Résumé de l’étude Gender Identity in Autism: Sex Differences in Social Affiliation with Gender Groups
par Phan Tom pour l’AFFA
Sommaire
INTRODUCTION
Comme mentionné dans le DSM-5 (5th ed.; DSM–5; American Psychiatric Association 2013), les Troubles du Spectre de l’Autisme se caractérisent par :
- des difficultés de communication et d’interactions sociales.
- des comportements répétitifs et restreints.
L’autisme touche environ 1 % de la population générale, avec un nombre plus important d’hommes que de femmes (Baird et al. 2006). Des recherches récentes ont mis en lumière des différences de sexe dans le phénotype autistique (e.g. Mandy et al. 2012; Lai et al. 2011; Hiller et al. 2014) mais les chercheurs ne sont pas toujours d’accord sur la nature de ces différences.
La théorie du cerveau masculin extrême de S. Baron Cohen (2002) pose l’hypothèse que le profil cognitif des personnes autistes est caractérisé de « masculin », c’est-à-dire « défini psychométriquement comme des individus chez qui la systématisation est nettement meilleure que l’empathie » (Baron-Cohen 2002, p. 248).
Ce fonctionnement a été caractérisé de masculin du fait des preuves mettant en avant des différences de sexe dans la population générale, pour ces deux compétences (systématisation et empathie) :
- Les hommes surperforment par rapport aux femmes dans la catégorie de systématisation.
- Les femmes surperforment par rapport aux hommes dans la catégorie de l’empathie.
Ces différences sont bien sur modulées par la motivation des individus et les normes culturelles.
Cette théorie s’enracine aussi dans les différences physiologiques au niveau de l’anatomie du cerveau. Les filles nouveau-nées dont l’anatomie du cerveau est proche de celle des garçons nouveau-nés ont trois fois plus de chance d’être autistes (Ecker et al. 2017).
Des études récentes prouvent que les filles/femmes autistes ne s’identifient pas ou peu aux normes conventionnelles de leur groupe de genre.
Ces études qualitatives montrent que les filles/femmes autistes ont plus de facilité à se socialiser avec des garçons/hommes plutôt qu’avec d’autres filles/femmes (Bargiela et al. 2016 ; Cridland et al. 2014). Elles ont aussi des difficultés à s’identifier au concept de féminité (Kanfiszer et al. 2017).
Variance de genre
La variance de genre peut se définir comme une identité de genre qui ne serait pas conforme à la norme classique qui définit les rôles sociaux des hommes et des femmes.
Les études ont montré que 22 % (Dewinter et al. 2017) et 33 % (Bejerot and Erikson 2014 ; George and Stokes 2017) des femmes autistes déclarent avoir une variance de genre, comparé à 8 % (Dewinter et al. 2017) et 22 % (George and Stokes 2017) d’hommes autistes. Des taux élevés de variance de genre ont été reportés à la fois chez les femmes et les hommes autistes, et même si les femmes sont plus touchées, cela suggère que le groupe des personnes autistes de manière générale est plus affecté que les personnes non autistes.
Dysphorie de genre
La dysphorie de genre, qui correspond au fait de ne pas se reconnaitre dans son sexe biologique de naissance, est aussi plus élevée chez les personnes autistes que dans la population générale.
Des traits autistiques plus importants ou des personnes avec un diagnostic d’autisme sont plus fortement représentés dans les cliniques qui opèrent un changement de sexe (de Vries et al. 2010 ; Jones et al. 2012 ; Pasterski et al. 2014 ; Skagerberg et al. 2015 ; Kaltiala-Heino et al. 2015; Vander- Laan et al. 2015 ; Shumer et al. 2016).
Spectre de l’identité de genre
La dysphorie de genre et la variance de genre peuvent tous deux être conceptualisés comme faisant partie du spectre de l’identité de genre. L’identification de genre est un concept distinct de celui d’identité de genre et peut se définir comme la manière d’adhérer en tant que membre à l’identité sociale d’un groupe de genre. C’est le fait d’avoir un lien psychologique avec un groupe de genre. Par exemple, une personne avec l’identité de genre « femme » s’identifie fortement aux autres femmes, parce qu’elle partage le même groupe de genre.
Les groupes de genre les plus dominants sont « hommes » et « femmes », mais le genre est de plus en plus conceptualisé comme un spectre avec des variations plutôt que comme une construction binaire. Certaines personnes ne se reconnaissent dans aucun genre, on dit qu’elles sont « libre de genre » ou « sans genre » (gender free).
Estime de soi de genre
Une personne ayant une forte « estime de soi de genre » perçoit positivement son groupe de genre auquel elle s’identifie.
Les sentiments positifs au sujet d’un groupe de genre, ou l’estime de soi de genre, peuvent être mesurés par une échelle auto-administrée (e.g. Luhtanen and Crocker 1992). Par exemple, l’estime de soi de genre d’un individu qui s’identifie comme non-binaire serait liée à la façon dont il perçoit positivement le groupe « personnes non-binaires ».
Chez les personnes au développement typique, l’affiliation sociale à un groupe de genre a montré une association positive avec le bien-être psychologique (Good and Sanchez 2010). Une étude auprès de femmes transgenres au développement typique a montré que les sentiments positifs concernant l’identité de genre étaient corrélés à une amélioration du bien-être psychologique (Sanchez et Vilain, 2009).
Chez les personnes autistes, un sentiment d’appartenance sociale avec d’autres personnes autistes a été associé à une amélioration du bien-être psychologique (Cooper et al. 2017).
Par conséquent, l’appartenance sociale à un groupe de genre se présente comme un construit important à mesurer chez les personnes autistes, un groupe riche en diversité de genre, connu pour être vulnérable aux problèmes de santé mentale (Hofvander et al. 2009).
En matière de différences de sexe dans l’identification de genre dans la population générale, les femmes et les hommes ont tendance à avoir des résultats similaires (e.g. Schmader 2002).
Objectifs et hypothèses
Compte tenu des preuves suggérant des taux élevés de variance de genre et de dysphorie chez les personnes autistes, le but de cette recherche était de déterminer si le fait d’être autiste avait une incidence sur l’identification des hommes et des femmes à un groupe de genre et à quel point ils perçoivent cela comme étant positif. Les chercheurs ont notamment démontré que les femmes autistes avaient une plus grande variance de genre que les hommes autistes, la manière dont cela affecte l’attachement à leur groupe de genre (identification de genre) et dans quelle mesure ils ont un sentiment positif à l’égard de leur groupe de genre (estime de soi du genre).
Dans cette étude, les chercheurs ont testé plusieurs hypothèses :
-
hypothèse 1 : l’ensemble des participants autistes hommes ou femmes ont une plus faible identification de genre et d’estime de soi de genre que les personnes non autistes.
-
hypothèse 2 : les participants qui ont une variance de genre auraient une identification de genre et une estime de soi plus faibles que ceux qui n’ont pas de variance de genre.
-
hypothèse 3 : les femmes autistes se considéreraient nettement plus masculines et moins féminines que les femmes au développement typique.
-
hypothèse 4 : les femmes autistes ont une plus faible identification de genre et estime de soi de genre que les hommes autistes.
La méthode
Cette étude compare plusieurs catégories de population entre elles :
-
le sexe: les hommes et les femmes.
-
le diagnostic d’autisme : les personnes autistes et les personnes non autistes.
-
le genre : conformité de genre et non-conformité de genre ( = variance de genre).
L’échantillon total atteint 486 participants : 101 femmes autistes, 118 hommes autistes, 153 femmes non autistes, 114 hommes non autistes.
Les participants sont âgés entre 16 et 80 ans et n’ont pas de déficience intellectuelle.
Ils ont été recrutés en ligne sur des forums ou des sites internet dédiés aux personnes autistes. Les diagnostics n’ont pas été enregistrés ou validés, mais seules les personnes déclarant un diagnostic d’autisme complet ont été inscrites dans la catégorie des personnes autistes.
Bien qu’une évaluation indépendante du diagnostic de l’autisme soit importante dans la recherche pour confirmer l’appartenance à un groupe de diagnostic, cette méthode d’échantillonnage en ligne a permis aux chercheurs d’atteindre un échantillon plus large de personnes autistes. Des méthodes similaires ont été utilisées avec succès pour d’autres grandes études en ligne (par exemple, Kenny et al. 2015).
Les catégories de sexe, de genre et de diagnostic d’autisme ont été divisées en sous-variables et comparées entre elles. Une analyse de Chi-Deux a été réalisée afin de déterminer les liens de dépendance entre les variables.
Le premier test de Chi-Deux a été réalisé pour tester les associations entre les deux catégories liées au genre : mesure de l’identité de genre et la transition de genre. Le calcul de Chi-Deux réalisé après cela analyse les associations entre
-
le genre et les personnes autistes/non autistes ;
-
le genre et les hommes autistes/femmes autistes.
Les résultats : identification de genre et estime de soi de genre
Le but de cette étude était d’enquêter sur les différences entre les sexes chez les participants autistes et non autistes par rapport à l’attachement à un groupe de genre (identification de genre) et les sentiments positifs attachés au groupe de genre (estime de soi du genre).
Résultat de l’hypothèse 1 :
Les résultats confirment l’hypothèse selon laquelle les personnes autistes ont une plus faible identification de genre et un sentiment plus négatif vis-à-vis de leur groupe de genre que les personnes non autistes.
Résultat de l’hypothèse 2 :
Les résultats montrent aussi que les participants ayant une variance de genre ont une moindre identification de genre et une image de soi plus faible que les participants n’ayant pas de variance de genre.
Résultat de l’hypothèse 3
Les résultats montrent aussi que les femmes autistes auraient une masculinité supérieure et une féminité inférieure à celle des femmes non autistes.
Résultats de l’hypothèse 4
Pour les participants autistes, les femmes autistes ont une identification de genre significativement plus faible que les hommes autistes.
Cette étude étend les conclusions précédentes concernant les différences entre les sexes en matière d’identité de genre dans l’autisme, démontrant que la composante sociale de l’identité de genre est également affectée chez les personnes autistes. Cela suggère que la plus grande variance d’identité de genre observée chez les personnes autistes est associée à un sentiment d’appartenance plus faible et à des sentiments plus négatifs à l’égard des groupes de genre par rapport aux personnes non autistes.
De plus en plus de preuves démontrent que l’autisme est un fonctionnement caractérisé par une forte variance de genre (Bejerot et Eriksson 2014) et que l’identité de genre est différente chez les hommes et les femmes autistes (Bejerot et al. 2012; George et Stokes 2017). La présente étude reproduit ces résultats, montrant des taux élevés de transition et de de variance de genre chez les participants autistes par rapport aux participants non autistes.
Fait intéressant, les hommes autistes se considéraient nettement moins masculins que les hommes non autistes, conformément aux constatations antérieures (Stauder et al. 2011 ; Bejerot et Eriksson 2014). Cela n’apparait pas dans la théorie du cerveau masculin extrême. Cependant, la masculinité fait référence aux normes sociales associées à l’expression de genre des hommes, et il se pourrait que les hommes autistes se considèrent eux-mêmes comme étant moins masculins en raison de leur conscience d’être différents des hommes non autistes.
L’expression de la masculinité peut être considérée comme un marqueur de comportement social « typique », de sorte que les hommes autistes peuvent signaler des niveaux de masculinité inférieurs en raison de la prise de conscience de leurs différences de communication sociale par rapport aux autres hommes. Par conséquent, selon ces résultats, les femmes autistes et, de manière significative, les hommes, semblaient présenter une variance de genre.
Conclusion : deux hypothèses sont posées face à ce constat
La première s’appuie sur des recherches montrant que la dysphorie de genre est associée avec des difficultés de santé mentale chez les personnes autistes (George and Stokes 2018). Une étude de Cooper et al. 2017 montre qu’il est pertinent de prendre en compte les processus d’identification de genre dans le bien-être psychologique des personnes autistes. C’est pourquoi les résultats montrant une faible identification de genre et une faible estime de soi de genre pourraient impacter négativement la qualité de vie des personnes autistes.
La seconde hypothèse, à l’inverse, part du postulat que les personnes autistes sont moins contraintes par les normes de genre que la population générale, et les niveaux élevés de la diversité des sexes/genres chez les personnes autistes sont en fait associés avec une meilleure santé mentale.
L’une des forces de cette étude est qu’elle met l’accent sur les processus sociaux liés à l’identité de genre mais qui sont des concepts distincts comme l’estime de soi de genre et l’identification de genre, qui à la connaissance des auteurs, n’ont pas encore fait l’objet d’une enquête quantitative chez les personnes autistes. En outre, de nombreux participants autistes ont choisi de décrire leur sexe en utilisant l’option « autre », révélant que les personnes autistes étaient souvent identifiées en dehors d’un mode binaire de genre, option que les enquêtes précédentes n’avaient pas signalée.
En résumé, cette étude a exploré les aspects sociaux de l’identité de genre chez les personnes autistes, en se concentrant sur l’identification de genre et l’estime de soi. Les résultats corroborent ceux d’études précédentes qui avaient révélé des taux élevés de variance selon le sexe chez les autistes, les identités de genre des femmes étant particulièrement différentes. Cette recherche étend ces résultats, suggérant qu’il existe des différences entre les sexes dans la population autiste, différentes de celles trouvées dans la population en développement typique, et que les personnes autistes s’identifient moins bien avec les groupes de genre et ressentent moins positivement leurs groupes de genre que les groupes de population au développement typique.
Source :
Cooper K, Smith LGE, Russell AJ. Gender Identity in Autism: Sex Differences in Social Affiliation with Gender Groups. J Autism Dev Disord. 2018;48(12):3995-4006
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Bonjour,
Merci pour la traduction et le partage de cette étude.
Il manque une hypothèse dans les 4 qui ont été formulée : la femme autiste est beaucoup plus sujette à des violences sexuelles y compris dans son enfance ou adolescence et cela induit une faible estime de soi en tant que femme et une exposition à d’autres violences futures. Aussi, devenir un garçon et mettre en place un passing peut s’assimiler à une stratégie d’évitement.