contribué, en tout cas. Pour les individus autistes comme Angie, capables de s’exprimer clairement sur les conséquences d’agressions et pour ceux qui ne le peuvent pas, il est impératif que nous, chercheurs, éducateurs et enseignants, parents et les voix autistes qui s’élèvent, tous ensemble, nous trouvions un moyen de communiquer plus largement sur la question des risques d’agressions sexuelles encourus par les personnes autistes et TSA, afin de permettre un panel plus large d’outils de communication, pour pouvoir entendre et comprendre lorsqu’une agression a eu lieu et plus important pour pouvoir prévenir d’éventuelles agressions en amont. L’auteur tient à remercier Ralph et Emily Savarese pour leurs commentaires tout au long de la rédaction de ce manuscrit.

Sources : cliquer ici

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