Compte-rendu de l’ouvrage Autistes Asperger, la clé de votre recherche d’emploi en 120 conseils, de Philippe Jeanmichel, éd. À la fabrique, Grenoble, 2017, 283 p.
La recherche d’emploi est toujours une étape difficile à négocier et anxiogène, surtout dans la conjoncture actuelle. Elle l’est encore plus pour les personnes porteuses d’un handicap, le chômage touchant deux fois plus ce type de population que les autres (voir sur ce point la très bonne étude complémentaire de Christine Philip à la fin de l’ouvrage). En outre, pour les personnes TSA, entrer dans le monde du travail, monde hyper-social, avec des codes, un fonctionnement et des enjeux spécifiques, nous met la plupart du temps face à un « grand mur blanc », comme le rappelle Isabelle Hénault dans sa préface, et ce, malgré souvent un niveau d’études élevé.
Pour aider les aspi/e/s dans leur recherche d’emploi, Philippe Jeanmichel, Asperger lui-même, a donc conçu ce livre. Un ouvrage pensé par un aspi pour les aspis/e/s, cela promet en terme d’efficacité. En outre, l’auteur est un spécialiste de l’insertion professionnelle. Il a fait carrière dans le recrutement et a travaillé pendant longtemps pour des organismes en charge de l’emploi et de la formation. Il connaît donc très bien son sujet. Diagnostiqué tardivement (à 50 ans), Philippe Jeanmichel a mis en place lui-même, très tôt et plus ou moins intuitivement, des stratégies d’adaptation pour s’en sortir dans son parcours professionnel. C’est également cette expérience de vie dont il veut faire bénéficier son/sa lecteur/trice.
Ces 120 conseils… se présentent comme un manuel d’auto-coaching. Le livre de Philippe Jeanmichel nous propose un conseil par jour à découvrir pendant quatre mois, avec, en vis-à-vis, une page dédiée à la prise de notes personnelle et à l’auto-analyse. C’est un manuel qui se veut un accompagnement, pensé comme une méthode pas à pas pour aller vers l’emploi et vers la mise en œuvre du projet de vie du lecteur. Les premiers conseils vous sembleront peut-être inutiles si vous êtes déjà diagnostiqué/e mais, en fin de compte, ils permettent de faire le point avec vous-même et avec votre parcours quant à ce diagnostic, ce qui l’a motivé et ce que cela a engendré chez vous.
L’ouvrage est assez complet dans ce qu’il balaie comme thématiques et nous ressentons un certain soulagement en parcourant ces conseils qui vont de la prise de conscience de son TSA et de la démarche diagnostique (partie I : « Je suis acteur de mon développement personnel ») jusqu’à la retraite (partie IV : « Je suis acteur de ma réussite »), en passant bien évidemment par la recherche d’emploi elle-même, les perspectives d’évolution, un éventuel licenciement ou même une reconversion ; le but de tout cela étant, bien sûr, que nous soyons des adultes Asperger à l’aise dans nos baskets et sachant utiliser au mieux nos super pouvoirs. Oui, c’est un manuel qui fait plaisir à lire car il nous parle, on s’y reconnaît. Certaines mentions concernent même les femmes aspies ou « aspergirls ».
À noter que les conseils dispensés par Philippe Jeanmichel sont aussi valables pour mieux gérer le quotidien : savoir se détacher de ses émotions, prendre des pauses régulièrement, s’octroyer des récompenses après des efforts notables, penser positif, prendre conscience de sa valeur, viser l’efficacité et ne pas s’enliser dans des fonctionnements rassurants mais peu productifs… Plus facile à dire qu’à faire, me direz-vous ? mais c’est déjà un bon début de vouloir essayer. Puis cela fait du bien de lire tous nos atouts décortiqués un par un et replacés dans la perspective de leur utilité dans le milieu professionnel : honnêteté, fiabilité, ponctualité, régularité, précision, pugnacité et, la plus importante, l’originalité !
Dans cette optique, ce guide sera un outil de plus pour défendre notre place et argumenter sur notre rôle spécifique dans une entreprise car, malheureusement, les TSA étant encore trop mal connus, il faudra souvent se justifier (face à la hiérarchie, face aux clients). Philippe Jeanmichel accorde ainsi plusieurs pages au fait de savoir si oui ou non il faut faire part de son trouble au sein de l’entreprise. C’est une question cruciale pour laquelle aucune réponse universelle n’est possible. À chacun/e de faire son choix en fonction de son parcours et de sa situation spécifique. Et ce guide est salutaire en ceci qu’il peut contribuer à nous faire prendre la décision la plus adaptée. Nous souhaiterions même un tome 2 qui nous aiderait, une fois le poste tant convoité obtenu, à mieux gérer l’équilibre entre vie privée et vie professionnelle, nos obsessions pouvant faire pencher défavorablement la balance dans un sens ou dans l’autre. C’est une question d’autant plus cruciale pour les femmes aspies souvent encore contraintes, comme femmes, à assumer davantage de responsabilités domestiques.
Seulement, si ce guide conviendra à beaucoup d’entre nous, il ne conviendra peut-être pas à tous/tes. Les questions sensées nous aider à passer à l’écrit, sur les pages consacrées à la prise de notes, sont parfois un peu trop ouvertes dans leur formulation. Il faut posséder un esprit déjà bien synthétique (c’est le cas de beaucoup d’aspi/e/s mais pas de tous/tes) et être doué/e en introspection pour pouvoir y répondre seul/e, et par écrit qui plus est. Dans ce cas, ne pas hésiter à prévoir d’employer le manuel avec un tiers, un coach, voire un/e conseiller/ère emploi. D’ailleurs, l’auteur lui-même conseille occasionnellement de demander l’appui ou l’avis d’un proche ou d’une personne de confiance. Personnellement, je pense que cela est nécessaire à chaque étape de notre démarche car nous ne sommes pas vraiment performant/e/s pour nous rendre compte de ce que le monde professionnel attend de nous, ni pour nous rendre compte de l’impact de ce que nous disons/faisons sur les autres et encore moins pour établir la liste de nos fabuleux atouts (nous avons davantage tendance à nous focaliser sur nos défauts).
Nous pouvons également regretter que les conseils ne portent pas chacun un titre qui aiderait à en saisir l’axe principal et à naviguer de manière moins linéaire dans ce guide, conçu seulement pour être progressif. De même, un index ou une table détaillée qui les récapitulerait permettrait de pouvoir mieux s’y retrouver, par exemple dans l’explication de certains termes et de certaines méthodes qui reviennent régulièrement. Nous aurions aimé pouvoir aussi picorer et faire des retours en arrière ponctuels et précis quand cela s’avère nécessaire.
Présentée en postface, l’étude de la chercheuse Christine Philip complète très utilement les conseils de l’auteur par une perspective scientifique. Chiffres à l’appui, Christine Philip pointe la situation extrêmement problématique des Asperger laissés en marge du marché du travail, cela parce qu’ils ne trouvent pas d’emplois adaptés ou, pire, parce qu’ils sont totalement découragés par leurs expériences passées et qu’ils ne souhaitent, par conséquent, plus tenter de s’insérer sur le marché de l’emploi, ce qui entraîne une très grande précarité et un isolement encore plus grand que notre isolement, disons, « naturel ». Le problème est d’ailleurs commun aux autistes de hauts niveau comme à tous les autistes en général mais il faudrait des études complémentaires pour le démontrer.
Point aveugle de cette recherche et manque qu’il paraît urgent de combler : la situation spécifique des femmes aspies concernant le marché du travail. Si, dans la population générale, il est de notoriété publique que la situation des femmes quant à l’emploi est plus précaire que celle des hommes, on se doute que ce différentiel se répercute aussi dans la population aspie. Les femmes aspies cumulent donc les « handicaps », pourraient-on dire, handicaps au regard des normes dominantes qui régissent encore actuellement notre société.
Si les chiffres concernant l’emploi des femmes porteuses de handicap existent (et ils sont, malheureusement, éloquents voir le rapport du défenseur des droits en novembre 2016), nous manquons de chiffres spécifiques à la situation des femmes avec TSA. Mais, pour travailler au contact de cette population et pour en être, je sais qu’elle est alarmante (voir cette série de témoignages de femmes autistes par rapport à l’emploi). Car, en plus des difficultés spécifiques liées à l’autisme et à l’emploi des autistes, nous cumulons retard des recherches scientifiques sur les TSA au féminin (donc une plus grande errance diagnostique et un manque de prise en charge adaptée) et charges liées aux attentes sociales concernant notre condition de femme : être mère, s’occuper du foyer, etc. (sur la charge mentale voir cet article).
À cela s’ajoutent les inégalités salariales et d’emploi communes à toutes les femmes et, très souvent, une plus grande fréquence des situations de maltraitance ou de harcèlement au travail (conjonction dramatique de deux facteurs : une plus grande fréquence de ces cas de figure chez les femmes en général de même qu’une très grande fréquence de ces situations dans l’ensemble de la population avec TSA également). Mais nous manquons de chiffres précis. C’est donc une étude à faire d’urgence si nous voulons prendre la mesure réelle de ce problème et agir en conséquence.
Alice
Docteure, chercheuse en sciences humaines et sociales,