Les femmes autistes cachent des luttes complexes derrière des masques


Élodie Chatelais  a traduit cet article de SpectrumNews relatant des difficultés des femmes autistes :

« Women with autism hide complex struggles behind masks » de et 20 Septembre 2016.

Gwen est une jeune femme créative et intelligente qui connaît la réussite en tant qu’artiste. Pourtant, quand elle était enfant, elle avait juste envie de s’isoler et de passer inaperçue. D’aussi loin qu’elle se souvienne, elle se sentait déjà différente des autres enfants, et elle fournissait beaucoup d’efforts en vue de camoufler certains aspects de sa personnalité en faisant semblant d’être « normale ». Elle n’a pas vécu une enfance heureuse, et l’adolescence a été une période encore plus difficile à traverser. Les relations avec ses pairs devenant de plus en plus complexes, elle a lutté pour s’adapter. (Gwen est une participante de notre étude ; nous avons changé son nom pour protéger sa vie privée.)

Gwen a reçu un traitement pour l’anxiété et la dépression quand elle avait la vingtaine. Et à mesure qu’on l’aidait à reconsidérer ses expériences et ses sentiments, elle s’est rendue compte qu’elle présentait peut-être bien un trouble du spectre de l’autisme. Un psychologue a validé son auto-diagnostic et lui a remis un diagnostic officiel, et c’est à partir de ce moment-là que tout ce qu’elle avait vécu a pris son sens.

Elle a enfin compris pourquoi elle avait autant de mal à s’entendre avec ses pairs à l’école et au travail, et quand elle se sentait en surcharge sensorielle dans les magasins bondés et bruyants, elle savait désormais que cela fait partie de la sensibilité sensorielle caractéristique des TSA. Aujourd’hui, le fait de savoir qu’elle fait partie de la communauté autistique lui donne de la force, et elle est de plus en plus fière d’être ce qu’elle est : une jeune femme qui présente un trouble du spectre de l’autisme.

D’autres filles et femmes présentant un TSA se reconnaîtront dans l’histoire de Gwen : l’anxiété et le sentiment d’aliénation, le stress dû aux tentatives de s’intégrer et les relations sociales difficiles. À l’instar de Gwen, beaucoup de femmes présentant un TSA reçoivent un diagnostic tardif, tandis que d’autres reçoivent un mauvais diagnostic, ou pas de diagnostic du tout.

camouflage social chez les femmes autistes, AFFA

Nous avons voulu mieux comprendre les expériences des femmes présentant un TSA en vue de mieux les identifier pour les aider au plus tôt. Dans cette étude publiée au mois de juillet, nous avons défini les signes distinctifs des femmes présentant un TSA, qui incluent un risque élevé d’être victime d’agressions sexuelles, l‘épuisement dû aux efforts fournis pour se fondre dans la masse, et le fait d’être perpétuellement incomprise[^1]. Ces signes distinctifs nous ont permis de définir des mesures précises à prendre en vue de rendre la vie de ces femmes meilleure.

Langage littéral

La plupart des cliniciens (ndlt : la plupart des cliniciens anglo-saxons) et des membres de la communauté autistique s’accordent pour dire que les femmes présentant un TSA n’ont pas les mêmes caractéristiques que les hommes présentant un TSA. Mais aucune différence de genre significative n’apparaît quand on se base sur des résultats d’essais cliniques et des indicateurs. Ces différences de genre sont-elles vraiment insignifiantes, ou passons-nous à côté de ces différences en oubliant de poser les bonnes questions aux personnes concernées ?

Pour résoudre ce problème, nous avons adopté une approche peu conventionnelle qui consiste à porter une grande attention aux expériences des femmes présentant un TSA. Nous avons posé des questions sur leurs vies à 14 femmes présentant un TSA, dans l’espoir que leurs mots nous permettent de comprendre les manifestations subtiles de l’autisme chez les femmes que l’on ne voit pas dans les résultats des tests classiques. Le fait de comprendre ces caractéristiques devrait nous permettre de mieux aider les femmes présentant un TSA, dans l’espoir qu’elles n’aient plus le sentiment de devoir faire profil bas.

Notre étude porte sur les femmes ayant reçu un diagnostic de TSA à l’âge adulte. Nous avons déterminé qu’en comparaison aux filles diagnostiquées durant l’enfance, les expériences de ces femmes seraient susceptibles de nous aider à comprendre à quel point et pourquoi on ne se rend pas toujours compte que certaines femmes présentent un TSA. Nous espérions aussi que cela nous aiderait à évaluer les dommages provoqués par un diagnostic erroné.

Robyn Steward présente elle-même un TSA, et sa perspicacité nous a permis de créer les conditions favorables à l’expression des femmes participant à l’étude. Nous avons par exemple demandé à la personne qui menait les interviews de poser des questions littérales, tout particulièrement quand les questions portaient sur des sujets sensibles comme la consommation de drogues et le sexe, et que les participantes étaient tentées d’avoir recours à un langage abstrait et indirect.

Plans et aides visuelles

Nous avons fait en sorte qu’aucun stimulus sensoriel —bruits intenses ou lumières vives—  susceptible de rendre les participantes agitées ne parasite la salle d’interview. Nous avons préparé les participantes en leur envoyant au préalable des plans et des photos de la salle d’interview.

Quand l’idée d’une conversation en face-à-face les mettait malgré tout mal à l’aise, nous leur proposions de faire une visioconférence à la place. Et pendant l’interview, nous leur proposions d’utiliser un chronomètre en guise d’aide visuelle, pour qu’elles sachent à quel moment elles devraient passer à la question suivante.

Les autres membres de l’équipe n’auraient pas pensé à adapter la salle d’interview, et nous sommes convaincus que cela a aidé les participantes à s’ouvrir et à parler ouvertement de certains aspects de leur vie. Nous disposons probablement d’une base de données plus riche que si nous nous étions retrouvés face à des femmes nerveuses et réticentes.

Nous avons encouragé les participantes à parler de sujets que nous n’avions pas prévu d’aborder, et nous avons eu recours à la technique de l’analyse du cadre, qui permet de classer automatiquement les données verbales pour recouper des thèmes communs dans les conversations.

Comme Gwen, la plupart des participantes ont eu des difficultés sur le plan émotionnel durant l’enfance et l’adolescence. Leurs médecins, professeurs et parents ont souvent pensé à tort que c’était juste de l’anxiété, de l’impolitesse, de la maladresse ou une dépression.

Beaucoup de participantes ont eu le sentiment que les médecins avaient ignoré ou pas tenu compte de leurs préoccupations. Beaucoup de professionnels avaient des idées reçues —voire surréalistes— sur l’autisme, ce qui ne les aidait pas. Par exemple, certains professionnels étaient apparemment convaincus que l’autisme touche très peu de femmes.

L’éducateur spécialisé d’une des participantes lui a dit qu’elle était « trop nulle en maths » pour être autiste. D’autres étaient convaincues qu’elles étaient incomprises car leurs professeurs et médecins n’avaient jamais entendu parler des caractéristiques des femmes présentant un TSA. La plupart d’entre elles ont affirmé que leur vie aurait été plus simple si elles avaient reçu un diagnostic de TSA plus tôt.

Incertitude sociale

Les résultats de notre recherche laissent penser que les professeurs et les cliniciens devraient savoir comment l’autisme se manifeste chez les femmes. Ils devraient savoir qu’une fille qui a une amie proche ou qui cherche à se faire des amis peut malgré tout présenter un TSA. Et ils devraient savoir qu’une forte anxiété couplée à des difficultés sur le plan social sont un signe potentiel d’autisme. Ces professionnels réduisent trop souvent les nombreuses difficultés de ces filles à de la « timidité ». Nous avons découvert un nombre élevé de témoignages d’agressions sexuelles, ce qui a choqué les deux membres neurotypiques de l’équipe, mais pas Robyn Steward. En tant que consultante en autisme, elle intervient dans des écoles, auprès des services sociaux et de compagnies de théâtre, et elle a déjà entendu un certain nombre d’histoires de filles et de femmes présentant un TSA agressées sexuellement par des hommes.

Le motif des agressions sexuelles varie, mais toutes semblent être en lien avec les difficultés sociales typiques de l’autisme couplées à leur condition de femme.

Par exemple, l’une des participantes pense qu’elle a été agressée sexuellement car elle est « incapable de deviner qu’une personne est malsaine. » Une autre a dit qu’elle n’était pas sûre de pouvoir dire « non » aux demandes répétitives et insistantes de son partenaire à cause de son incertitude quant aux règles sociales. D’autres avaient le sentiment que durant leur adolescence, elles ne savaient pas qu’il existait des moyens de se protéger car elles n’avaient pas d’amies avec qui en parler.

Notre étude seule ne permet pas d’établir des statistiques sur la prévalence des agressions sexuelles chez les femmes présentant un TSA, mais les résultats de nos recherches mettent en avant un besoin de recherche dans le domaine de l’autisme au féminin. Et ils semblent clairement indiquer qu’il faudrait que les femmes présentant un TSA reçoivent une éducation sexuelle appropriée en mettant l’accent sur la notion de consentement et sur les différentes manières de rester en sécurité.

camouflage chez les femmes autistes, AFFA

Identité secrète

Comme Gwen, la plupart des participantes faisaient semblant de ne pas être autistes avec succès —un phénomène que l’on appelle parfois « camouflage ». Elles disent que c’est comme porter un « masque » ou adopter une personnalité construite avec soin en copiant le comportement de camarades populaires ou de personnages fictifs, ou en étudiant des ouvrages de psychologie.

La plupart des femmes ont expliqué que les efforts fournis pour faire semblant d’être « normale » les épuisaient et les laissaient désorientées, et beaucoup pensent que c’est à cause de cela qu’elles n’ont pas été diagnostiquées plus tôt. À ce jour, aucun test ne permet de détecter les signes de « camouflage », et c’est un obstacle majeur pour les cliniciens et les chercheurs qui veulent comprendre et aider les femmes présentant un TSA.

Ce qu’il faudrait, c’est concevoir une méthode qui permette d’évaluer le degré de « camouflage », pour savoir si c’est un trait plus commun chez les femmes que chez les hommes présentant un TSA —nous pensons que oui—, et si cela a des conséquences négatives telles que le risque élevé de diagnostic tardif. Cette méthode aiderait les cliniciens à établir des diagnostics d’autisme plus précis chez les filles et chez les femmes.

Les résultats de nos recherches soulèvent également des questions d’ordre moral. Jusqu’à récemment, beaucoup de membres de la communauté LGBT se sentaient forcés de cacher leur orientation sexuelle. Heureusement, même si l’homophobie est toujours répandue, elle l’est moins qu’avant. Nous pensons qu’il en va de même pour les femmes présentant un TSA, et qui se sentent obligées de faire semblant d’être « normales ».

Les chercheurs et les cliniciens ont tendance à mesurer les progrès en se basant sur le nombre de traitements ayant fait leurs preuves et disponibles sur le marché.

En ce qui concerne l’autisme, nous proposons d’adopter une grille de lecture différente, qui consiste à évaluer la mesure dans laquelle les sociétés permettent aux autistes de vivre sans avoir à faire semblant d’être ce qu’ils ne sont pas.

William Mandy est maître de conférences en psychologie clinique à l’UniversityCollege London. Robyn Steward est chercheuse associée à l’université.

Références:

¹Bargiela S. et al. J. Autism Dev. Disord. Epub ahead of print (2016) PubMed

Spectrumnews publie des informations et des analyses en lien avec l’évolution de la recherche dans l’autisme. Spectrumnews est une organisation financée par la Simons Foundation Autism Research Institute (SFARI), tout en étant indépendante sur le plan éditorial.

© Simons Foudation, Spectrum and authors, tous droits réservés

© Traduction Élodie Chatelais, pour l’Association Francophone de Femmes Autistes (AFFA).

Cet article ne peut être reproduit ou copié sans l’autorisation expresse de Spectrum.

Mise en page – Nathalie Saillard-Pichon – 28 Avril 2019
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