Témoignage de Lucie : quand la méconnaissance de l’autisme est source de maltraitance….


 

 

Lucie*, membre de l’association a voulu parler d’un sujet tabou : celui de la violence physique et/ou psychologique de parents envers leur enfant autiste, quand ces parents ne comprennent pas ce qui se passe, et n’ont aucune explication sur l étrangeté de leur enfant.

Je suis née au début des années 1980 : à cette époque, le syndrome d’Asperger avait été identifié depuis de nombreuses années par Hans Asperger mais étais encore inconnu en France. Je suis donc une enfant qui n’avait rien de visible en apparence, mais je n’avais pas de mot sur ce que j’avais, sur ce que j’étais.

Les signaux d’alerte

Quelques indicateurs pourtant aujourd’hui auraient permis un diagnostic précoce.  Comme le fait de tourner en rond dans un cabinet médical, un maniérisme gestuel, un regard étrange, un langage élaboré pour l’âge, une maladresse constante des membres, une socialisation complètement à côté de la plaque, une absence d’accès à l’implicite et sous-entendus, mais  surtout une incapacité à  faire ce que les gens voulaient que je fasse.  J’étais, une poupée  de porcelaine blonde avec des anglaises aux yeux bleus, mais cela n’a pas suffi.

Cela a commencé avec l’alimentation.  Je ne mangeais pas, je n’avalais pas, mes frères et sœurs peuvent témoigner et l’ont fait : j’étais terrible à l’heure des repas. Oh, pas de grande crise, mais je ne mangeais pas. Je pouvais rester des heures comme cela. D’ailleurs c’est ce qui se passait ; je pouvais aussi être trimbalée dans ma chambre avec la boule alimentaire dans la bouche, la gardant comme un hamster dans un garde manger. Je pleurais énormément mais c’était comme cela. On m’avait diagnostiquée anorexie du nourrisson dans le carnet de santé.  À l’école je mangeais à la table des maîtresses et on ne me lâchait pas. Mais je mangeais toujours pas.

Violence intime

On me demandait de l’autonomie, de faire des choses que je n’ai à l’époque jamais su faire de moi-même. Par exemple se laver, se brosser les dents, ranger ma chambre etc. Si quelqu’un n’était pas là pour m’aider, me montrer, je ne faisais pas,  impossible ! De plus, la douche était très difficile pour moi. Je ne supportais pas cette différence de température entre le froid et le chaud. Donc je n’y allais pas.

Concernant le brossage de dents, je détestais la sensation dans la bouche, et j’avais un réflexe nauséeux qui me faisait vomir. Mes parents évidement pensaient que c’était du cinéma : pour eux je n’étais pas propre, j’étais sale. Et j’ai reçu des coups, fessées à répétition, claques, tirage de cheveux et martinet.

Mon père, qui ne lâchait rien, était dans la salle de bain  …. Jusqu’à tard, 14 ans environ. Mais mon autonomie corporelle je ne l’ai eu que bien plus tard, lorsque j’ai compris que je pouvais avoir des ennuis de santé,  buccodentaire  etc.

J’ai donc par ce fait aussi développé un rapport avec le corps très particulier : avoir été vue de tous les côtés même si c’était pour mon bien, je l’ai très mal vécu et je suis devenue extrêmement pudique vis-à-vis de mon corps. Je ne me regarde pas d’ailleurs, jamais. Je ne supporte pas non plus qu’on me regarde.

S’évader pour oublier….

Je suis restée très jeune dans la tête pendant très longtemps.  J’avais besoin d’un univers parallèle imaginaire. C’était durant la période club Dorothée, et j’étais fan de dessins animés. J’en faisais collection d’ailleurs,  je découpais tous les articles, j’enregistrais tous les épisodes,  jusqu’à un âge très avancé. Trop avancé pour mes parents, qui ont fini par craquer et en avoir marre. Un jour ils ont tout détruit, tout jeté, tout fouillé. J’ai « pété un câble », j’ai cassé la porte de colère et de douleur.

Des crises, j’en ai eu énormément à l’adolescence. Je tapais, je hurlais, je cassais, je me suis faite mal aussi, je me suis scarifiée et je voulais mourir à chaque instant tellement je souffrais.

École : harcèlement et cours de soutien

J’ai vécu aussi le harcèlement scolaire, car j’étais vraiment en difficulté. J’ai redoublé 4 fois et les « camarades » se moquaient de moi. De ma façon de m’habiller, de ma maigreur. On me faisait croire des histoires hallucinantes. On me volait mes affaires,  on abîmait mes livres. Pendant les récréations, je restais cachée à côté des toilettes,  un lieu que j’appelle un bocal plein de livres scolaires, et je les décrivais (formes, couleurs, déchirures, écritures  etc). Personne ne venait là, dans cet unique endroit où on me laissait tranquille. La solitude était mon amie. Je souffrais mais j’avais du coup moins d’occasions d’avoir des troubles sensoriels.

Au niveau scolaire mes parents ne m’ont pas lâché, jamais : j’ai eu des cours de soutiens tous les ans. Les profs étaient assez extraordinaires. Je pense qu’ils ont vu qu’il n’y avait pas de la mauvaise volonté.  Le problème, c’est que mes parents m’ont aidée « à la dure » : je devais tout copier plusieurs fois ; si mes cahiers étaient mal écrits, comme c’était le cas bien souvent, je devais recopier mes cahiers (merci à l’arrivé de l’ordinateur familial qui m’a sauvée à  partir de la troisième).

Aujourd’hui, femme et mère accomplie

Aujourd’hui je suis totalement autonome,  je me suis faite des fiches mentales, comme par exemples une fiche de comment on fait une lessive, comment on prend le train, le bus, comment on paiye, comment on se lave. Je n’ai pas honte de dire que j’ai un emploi du temps visuel de toutes mes tâches à faire. J’ai encore besoin de support pour certaines choses, comme me diriger quelque part et avoir un emploi du temps horaire très strict. J’arrive toujours 2 h avant les rdv lointain,  1 h à 45 mins pour les plus proches. C’est comme cela. Je ne supporte pas d’être en retard.

Je suis aussi une mère accomplie, je ne sais toujours pas très bien cuisiner. Mes pâtes peuvent être encore collantes et le steak cramé  mais je fais des efforts et je sais pourquoi maintenant.

La nécessité d’informer sur ce handicap invisible

Mes parents, comme mes proches, n’ont jamais compris ce qu’il se passait. Ils voyaient je pense, une petite fille difficile qu’il fallait absolument forcer à être autonome car la vie ne lui ferait pas de cadeau. Je ne me protégeais pas,  je sais que cela serait apparenté à de la maltraitance aujourd’hui. À juste titre cela en était.  Mais je pense qu’ils ont fait cela  parce qu’ils ne savaient pas, ne comprenaient pas et qu’il n’y avait pas des aides comme aujourd’hui. J’étais trop normale pour aller en institution, et trop différente pour vivre normalement.  Je pense que cela a été fait avec la volonté de m’aider. Même si certaines choses ont provoqué d’autres choses.

J’ai fini par ne plus en vouloir à  mes parents, je sais qu’ils l’ont fait par amour ; avec de l’information, de la formation, cela aurait été tout autre mais s’ils n’avaient rien fait je ne serais pas là  aujourd’hui. Ce n’était pas parfait, mais comme l’a dit le Centre Ressources Autisme j’étais une autiste très probablement sévère.

On ne peut pas pardonner les coups mais on peut les expliquer, vu le contexte de l’époque.

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