Angelina, autiste et greffière dans un tribunal de grande instance


Voici le témoignage de Angelina, membre de l'association, sur son métier qui la passionne mais l'épuise en l'absence d'aménagement
 
J'ai 35 ans et je suis greffière. Je travaille dans un tribunal de grande instance.
Je suis diplômée en ressources humaines depuis 2004 (maîtrise en droit social + DESS RH) à l'issue d'un parcours scolaire et universitaire en apparence sans faute mais en réalité très difficile.
Mes particularités de fonctionnement étaient présentes dès l'enfance (intérêts restreints, stéréotypies, difficultés relationnelles contrebalancés par de très bons résultats scolaires).
 

Des difficultés mettant en jeu la possibilité de suivre des études

Le Bac en poche à 17 ans, je me suis inscrite en fac de droit. Mon anxiété sociale à laquelle s'ajoutaient mon hypersensibilité (notamment au bruit), des difficultés d'intégration avec mes pairs, un isolement social très important et des difficultés importantes d'orientation, m'empêchaient de faire certaines choses qui sont essentielles pour une étudiante (comme entrer dans un amphithéâtre, aller à la bibliothèque universitaire, manger au restaurant universitaire, côtoyer les autres étudiants, assister aux travaux dirigés (TD)).
 
Pendant 5 ans, je n'ai cessé d'essayer de trouver des solutions pour contourner ces difficultés. Je n'ai en effet jamais mis les pieds ni à la bibliothèque, ni au restaurant universitaire. J'ai évité le plus possible les amphithéâtres, prenant contact avec les professeurs pour obtenir les cours dactylographiés (c'était avant internet et l'utilisation courante des ordinateurs en amphi). Je limitais ma présence à la faculté aux TD obligatoires. Je passais le reste du temps enfermée dans mon studio d'étudiante à étudier l'étymologie des prénoms et à me documenter sur la Shoah, mes sujets de prédilection. C'est donc au prix d'efforts continus que je suis parvenue à décrocher mon diplôme.

 

 

L'obstacle des entretiens d'embauche

J'ai cependant rapidement pris conscience que je ne pourrais jamais travailler dans le domaine des ressources humaines. Les entretiens d'embauche étaient un obstacle infranchissable pour moi.
Je ne parvenais que très difficilement à regarder mon interlocuteur dans les yeux, je me heurtais à des difficultés de compréhension des questions qui m'étaient posées, j'étais incapable de répondre du tac-au-tac, j'étais confrontée à des problèmes de tenues vestimentaires dont l'intérêt était un mystère pour moi (et c'est toujours le cas !). Mes entretiens d'embauche se soldaient systématiquement par un refus.
 
Je me suis alors tournée vers les concours de la fonction publique en espérant que mes résultats aux épreuves écrites compenseraient mes difficultés à l'oral. C'est de cette manière que je suis devenue greffière.
 
 

Très vite rattrapée par ses difficultés

Je ne parvenais pas à supporter le bruit dans les salles d'audience, j'étais incapable de me concentrer sur les déclarations des parties pour prendre des notes, j'étais trop lente, dans l'incapacité de réagir rapidement face aux sollicitations nombreuses qui se présentent en audience publique. Dans le quotidien, chaque changement (de salle, de planning, de poste), chaque imprévu (remplacements de dernière minute, astreintes) était source d'une très grande anxiété que je ne parvenais plus qu'à contenir par la prise quotidienne d'anxyolitiques.
 
Les relations avec mes collègues étaient une autre de mes difficultés. Je suis parvenue au fil des ans à m'adapter au monde dans lequel j'évolue, jusqu'à rendre mes difficultés invisibles, mais chaque conversation nécessite de ma part une très grande concentration pour déterminer ce qu'on attend de moi, pour contrôler mes gestes, ma voix, pour éviter les impairs, pour contenir mon hypersensibilité. Le « jeu social » est incompréhensible pour moi. Je ne parviens pas à m'intéresser, ni à participer aux sujets de conversation qui permettent de « socialiser ». Je décroche rapidement ce qui ne facilite pas mes relations avec mes collègues.
 

 

Tout cela m'épuisait profondément. J'avais très souvent besoin de m'isoler pour récupérer, notamment à l'heure des repas que je prenais seule. Je rencontrais également des difficultés pour m'orienter dans le Palais de justice (qui est pourtant très petit) avec de très fortes angoisses quand je devais circuler dans les couloirs de ma juridiction.

 
A cela s'ajoutaient des difficultés pour conduire et se garer qui pesaient considérablement dans ma journée de travail.
 

 

Toutes ces difficultés m'ont menée jusqu'au point de rupture. J'ai fini par m'effondrer, mettre ma vie en danger. J'ai fait l'objet d'une hospitalisation en urgence en clinique psychiatrique où l'on m'a d'abord diagnostiquée une dépression sévère associée à un trouble anxieux généralisé. A la sortie de la clinique, la perspective de reprendre mon travail et de devoir supporter à nouveau cette souffrance du quotidien, m'a menée vers un nouvel effondrement et une seconde hospitalisation. C'est lors de ce second séjour que j'ai finalement rencontré un psychiatre qui a enfin mis le doigt sur l'ensemble de mes difficultés et détecté le syndrome d'Asperger. Cela a été pour moi un véritable soulagement. Je pense pouvoir dire que ce diagnostic m'a sauvé la vie.

 
 
 

La mise en place d'aménagements

Aujourd'hui, je n'ai pas encore repris le travail. Je suis actuellement en arrêt depuis plusieurs mois mais une reprise très prochaine est prévue grâce à l'appui de ma psychiatre et de ma psychologue. Une demande de RQTH (reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé) est en cours et l'association SAMETH (Service Appui Maintien à l'Emploi des Travailleurs Handicapés) m'aide à mettre en place des aménagements sur mon poste de travail (notamment en me permettant de travailler dans un environnement où le bruit est limité, en assurant une certaine stabilité de mon poste de travail, en privilégiant les audiences à huis clos, en supprimant les astreintes...).
 
J'aime mon travail et je pense pouvoir dire que je suis efficace dans mon poste. Il me semble pouvoir apporter une plus-value à ma juridiction à condition de pouvoir travailler dans un environnement adapté à mes particularités. Le diagnostic de TSA et la RQTH sont les éléments indispensables au maintien dans l'emploi des personnes qui, comme moi, présentent un fonctionnement différent mais souhaitent pouvoir continuer à travailler en milieu ordinaire.
 
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