Roman-graphique “Camouflage” : les vies cachées des femmes autistes


Remerciements à Phan Tom et Angela Godoy, toutes deux femmes autistes et membres de l’AFFA, pour cette présentation de qualité du magnifique roman graphique de Sarah Bargiela et Sophie Standing :

CAMOUFLAGE

The Hidden Lives of Autistic Women

Camouflage

est un roman graphique de 48 pages écrit par Sarah Bargiela et illustré par Sophie Standing. Publié chez Jessica Kingsley Publishers le 21 Mars 2019, il n’est actuellement disponible qu’en anglais.

Vous pouvez commander l’ouvrage ici

Dr Sarah Bargiela

est une psychologue clinicienne spécialisée dans l’autisme. Elle a également été une intervenante clé auprès d’enfants autistes. Elle s’est spécialisée dans l’étude du profil féminin de l’autisme et est l’auteure de plusieurs articles scientifiques sur le sujet.

Sophie Standing

est une illustratrice et conceptrice basée à Londres, spécialisée dans les sciences humaines. Son style combine le numérique et le fait-main, avec un accent mis sur la couleur riche, les textures et les concepts métaphoriques.

Sarah Bargiela, camouflage et femmes autistes, AFFA

Résumé

Les scènes du livre s’appuient sur le regard d’Amy, une journaliste diagnostiquée à l’âge de 20 ans. Elle est le fil conducteur de l’ouvrage et va interroger d’autres femmes autistes sur leurs expériences de vie. Les professeurs Hans Asperger et Léo Kanner sont parmi les premiers à évoquer l’autisme dans les années 1940. Leurs observations sont essentiellement basées sur des profils masculins. Par la suite, dans les années 1980, les études sur les filles autistes commencent à émerger.
A cette époque, une chercheuse nommée Lorna Wing constate qu’il y a 1 femme pour 15 hommes autistes dit « de haut niveau de fonctionnement » et 1 femme pour 2 hommes autistes dit « à faible niveau de fonctionnement ».

Pourquoi y a-t-il si peu de femmes autistes comparativement aux hommes ?

Plusieurs raisons expliquent cela :

  1. La théorie du cerveau masculin extrême du chercheur Simon Baron Cohen
  2. Les filles autistes cachent mieux leurs traits autistiques
  3. Le phénotype autistique féminin est différent du phénotype autistique masculin
  4. Les tests utilisés pour mesurer l’autisme lors d’un diagnostic ne sont pas conçus pour déceler les profils féminins

L’autisme se caractérise par deux points :

  1. Des difficultés de communication et d’interactions sociales : comme par exemple débuter des conversations, savoir quand s’arrêter de parler ou se représenter l’état d’esprit d’autrui.
  2. Des comportements répétitifs et restreints :
  • Comme lorsque quelqu’un est intensément absorbé par son centre d’intérêt. Chez les personnes ils peuvent être particuliers, comme les poignées de porte, ou plus commun, par exemple les chiens
  • Il peut aussi s’agir de répéter une phrase (écholalie)
  • Avoir des mouvements répétitifs d’une partie du corps (stéréotypies)
  • Obéir à des routines strictes, comme manger la même chose ou prendre le même chemin pour rentrer chez soi
  • Les hyper/hypo sensibilités font aussi partie des comportements répétitifs et restreints. C’est le fait de percevoir le monde trop fort ou pas assez fort au travers de ses 5 sens

Voici quelques différences entre les femmes et les hommes autistes, illustrées dans la BD :

Illustration : Sophie Standing, traduction : Phantom, AFFA, camouflage femmes autistes

Illustration : Sophie Standing, traduction : Phantom

Les recherches ont montré que les femmes autistes :

  • Ont moins de comportements répétitifs et restreints
  • Se socialisent plus facilement que les hommes
  • Internalisent davantage leurs émotions, comme la colère ou la peur

Pour mieux comprendre le profil féminin de l’autisme, l’auteure et l’illustratrice nous proposent de suivre le parcours de trois femmes :
♦ Paula, 24 ans
♦ Ellie, 19 ans
♦ Mimi, 30 ans
Il y a plusieurs éléments qui se retrouvent dans le profil féminin de l’autisme :

Tu n’es pas autiste :

Lorsque les femmes suggèrent à la leur famille, proche ou même médecin qu’elles pourraient être autistes, elles ne sont souvent pas prises au sérieux. Les médecins posent d’autres diagnostics : dépression, anxiété, trouble de la personnalité…

Prétendre être normale :

Beaucoup de femmes n’ont pas de diagnostic étant jeune, elles essayent de s’intégrer et de correspondre à l’image qui est attendue d’elles.
De la passivité à l’affirmation de soi :

Beaucoup de femmes autistes expliquent que leur diagnostic leur a permis de rencontrer des femmes qui ont connues les mêmes difficultés et d’affirmer leur identité. Les femmes autistes sont particulièrement vulnérables aux agressions sexuelles.
Une identité sociale basée sur les intérêts :

Après le diagnostic, beaucoup de femmes utilisent leurs intérêts spécifiques pour trouver une communauté d’amis.

1. « Tu n’es pas autiste »

Cette partie de l’ouvrage décrit les difficultés sociales des femmes autistes.

Les femmes autistes ont des difficultés à l’école :

Malheureusement, celles-ci se sentent maltraitées par le système scolaire parce qu’elles ont le sentiment que celui-ci ne reconnait pas leurs efforts.

2. « Faire semblant d´être normale »

Des réponses sociales inadaptées :

Les femmes autistes vont essayer de compenser intellectuellement ce qui leur fait défaut socialement en allant chercher des réponses dans les livres. Malheureusement, ces réponses sont souvent inadaptées parce que la réalité du livre est en décalage par rapport à la réalité que nous connaissons. Par exemple, une femme autiste s´est fait harceler par ses camarades de classe parce qu’elle utilisait un vocabulaire trop châtié. Les femmes vont donc développer plusieurs stratégies afin de mieux s´intégrer :

  • L´imitation comme stratégie d´adaptation : Elles savent reproduire parfaitement les accents étrangers dans une conversation afin de mieux s´intégrer.
  • Une fausse personnalité : Les femmes autistes vont se construire une fausse personnalité afin de mieux s´intégrer. Malheureusement, ces efforts sont épuisants.
  • Un masque social très convaincant : Elles vont donc se construire un rôle de neurotypique si convaincant qu’elles vont se demander si elles sont réellement autistes ou pas.

Malheureusement, toutes ces stratégies d’adaptation ont des conséquences. Elles sont énergivores parce qu’elles conduisent les femmes à une fatigue sociale intense.

3. « De passives à affirmées »

Cette partie de l´ouvrage décrit les stratégies que les femmes autistes mettent en place pour sortir de leur passivité dans les conflits et s´affirmer.
Les femmes autistes sont évitantes. Elles n´aiment pas les conflits. Elles vont donc souvent coopérer parce qu’elles ne connaissent pas les règles.

En général, cette stratégie d´évitement fonctionne dans le cadre professionnel mais échoue dans le cadre des rencontres amoureuses notamment en raison du manque de règles définies.

Une des raisons qui explique ces échecs vient de leur méconnaissance par rapport à la notion de consentement. En effet, les femmes autistes croient que pour faire bonne figure, elles doivent céder aux avances sexuelles de leur partenaire. Ce manque de discernement amène irrémédiablement à des situations de violences et de manipulation. Par exemple, lors d´une rupture amoureuse, leur conjoint les a forcées à rester avec lui / elle parce qu’il / elle a réussi à remettre en question la validité de leurs sentiments.

Ainsi, les femmes autistes ont souvent du mal à dire non parce qu’elles croient qu’elles doivent être gentilles avec tout le monde. Il leur est difficile de trouver le bon équilibre entre le moment où il faut céder et le moment où il faut savoir dire non.

Heureusement, les femmes autistes ont appris à résoudre leurs problèmes grâce à l´existence de groupes de parole.

4. « Une identité sociale basée sur les passions »

Cette partie de l´ouvrage décrit le rôle que les amitiés jouent pour aider les femmes à mieux se définir en tant que femmes autistes.

Un jour, une femme autiste tomba sur un article de blog qui présentait l´autisme non pas comme un trouble mais plutôt comme une différence neurologique. Cette nouvelle façon de
présenter l´autisme la réconforta.

Le diagnostic est un important pour les femmes car il leur permet de faire partie d´une grande famille. Dans cet espace privilégié, protégé, les femmes autistes se sentent alors à l´aise pour partager leurs expériences.

Les femmes autistes ont souvent des difficultés à se faire des amies. Elles vont préférer s´exprimer derrière un écran d´ordinateur, qui leur enlève beaucoup de pression sociale tel que devoir décoder le langage corporel et les expressions du visage. Les femmes autistes ont en général de plus grandes facilités à comprendre les hommes parce que ceux-ci disent les choses simplement.
Les femmes autistes recherchent des amies qui acceptent leur différence inconditionnellement.
Bien que l´amitié joue un rôle clé dans la reconnaissance sociale des femmes autistes, ce sont leurs passions qui occupent toute leur attention.

Par exemple, une femme qui s´était prise de passion pour les biplans et les avions vintages, écrivit l´histoire d´une femme pilote. Les domaines pour lesquels les femmes autistes se prennent de passion ne sont pas que théoriques ou artistiques. Elles recherchent aussi des expériences sensorielles. Par exemple, le fait de simplement s´étendre dans un bateau et de se laisser dériver vont leur permettre d´apaiser leur cerveau en ébullition et d´éviter des effondrements. Les passions des femmes autistes ne se limitent à un seul domaine. Elles peuvent avoir une multitude de passions à travers des activités manuelles et musicales.

Maintenant que les chercheurs en savent un peu plus sur les différences entre l´autisme féminin et masculin, d´autres questions se posent :

  • Lai et al. (2016) se sont rendus compte que le camouflage ne concernait pas uniquement que les femmes mais également les hommes et les personnes agenrées.

  • Une équipe de recherche a également découvert que le camouflage était un facteur de prédiction des risques de suicide.

  • Une équipe danoise (Jensen, 2014) explique que les outils de diagnostic de l´autisme sont biaisés et souhaite mettre en place des outils de diagnostic plus sensibles permettant de détecter l´autisme féminin.

  • Il est important que l´autisme féminin soit reconnu. De cette façon, les femmes autistes vont se sentir reconnues dans leur différence.

Pour conclure

Ce résumé écrit à quatre mains et deux têtes, nous pouvons dire que nous avons toutes les deux été très enthousiastes vis-à-vis de ce livre illustré car il démocratise les recherches scientifiques menées dernièrement sur les femmes autistes. Il en ressort une présentation précise et réaliste des femmes autistes, loin de certains stéréotypes que l’on rencontre parfois dans les médias. Le fait que la partie narrative s’appuie sur les témoignages de trois femmes autistes rend le discours dynamique en mettant en scène des actes de la vie courante et des expériences dans lesquelles chaque femme autiste peut se reconnaitre. Le talent graphique de Sophie Standing illustre parfaitement les différentes parties du livre et donne vie aux personnages et à leurs aventures. Certaines planches sont remarquables et permettent de saisir en un regard le fonctionnement sensoriel des personnes autistes ou les différences entre le phénotype masculin et féminin de l’autisme.

© Jessica Kingsley Publishers, tous droits réservés

© Article Angela Godoy et Phan Tom, pour l’Association Francophone de Femmes Autistes (AFFA).

Cet article ne peut être reproduit ou copié sans l’autorisation expresse de Jessica Kingsley Publishers.

Article mis en ligne le 8 septembre 2019

www.pdf24.org    Send article as PDF   

Leave a comment

Your email address will not be published. Required fields are marked *