D. Rudacille, pour Spectrumnews, 27 juin 2011
Article original : « Diagnostic test for autism may miss many girls »
Les symptômes du syndrome d’Asperger seraient sensiblement différents chez les filles et chez les garçons, selon une étude publiée un peu plus tôt dans le mois dans la revue « Research in Developmental Disabilities[^1] » (« Recherche sur les troubles du développement »). Cette étude, ainsi qu’une série d’autres études récentes, suggèrent qu’avec les tests diagnostics actuels, les filles présentant un autisme dit de hautement fonctionnement sont diagnostiquées plus tard que les garçons, ou échappent tout simplement au diagnostic. Dans cette nouvelle étude, des chercheurs suédois montrent que 18 nouvelles questions dans un test Autism Spectrum ScreeningQuestionnaire (questionnaire de dépistage des troubles du spectre autistique) révisé donnent des profils de réponse très différents pour les filles et les garçons d’âge scolaire présentant un syndrome d’Asperger.
Cette étude est toutefois une rareté : les différences entre les sexes dans l’autisme sont mal connues car peu de filles sont inclues dans les études. Et même lorsqu’elles le sont, peu d’études se focalisent spécifiquement sur les différences liées au genre.
« C’est un sujet tabou », affirme Marisela Huerta, psychologue clinicienne au Centre pour l’Autisme et les Troubles de la Communication de l’Université du Michigan. M. Huerta a été l’une des organisatrices d’un atelier sur les différences liées au sexe lors des Rencontres Internationales pour la Recherche sur l’Autisme (IMFAR) qui se sont tenues à San Diego le mois dernier.
« Alors que de nombreuses personnes spéculent sur les différences selon le sexe et qu’il existe un certain nombre d’anecdotes à propos du fait que les filles présentent des signes cliniques différents ou sont un peu plus difficiles à diagnostiquer, dit M. Huerta, il y a peu de travaux empiriques sur ce sujet. »
Les garçons sont environ quatre fois plus touchés par l’autisme que les filles. A l’extrémité la plus fonctionnelle du spectre, le ratio augmente, quelques études rapportant que le syndrome d’Asperger serait jusqu’à huit fois plus présent chez les garçons que chez les filles.
Diverses explications ont été proposées pour expliquer cet écart. Les études génétiques montrent que les filles paraissent quelque peu protégées des effets de variantes génétiques rares qui semblent causer l’autisme chez certains garçons. Les filles porteuses d’un trouble autistique tendent à présenter d’importantes délétions et duplications de séquences ADN, ainsi que des symptômes plus sévères.
Le problème avec les filles
Certains chercheurs ont suggéré que l’autisme serait une expression du « cerveau hyper masculin », c’est-à-dire une exagération des traits typiquement masculins, peut-être causée par une exposition in utero à des taux anormalement élevés de testostérone.
Cependant, d’autres chercheurs affirment que la hausse du sexe-ratio, spécialement à l’extrémité hautement fonctionnelle du spectre, est due, au moins en partie, au fait que les supports de test laissent simplement de côté de nombreuses filles présentant pourtant un trouble autistique.
« De nombreux outils diagnostiques sont modélisés sur les groupes d’enfants diagnostiqués le plus précocement, dont la plupart sont des garçons », rapporte Somer Bishop, professeur adjoint en pédiatrie à l’Hôpital pour Enfants de Cincinatti dans l’Ohio, qui a co-dirigé l’atelier sur les différences liées au sexe à San Diego.
Parce que les symptômes sont souvent différents chez les filles, S. Bishop déclare : « je crois que les filles vraiment très intelligentes passent inaperçues en proportion plus élevée que les garçons. [Les filles] présentent souvent des difficultés plus subtiles. »
S. Bishop et M. Huerta ont travaillé avec Catherine Lord, qui a développé l’Autism Diagnostic Observation Schedule (ADOS – échelle d’observation pour le diagnostic de l’autisme) et l’Autism Diagnostic Interview-Revised (ADI-R – entretien pour le diagnostic de l’autisme, version révisée), les références absolues en matière de test diagnostique de l’autisme, en vue de créer de petits outils de dépistage pour l’autisme.
Dans les groupes de discussion, souligne M. Huerta, les parents ayant des filles pointent souvent le fait que les questions ne révèlent pas ce qui est inhabituel ou hors de la norme dans les habitudes de jeu de leurs filles.
Contrairement au stéréotype des garçons autistes, les filles autistes sont souvent intéressées par les jeux d’imagination – jusqu’à l’obsession, dans certains cas. « Vous ne vous attendez pas à voir une enfant autiste obsédée par un poupon », ajoute S. Bishop.
De la même façon, une fille autiste peut être intéressée et motivée par les interactions sociales, mais incapable d’établir des relations avec ses pairs. « Nous avons reçu des témoignages de familles qui sont frustrées, parce qu’elles sentent instinctivement que quelque chose cloche dans le développement global de leur enfant, mais ne comprennent pas pourquoi tout est si compliqué pour leur fille », déclare M. Huerta.
Quelques études commencent à essayer de cerner les différences entre les filles et les garçons présentant un autisme hautement fonctionnel, mais les résultats restent mitigés pour l’instant.
Par exemple, l’étude suédoise a mis en évidence que les parents de filles ont plus tendance à rapporter que leur enfant « interagit principalement avec des enfants plus jeunes » que ne le font les parents de garçons. Les parents de garçons sont plus nombreux à rapporter que leur fils « n’a pas de meilleur ami », ou « est considéré comme un ‘petit professeur' » par ses pairs.
Les différences sont subtiles, mais pourraient refléter un intérêt plus marqué pour l’interaction sociale chez les filles autistes. Par exemple, bien que souvent incapables d’interagir avec leurs pairs, elles peuvent établir des liens avec des enfants plus jeunes qui les laisseront définir les règles des jeux.
Les filles dans cette étude semblent aussi « éviter de répondre aux consignes » à un niveau significativement plus haut que les garçons. D’autres études ont souligné que les personnes autistes refusent quotidiennement de se plier aux exigences formulées par d’autres personnes, en raison de l’anxiété qu’elles ressentent lorsqu’elles ne contrôlent plus la situation. Les filles sont plus susceptibles d’éviter de répondre aux consignes de façon passive, c’est-à-dire en les ignorant, plutôt que d’afficher un comportement opposant comme les garçons.
Au total, 6 des 16 items du test d’origine – qu’une étude antérieure présentait comme prédisant le mieux la présence d’un syndrome d’Asperger – étaient plus typique des garçons que des filles dans la nouvelle version.
Le modèle du test
Parce que leurs symptômes sont soit moins visibles, soit plus difficiles à reconnaître pour les cliniciens comme des indicateurs de l’autisme, les filles peuvent aussi être diagnostiquées à un âge plus avancé.
Selon les résultats d’une étude non publiée présentée à l’IMFAR, les filles Asperger sont diagnostiquées en moyenne à 10 ans, soit deux ans plus tard que l’âge moyen du diagnostic chez les garçons.
Dans cette étude, des chercheurs néerlandais ont interrogé 2 000 personnes autistes, dont 400 femmes, de la petite enfance à 85 ans. Ce sont les parents qui ont répondu aux questions pour les plus jeunes enfants, mais chaque fois que possible, les personnes autistes ont répondu directement.
La plupart des femmes les plus âgées n’ont pas été diagnostiquées avant l’âge adulte. « Elles ont été oubliées par le DSM-III et n’ont pas été diagnostiquées jusqu’à ce que les critères [diagnostiques de l’autisme] soient étendus dans le DSM-IV », déclare le chercheur principal, Sander Begeer, professeur adjoint de psychologie du développement à l’Université d’Amsterdam. « Ce que nous observons à l’heure actuelle avec l’Asperger est comparable à ce que nous avons observé il y a 20 ans avec l’autisme », dit-il. « À l’époque, c’était perçu comme un trouble masculin ».
Parce qu’il y a bien moins de filles diagnostiquées autistes, les chercheurs tendent à s’appuyer principalement sur les données relatives aux garçons. Ceci crée un cercle vicieux où les symptômes des garçons sont vus comme la norme pour ce trouble, ce qui conduit potentiellement à moins de filles diagnostiquées, et donc inclues dans les études.
« Cela nous a pris des années pour avoir dix filles dans un échantillon fiable », déclare Diana Robins, professeure associée de psychologie et neurosciences à l’Université d’État de Géorgie, chercheuse principale d’une étude sur les différences entre les sexes dans le dépistage précoce des troubles autistiques, présentée à l’IMFAR.
D. Robins et son équipe ont utilisé le Modified Checklist for Autism in Toddlers (M-CHAT – Questionnaire pour le dépistage de l’autisme chez les bambins, version modifiée), pour dépister l’autisme chez près de 16 000 enfants à l’âge de 18 ou 24 mois. Au départ, 58% des 1 352 enfants montrant des signes en faveur d’un diagnostic d’autisme étaient des garçons. A chaque phase successive du processus diagnostique, toutefois, la proportion d’enfant de chaque sexe changeait.
Sur les 69 enfants qui ont été finalement diagnostiqués comme autistes, 81,2 % étaient des garçons (56 garçons contre 13 filles). « Cela correspond assez bien avec le sexe-ratio qui a été publié », rapporte D. Robins, « c’est donc prometteur. «
D. Robins travaille avec des enfants plus jeunes, et dit qu’elle ne pense pas que son étude de dépistage ait laissé de côté trop de filles. Mais elle reconnaît que plus de filles pourraient être laissées de côté à l’âge scolaire ou plus tard.
Davantage de filles que de garçons pourraient aussi se trouver juste sous le seuil qui sépare les individus avec une « détérioration clinique évidente » de ceux qui présentent des symptômes plus légers, ajoute-t-elle. « Savoir s’il existe plus de filles autour de nous qui flottent à proximité de ce seuil est une question empirique qu’il faudra bien se poser. «
[^1] Kopp S. et Gillberg C., Research in Developmental Disabilities. Diffusion en ligne avant impression (2011), PubMed.
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