Représentation neuronale chez les femmes autistes et association avec le « camouflage compensatoire »


Résumé de l’étude Neural self-representation in autistic women and association with ‘compensatory camouflaging menée par  Meng-Chuan Lai, Michael V Lombardo, Bhismadev Chakrabarti, Amber NV Ruigrok, Edward T Bullmore, John Suckling, Bonnie Auyeung, Francesca Happé, Peter Szatmari, Simon Baron-Cohen, publiée le 24 octobre 2018 – Par Phan Tom, membre de l’AFFA

Introduction

L’autisme est un trouble neuro-développemental qui se caractérise par des difficultés de communication sociale précoces accompagnées de comportements stéréotypés, des intérêts spécifiques, un besoin d’immuabilité et une perception sensorielle particulière.

La population des personnes autistes est hétérogène et le fonctionnement d’un individu ne peut être généralisé à l’ensemble des personnes partageant ce diagnostic. Il faut aller au-delà de la dénomination  clinique de l’autisme pour mieux identifier les variables de stratification importantes qui peuvent décrire l’hétérogénéité de ce trouble (Kapur et al., 2012; Loth et al., 2017).

Un des stratificateurs importants est celui du genre (Lai et al., 2015, 2017a). Pendant plusieurs années un sexe ratio de 4-5 hommes pour une femme a été rapporté dans les études de prévalence de l’autisme, surtout celles impliquant des échantillons cliniques (Fombonne et al., 2011). Cependant, des études basées sur des méta-analyses (analyses de plusieurs données issues de recherches différentes) montrent qu’avec un système de vérifications moins biaisées, le ratio se situe autour de 3 hommes pour une femme (Loomes et al., 2017).

Deux implications importantes découlent de cette mise à jour du sexe ratio de l’autisme :

  • la première est que les femmes autistes ont tendance à être sous identifiées cliniquement à moins qu’elles aient des difficultés émotionnelles, cognitives ou comportementales (Duvekot et al., 2017; Dworzynski et al., 2012). Les femmes peuvent présenter des caractéristiques comportementales autistiques partiellement différentes de celles des hommes (Lai et al., 2015, 2018; Mandy, 2017), et les contextes socioculturels liés au sexe/genre peuvent également conduire à une sous-reconnaissance des caractéristiques autistiques chez les femmes (Dean et al., 2017; Kreiser et White, 2014)
  • la seconde implication est que même après avoir retiré l’effet du biais de genre, la prévalence de l’autisme reste indubitablement largement masculine.

 

Afin de réduire les difficultés de repérage de l’autisme chez les femmes, les chercheurs commencent à décrire ce qu’on appelle le « profil féminin » de l’autisme, c’est-à-dire les comportements qui sont en moyenne plus fréquemment exprimés chez les femmes que chez les hommes, en particulier chez les personnes sans déficience intellectuelle et sans trouble du langage. La technique du camouflage (défini comme le fait d’adopter les comportements neurotypiques), comme moyen de faire face à des situations sociales, a été proposée comme étant plus courant chez les femmes ayant des capacités cognitives, en particulier chez celles dont l’autisme n’est pas reconnu tôt dans la vie (Attwood, 2007; Bargiela et al., 2016; Wing, 1981).

Qualitativement, le camouflage comprend à la fois des techniques visant à masquer les comportements autistiques et des techniques visant à compenser les déficits liés à l’autisme. Concrètement cela se traduit par : diminuer ou cacher les comportements de stimulation, forcer le contact du regard, forcer les expressions du visage, écrire des scripts sociaux à l’avance pour rendre les conversations sociales plus agréables pour leur interlocuteur (Hull et al., 2017).

Quantitativement, le camouflage peut être mesuré par l’écart entre (1) les comportements mesurés à l’aide de tests cliniques basés sur l’interaction et (2) les caractéristiques autistiques auto déclarées (description de l’état interne) et la mesure des compétences cognitives et sociales à l’aide de tests objectifs  (Lai et al., 2017b).

En utilisant cette définition opérationnelle, les chercheurs ont démontré préalablement que les femmes autistes montrent de plus grande capacités de camouflage comparativement aux hommes de même âge et avec le même niveau de QI. Cette augmentation du camouflage est liée avec un meilleur contrôle cognitif chez les femmes autistes (Lai et al., 2017b).

On peut apporter une précision concernant le camouflage : celui-ci se distingue de ce  la désirabilité sociale des personnes non autistes, par les caractéristiques suivantes :

  • il est extrêmement coûteux en énergie et de nature compensatoire par rapport à des déficits perçus (Bargiela et al., 2016; Hull et al., 2017) ;
  • il entraîne un niveau d’anxiété élevé (Livingston et al., 2018).

 

Dans cette étude les chercheurs voulaient examiner si les réponses neurologiques atypiques de mentalisation et représentation dans l’autisme dépendent du genre et tester si le camouflage est associé à des modèles de fonctionnement social du cerveau qui sont liés au genre.

Chez les individus au développement typique, la jonction temporo-pariétale droite (RTPJ) se développe à l’âge adulte avec une spécialisation croissante pour la mentalisation par rapport aux jugements physiques sur les personnes (Gweon et al., 2012 ; Saxe et al., 2009), et le cortex préfrontal ventromedial (vMPFC) établit une distinction neuronale soi-autre avec des réponses améliorées au traitement auto-référentiel par rapport au traitement autre-référentiel (Kelley et al., 2002; Moran et al., 2006).

Nous avions précédemment signalé que les hommes autistes présentaient une réponse d’auto-représentation du cortex préfrontal ventromedial vMPFC et des réponses de mentalisation de la jonction temporo-pariétale droite RTPJ qui sont réduites comparées aux hommes qui ont un développement typique (Lombardo et al., 2010, 2011). S’appuyant sur ces résultats antérieurs, dans cette étude, les chercheurs ont adopté une approche par région d’intérêt et se sont concentrés sur RTPJ et vMPFC pour étudier la dépendance sexe / genre du traitement neurologique de l’autisme.

Ce travail a pu être mené grâce à de nouvelles données issues de l’imagerie cérébrale qui ont été collectées auprès d’un échantillon de 57 femmes autistes et non autistes ainsi que de 62 hommes autistes et non autistes. Les hommes et les femmes de l’échantillon ont un âge un niveau de QI proche, permettant ainsi une analyse comparative.

En se basant sur la littérature sur le sujet, qui montre une dépendance de sexe/genre des caractéristiques neuronales dans l’autisme, les chercheurs ont émis l’hypothèse que les fonctions sociales au niveau du cerveau fonctionnent différemment chez les femmes et chez les hommes.

De plus, étant donné que les femmes autistes sont plus susceptibles d’invoquer des stratégies / mécanismes de camouflage compensatoire que les hommes autistes dotés de capacités intellectuelles similaires (Lai et al., 2017b), il se pourrait que le fonctionnement social cérébral différent supposé soit associé à un camouflage comportemental renforcé.

 

Résultats

L’échantillon se compose de 33 hommes non autistes, 29 hommes autistes, 29 femmes non autistes et 28 femmes autistes, soir 119 personnes au  total. Les personnes autistes ont toutes été diagnostiquées selon les critères de la CIM-10 ou du DSM-4.

Nous avons examiné si l’auto-représentation neuronale atypique et les réponses de mentalisation au sein de vMPFC et RTPJ (deux régions du cerveau) sont dépendants du sexe / du genre dans l’autisme et comment le camouflage est associé avec ces fonctions sociales cérébrales.

Les chercheurs ont observé une distinction de genre dans l’activation des modèles neuronaux puisqu’il existe une sous activation des aires liées à la représentation de soi chez les hommes autistes comparés aux hommes au développement typique, mais aucune différence n’est visible entre les femmes autistes et les femmes au développement typique. La mise en place des techniques de camouflage, que l’on observe davantage chez les femmes, pourrait être liée à une meilleure représentation de leur propre image et donc de leur décalage avec les représentations sociales normées.

En outre, le camouflage accru chez les femmes autistes, mais pas chez les hommes, était lié à une plus grande réponse d’auto-représentation neuronale de vMPFC ; ces résultats sont restés les mêmes quelle que soit la version des scores de l’algorithme  ADOS utilisée pour estimer le camouflage.

Plusieurs études (Lai et al., 2017a) ont montré une dépendance de sexe/genre dans la structure atypique des cerveaux des personnes autistes. Une dépendance de sexe a aussi été démontrée par l’imagerie cérébrale dans les domaines de l’empathie, de la reconnaissance des émotions, de l’attribution spontanée des états mentaux (Holt et al., 2014; Kirkovski et al., 2016 ; Schneider et al., 2013).

Des preuves comme celles-ci montrent qu’il existe une différence qualitative de sexe/genre dans le cerveau autiste et il est important de prendre en compte les effets différentiels de sexe /genre car ils peuvent jouer un rôle modulateur considérable et modifier les interprétations de la littérature antérieure (Lai et al., 2017a). Ainsi les recherches concernant le fonctionnement social (hypoactif) des personnes autistes pourraient être biaisées par des échantillons essentiellement masculins (Di Martino et al., 2009; Philip et al., 2012). En réalité, ce fonctionnement social atypique pourrait prendre une forme bien différente chez les hommes et chez les femmes.

La manière dont les fonctions sociales du cerveau se développent selon le sexe/genre depuis l’enfance pourrait être éclairée par des études longitudinales (Johnson, 2017; Lombardo et al., 2015 ; Szatmari et al., 2016).

 

Les différences observées entre le fonctionnement cérébral masculin et féminin des fonctions sociales serait liées à la fois à des différences biologiques qui se rapportent au sexe (avant la naissance) mais aussi à des expériences sociales liées au genre (après la naissance).

L’environnement socio-culturel des femmes pourrait en moyenne être exposé à des standards plus élevé en matière de communication sociale, que ne le sont les hommes et ce afin de répondre à une répartition classique des rôles genrés (Kreiser and White, 2014).

Les femmes autistes peuvent être sommées plus que les hommes de modifier leurs comportements par du camouflage (Attwood, 2007 ; Bargiela et al., 2016 ; Livingston and Happé, 2017) du fait de ces attentes sociétales par rapport aux rôles sociaux (Kanfiszer et al., 2017 ; Kreiser and White, 2014 ; Lai et al., 2015) ce qui entraîne des expériences de représentation de soi différentes qui elles-mêmes génèrent des mécanismes cérébraux différents. Cela pourrait expliquer le niveau « normal » d’autoreprésentation et de mentalisation au sein de vMPFC et RTPJ pour les femmes autistes.

 

La manière dont les personnes autistes mettent en place le camouflage et compensent leurs difficultés en grandissant est un champ de recherche important mais qui a été peu exploré jusqu’à présent.

Deux formes de compensations existent :

  • la compensation superficielle : qui est moins élaborée, peu flexible et reste fragile. Elle peut conduire à des faux-pas (Baron-Cohen et al., 1999; Thiebaut et al., 2016) car elle est peu adaptable aux différents contextes ;
  • la compensation profonde : qui est plus élaborée et adaptable en contexte.

Les deux types de compensations activent des modèles neuronaux différents (Livingston and Happé, 2017).

 

Une interprétation plausible de cette recherche est que les femmes autistes activeraient plus en moyenne la compensation profonde, que les hommes autistes.

Pour s’engager avec succès dans le camouflage social les femmes autistes doivent pouvoir percevoir la nature sociale de leur propre comportement et l’impact de celui-ci sur autrui. Elles doivent constamment mettre à jour les différences entre leurs comportements naturels et leurs comportements camouflés dans le but d’être perçue comme neurotypiques (Hull et al.,2017).

Le point principal de ces processus est la capacité à présenter des similarités et des différences entre soi même et les autres – fonction dans laquelle le vMPFC joue un rôle essentiel (Kelley et al., 2002 ; Mitchell et al., 2006 ; Moran et al., 2006 ; Nicolle et al., 2012)..

Par ailleurs notre recherche est particulièrement pertinente pour répondre à la thématique de l’hétérogénéité de l’autisme.

Bien d’autres questions empiriques sont posées : est-ce que ces différences de sexe/genre sont liées à des causes biologiques, sociales ou les deux causes inter-mêlées ? Est-ce que ces mécanismes sont divergeant parmi les sexes et les genres durant toute une vie ?

 

Limites de l’étude

  • la taille de l’échantillon car même si c’est le plus vaste échantillon mobilisé jusqu’à présent, il faudrait encore étendre le nombre de participants
  • l’échantillon hommes/femmes présente des correspondances communes en matière d’âge et de QI, mais pas concernant les scores à l’ADOS. Une étude des résultats à l’ADOS a aussi été menée car de récentes études montrent que les femmes auraient des résultats moins élevés à ces outils classiques, reconnus internationalement (Hiller et al., 2014 ; Lai et al., 2011; Langmann et al., 2017 ; Rynkiewicz et al., 2016). Ces résultats moins sévères obtenus par les femmes autistes peuvent s’expliquer par les stratégies de compensation et de camouflage mises en place (Lai et al., 2011; Langmann et al., 2017; Livingston and Happé, 2017; Rynkiewicz et al., 2016).
  • l’échantillon implique des adultes autistes et non autistes, il est plus difficile de délimiter le sexe et le genre, autrement dit qu’est-ce qui dans les comportements relève d’une différence biologique et qu’est qui relève de l’éducation et des représentation sociales.

 

Conclusion

En conclusion, les résultats sur la fonction cérébrale sociale dans l’autisme semblent dépendre du sexe/genre. Alors que les hommes autistes sans déficience intellectuelle présentaient une réduction de l’auto-représentation de vMPFC et des réponses de mentalisation du RTPJ par rapport aux hommes non autistes, les femmes autistes sans déficience intellectuelle présentaient un manque de différences dans les réponses neuronales par rapport aux femmes non autistes.

Les réponses d’auto-représentation vMPFC plus élevées ont été associées à un camouflage accru, mais uniquement chez les femmes autistes. Ces informations pourraient conduire à de nouvelles recherches sur la manière dont l’hétérogénéité liée au sexe/genre est liée aux mécanismes compensatoires de l’autisme et offrent un potentiel de traduction pour développer un nouveau support d’adaptation sociale aux personnes autistes.

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Commentaire sur “Représentation neuronale chez les femmes autistes et association avec le « camouflage compensatoire »

  • Séverine

    Je me demande si le fait que les femmes compensent ne viendrait pas tout simplement du rôle de la femme dans la société depuis des millénaires . Les femmes ont été éduquées pour ne pas faire de vague , rester à leur place , être aimables donc sociables . Ce genre d ‘éducation patriarcale a pu modifier la structure du cerveau féminin au fil du temps . On retrouve les mêmes problèmes de détection dans le tdah ( trouble déficitaire de l’ attention ) .Les filles ont une façon d’être agitées qui est plus discrète , plus acceptable socialement parlant .