Le Comité ONU Femmes France décline la campagne « Orange Day » , qui consiste en 16 jours d’action contre les violences faites aux femmes (du 25 novembre au 10 décembre 2017). Dans le cadre de cette campagne nous diffusons des témoignages de violences faites aux femmes autistes.
« Je vous livre une pièce du puzzle de ma vie. Cet épisode ne fait pas ce que je suis mais est une partie de mon histoire.
J’étais une fille peu bavarde et discrète mais je pouvais parler pendant des heures des composants des synapses et de leurs cellules nerveuses. Malheureusement, les neurones n’intéressaient personne de mon entourage. Pour éviter d’être traitée trop souvent de débile et d’être rejetée, j’avais compris en observant le monde sociétal qu’il valait mieux se taire, plutôt que parler de ce qui animait ma pensée.
Ce jour là, j’étais allée chez une connaissance pour lui rendre un livre sur les neurotransmetteurs. Nous étions tous les deux dans son studio d’étudiant. Il me racontait ses réussites culinaires obtenues avec trois fois rien. Cela ne m’intéressait guère mais sa présence était sympathique. Et puis, j’avais peu de relations amicales. Pour tout dire, malgré mes 17 ans, je n’y comprenais pas grand chose à ces situations sociales. Alors, j’étais ravie de sa compagnie. Avec lui, j’avais l’impression de discuter comme le faisaient les jeunes filles de mon âge.
Au fil de la discussion, il me dit :
– Qu’est-ce que t’es bonne !
Prenant sa phrase au sens littéral dans son contexte initial, je lui rétorque avec aplomb et fière de l’apprentissage fait par mes parents sur le « bon » et le « pas bon » :
– Comment peux-tu affirmer que quelque chose est bon sans y avoir goûté ? Mes parents m’ont appris qu’il n’était pas permis de dire de telles affirmations tant que l’aliment n’était pas en contact avec les papilles.
Il me sourit alors et me caressa la joue puis posa ses lèvres sur les miennes. J’étais complètement sidérée !!! Je n’avais aucune envie de sentir ses mains, sa langue, sa bouche sur ma peau. Je ne comprenais pas le lien entre ma réplique et son attitude face à mon corps. Mais qu’avais-je bien pu dire pour lui permettre de s’autoriser à se comporter comme cela ? J’étais perdue dans le doute et ne savais pas comment m’exprimer. Il me parlait d’oignons émincés. Quel lien y avait-il entre son comportement, mon corps et les oignons ? Je ne comprenais rien du tout, mais je savais que je ne voulais pas de ses mains sur mon pantalon.
Je n’arrivais pas à réagir pour lui signifier d’arrêter sa « visite corporelle ». Sa respiration et son odeur devenaient de plus en plus fortes et insupportables. Mon regard se noyait dans le « O » du mot Géopolitique écrit sur la couverture d’un de ses livres. Je ne comprenais plus rien, j’étais comme spectatrice d’un film d’horreur.
Ce « O » allait me laisser des traces pour longtemps…
Je me suis retrouvée métamorphosée en poupée de chiffon, complètement nue, sans pouvoir intervenir et comprendre cette douleur entre mes cuisses. Ma tête tapotait sur le sol au rythme de ses va-et-vient.
Je n’arrivais pas à sortir de cette terreur que je venais de vivre, comme si la mort était toujours là, qu’elle et moi étions enfermées dans une bulle.
Je suis partie de chez lui les yeux mouillés, injectés de mort, sans mot…. Les mots sont d’ailleurs restés prisonniers pendant plus de 25 ans, jusqu’à ce que ma mémoire traumatique explose comme une bombe dans mon corps et ma tête.
Je n’avais pas intégré qu’il voulait « manger » mon corps. J’avais pensé que sa phrase nécessitait une réplique apprise en lien avec la gastronomie et non un consentement à une relation sexuelle.
Le fait de ne pas comprendre son sous-entendu m’a mise en danger et exposée à son désir sexuel. J’ai été violée car nous n’étions pas sur la même « longueur d’onde », nous étions dans deux mondes différents. Cette profonde incompréhension n’a fait qu’accentuer le manque de confiance en moi. Mes difficultés de communication sociale ne m’ont pas aidée à me sortir à temps de cette relation ni à anticiper les dangers auxquels je m’exposais en de telles circonstances.
Et la notion de consentement, parlons-en ! J’ai beaucoup de difficultés à la comprendre, c’est tellement abstrait. Alors, verbaliser ou signifier corporellement un NON est comme une mission impossible.
Cette situation dans laquelle je me suis retrouvée ne fut pas unique. Je n’arrivais pas à transposer les conséquences d’une situation à une autre, même si je sentais en moi que c’était synonyme de douleur, de cauchemars et de mort, tout cela ajouté à ce « NON » prisonnier dans ma gorge, qui n’arrivait jamais à sortir de ma bouche et de mon corps.
Combien de fois, je me suis sentie salie par l’incompréhension de la relation.
Combien de fois, je me suis retrouvée infestée de douleur et de souffrance, n’ayant pas compris l’intention de l’autre.
Combien de fois, j’ai pensé que j’étais uniquement un dévidoir à sperme.
Combien de fois, ce NON était là sans être en capacité de s’exprimer.
Combien de fois, mon corps s’est retrouvé déchiré par tous ces hommes.
Combien de fois, j’ai voulu me donner la mort avant que l’autre ne revienne me l’injecter.
Oui, combien de fois mon fonctionnement autistique m’a tuée…
Virginie »