Au croisement de l’autisme et des traumatismes


Lauren Gravitz pour Spectrum News, 26 septembre 2018 – Traduction : PhanTom et Amaeline Ward pour l’AFFA

Article original : At the intersection of autism and trauma

JD Mason ©Unsplash

Être autiste implique parfois de supporter une succession d’évènements traumatiques, qui débute dès le jeune âge. Et pour beaucoup, ces événements peuvent s’ajouter à l’état  de stress post-traumatique (ESPT) grave et persistant.

Avant même que Gabriel ne parle, la petite amie de son père  lui a dit que sa mère l’avait abandonnée. À l’âge de trois ans il a été agressé sexuellement par un cousin. Il a été harcelé sans pitié dès ses débuts à l’école, a montré des signes de dépression à l’âge de 7 ans et à 11 ans a commencé à dire à sa mère qu’il ne voulait plus vivre. Trois ans plus tard, dans un camp d’été, il s’est presque noyé. Peu de temps après cela, il a vécu une insolation mettant sa vie en danger en voulant récupérer un Lego dans le coffre de la voiture et en s’enfermant accidentellement dedans. Six mois auparavant, juste après que sa grand-mère meurt, il a fait une tentative de suicide.

« Il a souffert et a eu tellement de bouleversements dans sa vie qu’il a du mal à réaliser qu’il a maintenant un environnement stable » dit sa mère, Kristina. (Le nom de famille de Kristina et Gabriel a été caché afin de protéger la vie privée de la famille.) « Le monde est chaotique et fou pour les personnes ayant un développement typique. Pour lui, c’est accablant et déroutant ». Gabriel a maintenant 13 ans, il a commencé à voir un thérapeute il y a 5 ans et l’année dernière, il a été diagnostiqué comme ayant un ESPT.

L’autisme de Gabriel a été un facteur contributif dans la plupart des incidents douloureux qu’il a vécus. Les cliniciens suspectent que cette condition autistique augmente le risque de certains types de traumatismes, tels que le harcèlement et d’autres formes de violences. Pourtant, peu d’études se sont intéressés à cette supposition ou aux conséquences psychologiques d’un tel traumatisme, y compris le ESPT.

Jusqu’à il y a quelques années, seul un petit nombre d’études s’étaient penchées sur le problème, et la plupart suggèrent que moins de 3 % des personnes autistes ont un ESPT, presque le même taux que les enfants typiques. Si cela s’avère juste, souligne Kerns, l’ESPT serait l’un des rares problèmes psychiatriques qui n’est pas plus répandu chez les autistes que chez leurs pairs non autistes.

Une explication possible, explique Kerns, est que comme les autres conditions psychiatriques, l’ESPT semble tout simplement différent chez les autistes que dans la population en générale. « Pour moi, il semble possible que l’ESPT ne soit pas moins fréquent, mais potentiellement qu’on ne le mesure pas très bien, ou bien que les personnes autistes expriment ce trouble de manière différente », mentionne Kerns. « Il semblerait que nous n’ayons pas une représentation globale de ce trouble ».

Kerns et quelques autres chercheurs ont essayé d’avoir une meilleure compréhension de l’interaction entre autisme et ESPT, ils espèrent informer et construire le traitement pour des jeunes gens comme Gabriel. Plus ils creusent, plus ces chercheurs découvrent que beaucoup d’autistes pourraient avoir une forme de stress post-traumatique. « Nous essayons tout simplement de rassembler les éléments et de reconnaître qu’il s’agit d’un domaine important qui nécessite une étude plus approfondie », dit-elle. « C’est un appel aux armes pour que la recherche commence à s’intéresser au sujet ».

Ces chercheurs ont du pain sur la planche. Dans la population générale, l’ESPT est plutôt bien défini. Selon le Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders, ou DSM-5, , l’ESPT se développe après que quelqu’un ait vu ou vécu un événement terrifiant ou mettant en danger sa vie. Après cet épisode initial, tout souvenir de celui-ci peut déclencher la panique, des réflexes de surprise extrême, ou des flash-back. Mais au-delà de cette description, il y a une grande variété dans la manière dont l’ESPT se manifeste : il peut mener à l’hyper vigilance et la colère, il peut causer des cauchemars récurrents et d’autres troubles du sommeil ou il peut mener à la dépression, à une peur constante, de l’agressivité, de l’irritabilité ou des difficultés à se concentrer ou se souvenir de choses.

« Si vous faites l’équation, selon les critères de l’ESPT du DSM-5, vous pouvez avoir 636 000 combinaisons différentes de symptômes qui décrivent l’ESPT » explique Danny Horesh, responsable du Trauma and Stress Research Lab à la Bar-Ilan University à Ramat Gan, Israel. Compte tenu de tous les traits des personnes autistes qui peuvent se superposer à  ces permutations, « vous avez de bonnes raisons de penser que leur façon de manifester un ESPT pourrait être très différente », dit-il.

Les premières études ont juste commencé à confirmer cette idée et à montrer que ce qui constitue un traumatisme pourrait être différent chez  les personnes sur le spectre. Avec Ofer Golan, spécialiste de l’autisme à Bar-Ilan, et d’autres professionnels, Horesh a commencé à enquêter sur le point de convergence entre autisme et ESPT. Le groupe a recruté plus de 130 participants, incluant des étudiants et quelques personnes ayant un diagnostic d’autisme, et a essayé de déterminer où ils se situaient dans le spectre et s’ils présentaient des signes traditionnels d’ESPT.

Les violences sexuelles, les agressions sexuelles, la violence, les catastrophes naturelles et les combats en temps de guerre sont des causes communes d’ESPT dans la population générale. Parmi les personnes autistes, cependant, des expériences moins extrêmes – les alarmes incendie, les tâches administratives, la perte d’un animal de la famille, même le commentaire désinvolte d’un étranger – peuvent aussi être déstabilisantes. Ils peuvent aussi être traumatisés par le comportement d’autrui à leur égard.

« Nous savons d’après la littérature que les personnes autistes sont beaucoup plus exposées à l’intimidation, à l’ostracisme, aux moqueries, etc. » explique Golan. « Et quand vous étudiez la clinique de l’autisme, vous pouvez voir qu’ils sont très sensibles à ce genre d’événements. » Parmi les étudiants autistes, Golan et Horesh ont trouvé que des incidents sociaux, comme l’ostracisation, prédisent l’ESPT plus fortement que les violences, telles que la guerre, la terreur ou les violences sexuelles, qui ne sont pas rares en Israël. Parmi les étudiants typiques, cependant, les chercheurs observant la tendance opposée.

Étant donné ces différences, et les défis en matière de communication qu’ont souvent les personnes autistes, leur ESPT peut être particulièrement difficile à reconnaître et à résoudre.

« C’est tellement absurde qu’il y ait d’excellents traitements pour l’autisme aujourd’hui, et d’excellents traitements pour l'ESPT aujourd’hui, et tellement de recherches sur ces interventions. Mais personne à ce jour n’a connecté les deux », déplore Horesh. « Comment traiter l'ESPT chez les personnes autistes ? Personne ne sait vraiment. »

Caractériser la convergence 

Il peut être ardu de traiter autisme et ESPT séparément chez les personnes présentant ces deux troubles car la frontière qui les sépare est souvent très floue. Ironiquement, cela peut être la clé de leur traitement. Quand d’autres troubles accompagnent l’ESPT, comme les comorbidités liées à l’autisme, des chercheurs ont découvert qu’il est plus efficace de développer des thérapies qui prennent en compte ces deux troubles à la fois

L’ESPT et l’abus de substances, par exemple, vont souvent de pair, mais pendant des décennies personne n’a compris les dynamiques qui se jouent entre eux. Cependant une fois que les cliniciens ont commencé à développer et à étudier des traitements pour les deux simultanément, ils ont pu établir un programme adapté et efficace qui soulage les deux conditions. « C’est notre modèle : chercher une comorbidité, en déterminer la raison, puis développer des interventions, correctes et précises, sur cette association spécifique. », déclare Horesh.

Dans le cadre de leurs études, les chercheurs découvrent d’importants recoupements entre autisme et ESPT. Par exemple, au sein d’un groupe de 103 étudiants, ils ont constaté que ceux qui présentent davantage de traits autistiques montrent autant de signes d’ESPT, notamment l’évitement des sources traumatiques et les changements d’humeur négatifs. « Le groupe à haut risque d’autisme était également le groupe à haut risque d’ESPT. », précise Horesh.

Les chercheurs ont aussi découvert des tendances inattendues : l’association entre les symptômes de l’ESPT et les traits autistiques est, pour des raisons encore inconnues, plus forte chez les hommes que chez les femmes, même si les femmes typiques ont deux à trois fois plus de risques que les hommes de développer un ESPT ; ce biais de genre pourrait à la longue impacter les traitements. De plus, les personnes ayant davantage de traits autistiques présentent une forme spécifique d’ESPT, caractérisée par une hyperactivité physique : elles peuvent être plus facilement effrayées, plus susceptibles de souffrir d’insomnie, plus prédisposées à la colère et à l’anxiété, ou avoir une plus grande difficulté à se concentrer, par rapport à ce qui a été constaté dans d’autres formes d’ESPT. La reconnaissance de cette sous-catégorie pourrait être particulièrement utile à sa détection et à sa prévention, ainsi qu’à l’élaboration de traitements, explique Horesh, surtout que ces mêmes traits peuvent être attribués à tort à l’autisme et être négligés. « Nous savons que chaque ESPT possède cliniquement une nuance et une présentation différentes. », dit-il.

Compte tenu de la faible prévalence d’ESPT relevée chez les personnes autistes, Kerns se demande si les critères du DSM-5 relatifs à l’ESPT sont suffisamment précis pour détecter ses symptômes chez cette même population et si les cliniciens doivent rester à l’affût d’un sous-ensemble différent regroupant ces deux troubles et leurs fonctionnalités.

Kerns et ses collègues sont entrain d’interroger des adultes et des enfants autistes, ainsi que les tuteurs de personnes autistes moins verbales, afin d’en savoir plus sur ce qui constitue un traumatisme pour eux. Jusqu’à présent, ils ont questionné 15 adultes et 15 aidants. Ce qu’on a appris, dit-elle, c’est qu’il est nécessaire de vérifier systématiquement toutes les hypothèses. « On veut faire preuve de prudence par rapport à la définition du traumatisme car cette définition se réfère à des personnes non autistes, et on pourrait donc passer à côté de beaucoup de choses. », explique t-elle.

En discutant des causes des traumatismes avec les participants, elle a entendu « tout, des abus sexuels aux abus émotionnels, en passant par des brimades atroces, ou des concepts beaucoup plus vastes comme ce qu'est de vivre toute sa vie dans un monde où l'on capte moitié moins de données que tous les autres à cause des déficits sociaux. Ou se sentir constamment submergé par l'expérience sensorielle. Se sentir marginalisé dans notre société parce qu'on est différent. En d'autres termes, l'expérience de l’autisme et le traumatisme qui y est associé. », dit-elle.

Une mère avec qui Kerns s’était entretenue avait déménagé dans un refuge avec son fils autiste pour échapper à une violence conjugale intense. Son fils avait été témoin de la maltraitance, mais semblait davantage affecté par le déménagement, le changement de routine et la perte soudaine de leur animal de compagnie, qu’ils ont dû laisser derrière eux, plutôt que par la violence. Il a commencé à se faire plus mal qu’auparavant et à réclamer sans cesse l’animal, explique Kerns. « Trois ans plus tard, il demandait toujours l’animal, car il était l’un des rares autres êtres avec qui il avait créé un lien et entretenait des relations. »

Dans un autre cas, un garçon de 12 ans qu’elle avait interrogé refusait d’aller à l’école et a été hospitalisé pour avoir menacé de s’automutiler. La racine de son traumatisme s’est avérée être l’alarme incendie stridente lors d’un exercice d’évacuation. Pour une femme de 53 ans avec qui elle s’est entretenue, les formalités administratives qu’elle devait accomplir chaque année pour avoir droit à un logement et à d’autres types d’assistance était source d’un stress traumatisant.

La manière dont se manifeste l’ESPT chez les personnes autistes peuvent également être inattendues et exacerber des traits autistiques, tels que la régression des compétences ou de la communication, ainsi que des comportements et des discours stéréotypés. Sur la base de ces observations, Kerns et ses collaborateurs envisagent de créer des évaluations du traumatisme spécifiques à l’autisme, à tester à plus grande échelle.

« La manière dont le stress traumatique s’exprime chez les personnes présentes sur le spectre peut être différente. » Connor Kern

Traiter l’individu 

Cette succession de recherches en est encore à ses débuts : il est pour l’instant difficile de distinguer la corrélation de la causalité. Autrement dit, l’autisme prédispose t-il quelqu’un au stress post-traumatique ou les personnes autistes sont-elles plus vulnérables aux événements traumatiques ? Ou les deux ? Les scientifiques ne connaissent pas la réponse, bien que certaines études indiquent que les enfants autistes sont plus réactifs face aux événements stressants et qu’ils sont peut-être prédisposés à l’ESPT à cause du manque de capacités d’adaptation qui les aideraient à se calmer.

Même quand le traumatisme est connu et documenté, traiter une personne autiste est plus facile à dire qu’à faire. Lorsque les enfants sont non-verbaux ou voient juste le monde autrement, les praticiens peuvent avoir du mal à trouver le moyen le plus efficace de les aider à surmonter leurs expériences.

« Il est prouvé que les enfants autistes ont tendance à interpréter les questions différemment et de manière plus littérale, ou à davantage éviter les questions concernant leur traumatisme par rapport aux enfants dont le développement est typique. », déclare Daniel Hoover, psychologue clinicien pour enfants et adolescents au Centre de Stress Traumatique chez l’Enfant et la Famille de l’Institut Kennedy Krieger à Baltimore (Kennedy Krieger Institute’s Center for Child and Family Traumatic Stress). « Ils ont donc besoin de mesures plus appropriées ou adaptées aux enfants autistes, ce qui n’existe pas vraiment ou est en cours de développement. »

Un des traitements les plus efficaces pour l’ESPT, du moins chez les enfants et les adolescents, est la thérapie comportementale et cognitive (TCC) axée sur les traumatismes. Ce traitement adopte une approche en plusieurs étapes qui implique les enfants et leurs parents ou tuteurs dans une thérapie par la parole et l’éducation : ils apprennent tous ce qu’est un traumatisme, comment traverser des situations potentiellement délicates, ainsi que des outils de communication et des techniques apaisantes en cas de détresse. Les cliniciens invitent les enfants ayant un ESPT à discuter de l’expérience traumatique afin de les aider à maîtriser le récit, à le reformuler et à le rendre moins menaçant. Mais chez les enfants autistes, qui peuvent être mois verbaux que les enfants typiques ou tout simplement moins enclins à fouiller dans leurs souvenirs encore et encore, une telle approche peut s’avérer particulièrement difficile.

« Un certain nombre de caractéristiques fondamentales de l'autisme compliquent quelque peu les psychothérapies habituelles. », explique Hoover. Les enfants typiques ont tendance à hésiter à parler de leurs expériences traumatiques, mais ils cèdent généralement car ils savent que c'est bon pour eux, dit-il. « Les enfants autistes sont souvent moins disposés, parce qu’ils sont extrêmement anxieux et ne sont pas capables de voir l'arbre qui cache la forêt. » Il a noté que les enfants autistes peuvent être tellement ancrés dans le présent et attachés à la routine qu'ils ont du mal à participer à un traitement qui intensifie leur anxiété sur le moment, même quand ils savent que cela pourrait leur être bénéfique à long terme.

En travaillant avec ces enfants, les cliniciens ont aussi découvert qu’il était particulièrement ardu de séparer la compréhension d’un événement potentiellement traumatisant d’un enfant de celle de ses parents, qui peuvent en garder une interprétation complètement différente. Pour identifier ces strates, Hoover et ses collègues de l’Institut Krieger ont développé une application interactive et graphique sur téléphone pour aider les enfants, même non-verbaux, pour exprimer à travers des images leurs expériences et émotions associées. (Le groupe négocie actuellement avec un éditeur et espère rendre l’application accessible au public d’ici quelques années).

Les enfants autistes mettent aussi généralement beaucoup plus de temps à montrer des améliorations que leurs pairs ayant un développement ordinaire. « Cela leur prend plus de temps pour adhérer aux concepts, les intégrer et se sentir à l’aise. », déclare Hoover.

Cela s’est avéré exact pour Gabriel. Kristina rapporte qu’il progresse lentement avec le suivi de Hoover, mais qu’il a mis beaucoup de temps à s’ouvrir. « Il y avait des jours où il était assis sur sa chaise à regarder le Dr Hoover sans lui répondre. », raconte t-elle.

Suite au décès de sa grand-mère dans l’année, Gabriel a eu très peur que Kristina meure à son tour. Quand Hoover a essayé d’en discuter avec le garçon, celui-ci s’est fermé et n’a pas voulu s’impliquer dans le dialogue. Mais la semaine dernière, d’après sa mère, Gabriel s’est finalement ouvert. « Lui et le Dr Hoover ont échangé leurs idées : comment peut-on gérer ces pensées ? Comment peut-on les réorienter ? » Le dialogue a montré que Gabriel maîtrisait peu à peu son récit, transformant son souvenir accablant en une chose plus facile à gérer.

Il y a quelques semaines à peine, Gabriel a dit à sa mère qu’il craignait une nouvelle tentative de suicide et lui a demandé de l’aide. « Avant, je devais disséquer ce qui se passait, mais maintenant Gabriel utilise ses propres mots. », explique Kristina. « C’est une énorme amélioration pour lui. »

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