Spectrum présente « Flying University – Femmes sur le spectre » (vidéos)


Spectrum News,  12 juilet 2018 – Traduction et commentaires sur les vidéos : Phan Tom pour l’AFFA

Article original : Spectrum presents ‘Flying University: Women on the autism spectrum’

La plupart des recherches sur l’autisme – et par extension, la médiatisation sur l’autisme – se concentre sur les hommes et leurs expériences. Pour mettre en lumière les femmes autistes, le 28 mars, Spectrum à fait équipe avec Caveat, un lieu de récits sur la science à New York City. Trois femmes autistes ont parlé de leurs expériences en matière de rencontre amoureuse, de recherche d’emploi et les défis particuliers que doivent affronter les personnes autistes qui sont également dans des minorités ethniques.

Lindsey Nebeker explique comment négocier amour et romance quand on est sur le spectre. Sara Luterman a mis en lumière les problèmes qu’elle et d’autres adultes autistes affrontent quand ils doivent trouver – et conserver –  un emploi. Elle pèse aussi le pour et le contre de révéler son autisme pendant un entretien d’embauche. Enfin, Morénike Giwa Onaiwu détaille les complications que la race et l’ethnicité peuvent engendrer en plus du diagnostic d’autisme.

Lindsey Nebeker, sur l’amour

Description pour les non anglophones

Elle commence par lire un poème en arabe dont la signification est qu’il ne faut pas chercher l’amour en lui-même, mais il faut chercher toutes les barrières que l’on a construites à l’intérieur de soi contre l’amour.

Son histoire avec Dave débute il y a 12 ans lors d’une conférence nationale pour l’autisme au Tennessee. Dave était lui aussi un intervenant lors de cette conférence et Lindsey avait récemment emménagé pour aller à l’université et essayer de percer dans le monde de la musique. Ils ont échangé et sont restés en contact pendant quelques mois. Puis ils se sont revus lors d’une autre conférence sur l’autisme et Dave lui a demandé d’être sa petite amie, ce qu’elle a accepté. Dave, qui partage aussi un diagnostic d’autisme et Lindsey ont eu une relation longue distance pendant deux ans puis ils ont vécu ensemble deux ans. Ils ont ensuite déménagé à Washington DC ou ils vivent aujourd’hui. Ils ont participé à un documentaire « autism in love » qui leur a valu une couverture médiatique importante.

Il est connu maintenant que les relations amoureuses des personnes autistes doivent relever de nombreux défis en matière de communication et de relations sociales. Lindsey qui est une pianiste a une approche plus artistique de l’amour tandis que Dave a une approche plus scientifique de l’amour. Mais ce sur quoi ils sont d’accord c’est que l’amour n’est pas tangible et comme beaucoup de personnes autistes ils ont du mal avec les concepts.

Quand le documentaire « autism in love » a été réalisé, cela faisait 8 ans qu’ils étaient ensemble et Dave a fait sa demande en mariage devant les caméras. Ils se sont mariés quelques mois plus tard. Pour Lindsey cela aurait dû donner une base plus solide à leur amour de passer par un engagement légal. Mais elle est tombée dans une dépression profonde après leur mariage et celle-ci a duré des semaines. Elle a complètement réinterrogé leur relation en venant à douter de sa réalité ou de ses propres motivations. En analysant la situation, elle se demande si la pression due au tournage du film ne l’a pas influencée à « faire comme tout le monde ». Et pour elle l’authenticité est comme un bouclier qui la protège du reste du monde. Elle met en garde contre le manque d’authenticité envers soi-même qui peut mener  à une haine de soi. Elle était épuisée et a échoué dans tous ses projets. Trois mois après leur mariage, elle a presque mis fin à leur relation. Quand on est handicapé, le regard de la société n’est pas toujours bienveillant. Il y a des gens qui construisent des barrières autour de vous, mais le plus difficile à surmonter ce sont les barrières que l’on se construit soi-même. Elle parle ensuite des difficultés rencontrées par les femmes autistes : le harcèlement, les violences domestiques, les violences sexuelles, les discriminations, c’est facile de se dire qu’on ne peut croire en personne. Dans un monde qui est tellement à la recherche de la perfection et quand on est handicapé, on est tellement loin de cette image que la société voudrait qu’on soit qu’on finit par se dire qu’on ne fait pas assez. Quand Lindsey a voulu interrompre sa relation avec Dave, elle ne croyait plus qu’elle méritait d’être aimée. Au moment où elle allait lui annoncer la rupture, elle a fait une tentative de suicide dans la chambre d’un hôtel en avalant des pilules et de l’alcool en grande quantité.

Elle a été hospitalisée et Dave est toujours resté à ses côtés à l’hôpital comme lors de son retour à domicile. Elle avait perdu beaucoup de ses capacités d’autonomie au quotidien et il la toujours été présent pour l’aider à se laver, à s’habiller, à se nourrir…

Tous les êtres humains ont besoin d’aimer et d’être aimés pour survivre. Les difficultés classiques de l’autisme que sont la communication et les interactions sociales font partie intégrante des défis d’un couple de personnes autistes, mais le plus grand défi c’est de croire qu’on mérite d’être aimé.

Il faut permettre aux gens de vous aimer et de vous réconforter quand vous en avez besoin. Et si vous êtes dans un endroit où personne ne peut vous rejoindre, vous pouvez vous murmurer que vous avez bien plus de courage que vous ne le pensez.

Êtes-vous prêt à croire que vous méritez l’amour ?

Sara Luterman, sur l’emploi

Description pour les non anglophones 

Durant les dernières années, les recherches dans le champ de l’autisme se sont focalisées sur les questions biomédicales. Qu’est-ce qui cause l’autisme ? Y a-t-il un remède ? En comparaison, le gouvernement américain a dépensé seulement 1 % du budget sur les difficultés tout au long de la vie. Cela représente tous les défis auxquels doivent faire face les personnes autistes après leur enfance. Où allons-nous habiter ? Qu’allons-nous faire de notre vie ? 85 % des personnes autistes avec un diplôme universitaire sont sans emploi. Dans la population générale, ce taux est un peu inférieur à 2.5 %. Il est difficile de trouver des informations sur l’emploi qui soient spécifiques aux femmes. Elles sont sous représentées dans les différentes recherches qui ont été menées. Néanmoins, malgré la faiblesse des échantillons, les premières conclusions permettent de dire que les femmes ont plus de difficultés à conserver un emploi. Une des théories qui expliquent cette difficulté particulière des femmes à rester en emploi et qu’elles ont souvent plus de pathologies psychiatriques associées. Mais elle assez sceptique, car il y a peu de recherches qui permettent de corroborer cela. Elle pense que cela est dû au fait qu’il y a plus de comportements sociaux à adopter en tant que femme et que les femmes autistes sont en difficultés sur ce point. Par exemple une fois elle a été à une réception habillée comme pour un entretien d’embauche. Elle savait qu’il fallait être bien habillé, mais pas qu’il y avait une différence entre une robe et un costume.

Une des raisons qui explique qu’il y ait peu de recherches sur les femmes, c’est qu’elles sont sous-diagnostiquées. Les garçons sont surreprésentés dans presque toutes les recherches sur l’autisme. Certains pensent que c’est parce que les femmes sont protégées génétiquement. Elle pense aussi que les femmes sans déficience intellectuelle sont invisibles. Cela concerne notamment les femmes dans la vingtaine ou la trentaine comme c’est son cas. Nous avons passé des années à croire que nous étions seules dans le noir. L’autisme est clairement un handicap pour elle dans le monde du travail. À l’âge adulte, les demandes sociales sont devenues trop fortes et elle n’a plus pu y répondre. Et ses parents l’ont emmené voir un psychiatre. Son entrée dans la vie adulte a été un bide complet. Elle a été dans une des meilleures universités du pays, elle a eu son diplôme. Elle a réussi la première étape, celle de faire une candidature correcte. Mais entretien après entretien, elle a loupé toutes les rencontres en face à face et n’a jamais eu le job.

Elle a dû retourner vivre chez ses parents. Elle a finalement décroché son premier emploi et emménagé avec d’autres jeunes arrivants dans le monde du travail et quelques chats. Elle était enfin normale. Elle a été licenciée après deux semaines, car je elle correspondait pas à la culture de l’entreprise. Elle n’a même pas su ce que c’était, probablement quelque chose d’inapproprié socialement, mais elle ne sait pas quoi. Sa vie était brisée et elle a essayé de se tuer, mais apparemment ça n’a pas fonctionné (sur un ton un peu humoristique). Mais beaucoup de personnes autistes n’ont pas autant de chance et le suicide est la première cause de mortalité chez les personnes autistes sans déficience intellectuelle. Elle a eu de nombreux emplois après ça qui n’ont pas fonctionné et elle pense qu’une des clés de succès est d’avoir un manager patient qui n’a pas peur d’expérimenter de nouvelles choses. Maintenant, elle travaille pour elle-même et elle va bien. Elle voudrait dire aux gens que même quand tout semble perdu, on peut s’en remettre et repartir.

Morénike Giwa Onaiwu, sur les minorités ethniques

Traduction pour les non anglophones 

« Je suis une femme autiste et comme vous pouvez le voir, je suis noire aussi. Je voudrais partager un souvenir de quand j’étais petite fille. J’avais des cheveux naturels et j’ai fait une coupe qui était à la mode dans la communauté noire, avec des boucles. C’était un cauchemar sensoriel, la sensation, l’odeur, et je me suis toujours demandée comment les gens pouvaient porter cette coupe de cheveux pendant des jours, avec tous les produits qu’il faut mettre dans les cheveux pour les faire tenir.

Je vais parler de l’autisme selon la perspective de la neurodiversité, c’est-à-dire que pour moi ça n’est pas juste un handicap, c’est une partie de mon être, comme le genre auquel j’appartiens ou ma personnalité.

Je me suis intéressée à la définition  de l’intersectionnalité*, c’est-à-dire le fait qu’il puisse exister plusieurs facteurs qui marginalisent des personnes, comme les personnes handicapées, les personnes de couleurs.

Par exemple si quelqu’un est cisgenre, blanc, homme et chrétien et moi je suis une femme noire autiste. Nous sommes dans deux territoires différents et nous avons chacun des privilèges dans le nôtre. En parlant de privilège, l’autisme est un problème blanc. Il y a beaucoup de disparité dans l’autisme. Il y a des études qui montrent que lors d’un diagnostic d’autisme les médecins utilisent moins les outils de dépistage standard reconnus par la communauté de chercheurs sur les enfants de couleur que sur leurs pairs blancs. En cas de retard de développement, les médecins ont aussi moins tendance à adresser les enfants de couleur chez un spécialiste. D’un autre côté il y a aussi des études qui montrent que les parents issus de la communauté noire rapportent moins les difficultés de communication ou d’interactions sociales. Parfois si tu ne penses pas qu’un problème est un point d’intérêt, que tu ne le vois pas comme ça, tu ne cherches ce qui ne va pas. S’il y a des troubles du comportement apparents, ils vont le reporter, mais si c’est des petites bizarreries, ils vont s’en accommoder, par exemple « Ho, il parle de robots toute la journée, c’est bon, ça lui passera ».

Il y a beaucoup d’études qui montrent que les enfants de couleur sont sous-diagnostiqués. Selon les différentes études, les enfants blancs ont entre 19 % et 30 % de chance de plus d’être diagnostiqués autistes que les enfants afro-américains. Les enfants issus de la communauté noire sont aussi diagnostiqués entre 1.5 et 2 ans plus tard. Les personnes qui se débattent avec des difficultés socio-économiques ont un écart de trois ans entre le diagnostic et l’accès aux traitements et aux accompagnements éducatifs. Les enfants autistes blancs ont en général accès à plus de services en même temps : un orthophoniste, un psychologue, un éducateur…alors que les enfants de couleurs noires, hispaniques, asiatiques, n’ont accès qu’un seul type d’accompagnement. Et je ne suis pas une fan des supports multiples et de la sur intervention, mais je dis juste que les interventions doivent correspondre aux besoins des personnes et si elles ont plusieurs besoins elles doivent y avoir accès. Durant leur scolarité, les enfants handicapés ont deux fois plus de chance d’avoir une interruption que ceux qui ne le sont pas. Pour les personnes de couleurs, le chiffre augmente davantage.

Pour ce qui concerne les femmes, elles sont diagnostiquées plus tard à l’adolescence ou à l’âge adulte, après avoir reçu un premier diagnostic de dépression, trouble obsessionnel-compulsif ou autre. Et on nous dit souvent « qu’on n’est pas vraiment autiste » parce que les gens ne réalisent pas tous les mécanismes que nous mettons en place pour faire comme les neurotypiques. On s’épuise à « prétendre être normal ». Et comme le disait l’intervenante d’avant il y a si peu d’étude avec des échantillons de taille importante concernant les femmes que les résultats peuvent difficilement être fiables.

Les femmes handicapées, autistes ou non, ont quatre fois plus de chance que les femmes typiques de se faire violer et 2.5 fois plus de chance d’être victimes d’autres violences sexuelles, 2 fois plus de chance de vivre une violence psychologique.

Nous sommes là, cachées à la vue de tous, mais vous ne nous voyez pas. Nous avons toujours été là. Nous sommes juste là.

Je vais maintenant parler un peu de moi et de la perception du monde. Je suis d’origine ouest-africaine et je suis une femme avec deux frères. J’ai été à l’université, j’ai vécu dans plusieurs endroits au sud et au nord de la côte ouest, et je ne correspondais jamais à ce qui était attendu, et je ne savais pas pourquoi, je n’ai jamais compris. J’ai essayé de trouver des explications : est-ce que c’est parce que je n’ai eu que des frères et pas sœurs ? Est-ce parce que j’étais noire et je ne partageais pas certains éléments de la culture américaine ? Qu’est-ce que j’avais ? Parce que c’était accepté à la maison, mais en société j’étais bizarre, ça n’allait pas. Quand j’étais petite, je m’exerçais dans un miroir à parler comme les autres, pour me fondre dans le comportement des autres. Si tu es invisible, tu n’es pas bizarre, tu n’es pas harcelé.

Je vais vous raconter une histoire qui m’est arrivée il y a peu de temps. Je conduisais avec ma fille dans la voiture et j’étais en excès de vitesse. Je me suis fait arrêter par un policier, et vous connaissez aux États-Unis la proportion d’arrestation pour les personnes de couleurs, surtout les personnes noires, qui est beaucoup plus élevée. Il me demande de sortir du véhicule et je commence à avoir vraiment peur. Donc je sors et j’avais ce jouet de stimulation sensorielle que j’ai là en ce moment. J’en ai partout, à la maison, à mon travail, autour de mon poignet. Et je commence à m’en servir d’une manière très visible et l’officier est surpris et crie « wow qu’est-ce que c’est, qu’est-ce que vous faites avec ça ? Je lui dis que j’ai peur et que j’essaie de ma calmer. Il me demande de le poser. Et je le fais, mais je me mets à faire du flapping très vite. Voilà, ce sont des petites choses, comme le fait de jouer avec mon outil de stimulation ou de faire du flapping il peut croire que je veux essayer de le frapper, et parfois quand je suis nerveuse je fais de l’écholalie et il peut croire que je me moque de lui. Ce sont des petites choses, mais ça peut nous mettre en danger. Les personnes noires sont perçues comme plus menaçantes que les blancs même dans des situations où elles sont pacifiques. J’ai dit à mes enfants « pas de pull à capuche », surtout ceux qui sont autistes, mon jeune fils et ma fille, je leur ai dit « je ne rigole pas, jamais de pull à capuche ». Si ils se baladent au centre commercial et qu’ils se font interpeller par un policier il faut toujours dire « bonjour monsieur, oui monsieur » et même s’il est un peu brut dans ses manières, je leur ai dit de toujours rester polis.

Il y a cette histoire d’un jeune noir de 17 ans qui était autiste et qui attendait devant la librairie. Il était venu trop tôt et elle n’était pas ouverte. Un voisin l’a aperçu et il a appelé la police qui lui a demandé son nom. Comme il avait peur, il ne pouvait pas répondre. Les policiers l’ont agressé et il s’est défendu. Il a été embarqué au poste et a subi d’affreuses atteintes aux droits de l’homme. Il ne faisait qu’attendre l’ouverture de la librairie. Mais il était aussi autiste et noir.

Nous avons tous besoin de soutien dans chacune de nos communautés, les féministes, les communautés d’origine, les autistes, mais les alliés doivent vous soutenir pas parler pour vous. Donc si vous êtes à un événement sur l’autisme, il devrait y avoir une personne là qui représente les personnes autistes. Ça ne devrait pas être que des parents et des professionnels.

Nous avons écrit une anthologie qui décrit plein d’expériences de personnes autistes d’origines différentes. Nous essayons de montrer une diversité d’expérience de l’autisme.

Parce que ce programmeur informaticien bizarre ne me représente pas, ni mon fils, ni ma fille autiste. Nous devrions célébrer toutes les différences de l’autisme, toutes ses couleurs et non pas essayer de masquer ça. »

* L’intersectionnalité (de l’anglais intersectionality) est une notion employée en sociologie et en réflexion politique, qui désigne la situation de personnes subissant simultanément plusieurs formes de stratification, domination ou de discrimination dans une société. L’intersectionnalité étudie les identités collectives plutôt que les trajectoires individuelles – Source Wikipedia

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