Francine Russo pour Spectrum News, 21 fev 2018 – Traduction : Marie Bertaina pour l’AFFA
Article original : The costs of camouflaging autism
Beaucoup de filles cachent leur autisme, évitant parfois le diagnostic jusqu’à l’âge adulte. Ces efforts peuvent aider les femmes autistes, socialement et professionnellement, mais ils peuvent aussi leur causer de sérieux torts.
Sommaire
Introduction
À l’exception de sa famille et de ses amis les plus proches, personne dans l’entourage de Jennifer ne sait qu’elle est dans le spectre de l’autisme. Jennifer, écrivaine de 48 ans, n’a été diagnostiquée autiste qu’à l’âge de 45 ans – et ensuite elle le fut seulement parce qu’elle voulait avoir la confirmation de ce qu’elle avait compris sur elle-même ces dix dernières années. Quasiment toute sa vie, dit-elle, elle a échappé au diagnostic en s’obligeant à cesser de faire les choses que ses parents et les autres trouvaient étranges ou inacceptables. (Pour préserver sa vie privée, Jennifer a demandé que nous ne mentionnions pas son nom de famille.)
Pendant plusieurs semaines d’échanges par mails, Jennifer m’a confié quelques unes des astuces qu’elle utilise pour masquer son autisme – par exemple, fixer un point entre les sourcils des gens pour ne pas les regarder dans les yeux, ce qui la met mal à l’aise. Mais quand nous parlons pour la première fois par vidéo chat un vendredi après-midi de janvier, je ne peux me rendre compte d’aucun de ses stratagèmes.
Elle me confie être anxieuse. « Je n’ai pas mis mon ‘masque’ spécifique interview », me dit-elle. Mais sa nervosité aussi est cachée, du moins jusqu’à ce qu’elle m’explique qu’elle tape du pied en-dehors du champ de la caméra, et écrase un chewing-gum dans sa bouche. La seule chose que je puisse dire avoir vue, est qu’elle rassemble des torsades de ses cheveux châtains mi-longs, les tire en arrière de son visage et les laisse retomber, de manière répétitive.
Pendant plus d’une heure, Jennifer me décrit les importantes difficultés sociales et de communication qu’elle rencontre presque tous les jours. Elle peut s’exprimer facilement à l’écrit, dit-elle, mais est désorientée lors d’une communication en tête-à-tête. « L’immédiateté de l’interaction perturbe mon mode de fonctionnement », explique-t-elle.
« Est-ce que ce que je dis est sensé ? » me demande-t-elle soudain. Ça l’est, mais elle a toujours peur que ce ne soit pas le cas.
Pour compenser, Jennifer dit qu’elle répète comment se comporter. Avant de participer à une fête d’anniversaire avec son fils, par exemple, elle se prépare à être « dans l’action », corrige sa posture et calme sa bougeotte habituelle. Elle me montre comment elle s’assied le dos droit et reste immobile. Son visage prend une expression agréable et engagée, celle qu’elle doit adopter pour une conversation avec un autre parent. Pour que le dialogue soit fluide, elle y met éventuellement certaines expressions apprises comme “Bon sang !” ou “Vas-y à fond ou rentre chez toi ! (expression anglo-saxonne)”. « J’ai la sensation que si je hoche la tête, ils ne percevront pas que je ne suis pas intéressée », dit-elle.
Au cours des dernières années, les scientifiques ont découvert que comme Jennifer, beaucoup de femmes autistes « camouflent » les signes de leur autisme. Ce camouflage peut expliquer au moins en partie pourquoi les garçons sont 3 à 4 fois plus nombreux à être diagnostiqués que les filles. Cela permettrait aussi de donner du sens au fait que les filles diagnostiquées jeunes tendent à avoir des traits sévères, et que les filles ayant une intelligence vive sont souvent diagnostiquées sur le tard. (Les garçons sur le spectre utilisent aussi le camouflage, d’après les chercheurs, mais pas autant que les femmes.)
Quasiment tout le monde fait des petits ajustements pour se conformer au mieux aux normes sociales, mais le camouflage réclame un effort constant et élaboré. Il peut aider les femmes autistes à maintenir leurs relations et leurs carrières, mais ces victoires se payent généralement au prix fort, incluant l’épuisement physique et l’anxiété extrême.
« Un point important, je pense, est le fait que le camouflage se développe souvent comme une stratégie d’adaptation pour supporter le quotidien » Kajsa Igelström
« Le camouflage est de l’ordre d’une bataille désespérée et parfois inconsciente pour la survie », explique Kajsa Igelström, professeur assistante en neuroscience à l’université de Linköping en Suède. « Un point important, je pense, est le fait que le camouflage se développe souvent comme une stratégie d’adaptation pour supporter le quotidien », dit-elle. « Pour beaucoup de femmes, ce n’est que dans le cas où elles obtiennent un diagnostic correct, qu’elles sont reconnues et acceptées, qu’elles peuvent alors se représenter totalement qui elles sont. »
Cependant, les femmes qui utilisent la stratégie du camouflage ne disent pas toutes qu’elles auraient voulu savoir qu’elles étaient autistes plus tôt, et les chercheurs reconnaissent que cette problématique est pleine de complexités.
Recevoir un diagnostic officiel aide souvent les femmes à mieux se comprendre et à obtenir un meilleur soutien, mais quelques-unes disent qu’il est accompagné d’autres fardeaux, comme l’étiquette qui stigmatise, et moins d’attentes en matière de réussite.
Les filles se fondent dans la masse
Parce que beaucoup plus de garçons sont diagnostiqués en tant qu’autistes par rapport aux filles, les cliniciens ne pensent pas toujours à l’autisme quand ils voient des filles qui sont calmes ou qui semblent avoir des difficultés au niveau social. William Mandy, un psychologue clinicien de Londres, explique que ses collègues et lui, au quotidien, voient des filles qui sont passées d’un centre ou d’un docteur à l’autre, souvent diagnostiquées de manière erronée comme ayant un autre problème. « Au début, aucun indice ne nous laissait penser qu’elles avaient besoin d’aide ou de soutien par rapport à l’autisme », dit-il.
Avec le temps, Mandy et d’autres chercheurs ont commencé à suspecter que l’autisme se présentait de manière différente chez les filles. Quand ils s’entretenaient avec des filles ou des femmes sur le spectre, ils ne voyaient pas toujours des signes de leur autisme mais ils ont constaté les signes d’un phénomène qu’ils ont appelé le camouflage. Dans quelques petites études commencées en 2016, les chercheurs ont confirmé que, au moins parmi les femmes ayant un haut potentiel intellectuel (haut QI), le camouflage est habituel. Ils ont aussi noté des différences possibles liées au genre qui font que les filles ne sont pas repérées par les cliniciens : tandis que les garçons autistes peuvent apparaître comme étant hyperactifs ou se comporter de manière inappropriée, les filles semblent plus souvent anxieuses ou déprimées.
L’année dernière, une équipe de chercheurs, aux Etats-Unis, a poursuivi ce travail. Ils ont visité de nombreuses écoles pendant les récréations, et observé les interactions entre 48 garçons et 48 filles, âgés de 7 à 8 ans en moyenne, la moitié de chaque groupe ayant un diagnostic d’autisme. Ils ont découvert que les filles autistes ont une tendance à rester proches des autres filles, allant et venant au milieu des activités. En contraste, les garçons autistes tendent à s’amuser seuls, sur le côté. Les cliniciens et les professeurs cherchent l’isolement social, parmi d’autres choses, pour repérer les enfants autistes Mais cette étude révèle qu’en utilisant uniquement ce critère, ils passeraient à côté de beaucoup de filles autistes.
Les filles et les garçons ordinaires jouent différemment, explique Connie Kasari, chercheure à l’université de Californie, Los Angeles, co-responsable de cette étude. Tandis que beaucoup de garçons s’amusent à un sport, dit-elle, les filles sont souvent en train de parler et papoter, et engagées dans des relations étoites. Les filles ordinaires dans l’étude butinaient de groupe en groupe, continue-t-elle. Les filles autistes semblaient faire de même, mais ce qui se passait en réalité, d’après ce qu’ont compris les investigateurs, était différent : les filles autistes étaient rejetées de manière répétitive des groupes, mais persistaient ou cherchaient à se joindre à un autre groupe. Les scientifiques disent que ces filles sont peut-être plus motivées à s’adapter que les garçons, donc elles y travaillent plus dur.
Delaine Swearman, 38 ans, explique qu’elle avait très envie de s’adapter quand elle avait 10 ou 11 ans, mais qu’elle avait la sensation d’être trop différente des autres dans son école. Elle a observé les filles qu’elle appréciait et a conclu : « Si je faisais comme si j’aimais les choses qu’elles aiment, et que je suivais le mouvement, peut-être m’accepteraient-elles ». Ses camarades d’école étaient fans du groupe New Kids on the Block. Donc Swearman, qui n’était pas du tout intéressée par ce groupe, a fait semblant d’avoir une passion qu’elle ne ressentait pas. Elle s’est fait quelques nouveaux amis, mais avait la sensation qu’elle n’était jamais elle-même. Swearman, comme Jennifer, a été diagnostiquée seulement à l’âge adulte, avant ses 30 ans.
Même quand les professeurs repèrent des filles pour effectuer un bilan par rapport à l’autisme, les tests du diagnostic standard peuvent échouer à reconnaître leur autisme. Par exemple, dans une étude l’an dernier, les chercheurs ont observé 114 garçons et 114 filles autistes. Ils ont analysé les résultats des enfants à l’ADOS (Autism Diagnostic Observation Schedule), ainsi que les rapports des parents concernant les traits autistiques et les compétences de la vie quotidienne, comme celle de s’habiller. Ils ont trouvé que même quand les filles ont un score à l’ADOS similaire à celui des garçons, elles ont une tendance à être plus sévèrement atteintes : les renseignements donnés par les parents des filles de l’étude entraînent des résultats plus bas pour leurs filles par rapport à ceux des garçons, en termes de compétences de la vie courante et plus hauts en termes de difficultés sociales, intérêts restreints ou comportements répétitifs. Les chercheurs expliquent que les filles avec des traits moins sévères, particulièrement celles qui ont un haut QI, n’ont probablement pas eu un score suffisamment élevé à l’ADOS pour être incluses dans l’échantillon de l’étude.
Les tests standards peuvent manquer le repérage de l’autisme chez plusieurs filles, parce qu’ils ont été conçus pour détecter cette condition chez les garçons, explique la directrice de recherche Allison Ratto, professeur assistante au Center for Autism Spectrum Disorders du Children’s National Health System à Washington D.C. Par exemple, les tests décèlent les intérêts restreints, mais les cliniciens peuvent ne pas repérer les intérêts restreints qu’ont les filles autistes. Les garçons autistes ont une tendance à avoir des obsessions pour des sujets comme les taxis, les cartes, les présidents des Etats-Unis, mais les filles sur le spectre sont souvent intéressées par les animaux, les poupées ou les célébrités, des intérêts qui ressemblent à ceux de leurs pairs typiques, et donc passent inaperçus. « Nous avons probablement besoin de revoir nos tests », dit Ratto, « et peut-être de les utiliser en combinaison avec d’autres critères ».
Derrière le masque
Avant que les scientifiques ne puissent élaborer de meilleurs outils de dépistage, ils ont besoin de définir plus précisément les caractéristiques du camouflage. Une étude l’an dernier a établi une définition du terme pour orienter la recherche : le camouflage est la différence entre la manière d’être des gens en contexte social, et leur vécu interne. Si, par exemple, une personne a des traits autistiques marqués, mais une tendance à ne pas les montrer dans ses comportements, la disparité signifie qu’elle utilise le camouflage. C’est ce qu’explique Meng-Chuan Lai, professeur assistante en psychiatrie à l’université de Toronto au Canada, qui travaille sur le sujet. La définition est nécessairement vaste, incluant tous les efforts pour masquer une caractéristique autistique, allant de la suppression des comportements répétitifs comme les autostimulations, ou des discussions sur les intérêts obsessionnels, dans le but de prétendre suivre une conversation ou pour imiter les comportements standards.
Pour évaluer quelques-unes de ces méthodes, Mandy, Lai et leurs collègues au Royaume Uni ont enquêté auprès de 55 femmes, 30 hommes et 7 individus transgenres ou « autre genre », tous ayant un diagnostic d’autisme. Ils ont demandé ce qui motive ces individus à masquer leurs traits autistiques et quelles techniques ils utilisent pour atteindre leur objectif. Quelques participants ont répondu qu’ils se camouflent dans le but de se faire des amis, de trouver un bon travail ou de rencontrer un(e) partenaire amoureux(se). « Bien se camoufler peut vous permettre d’avoir un travail lucratif », dit Jennifer. « Ça aide à avoir des interactions sociales sans que ne soient pointés du doigt votre comportement ou une lettre A géante sur votre poitrine ». D’autres disent qu’ils utilisent le camouflage pour éviter une punition, pour se protéger contre les rejets ou les attaques, ou simplement pour être perçus comme “normaux”.
« En fait, deux de mes professeurs m’ont dit que je devais avoir des “mains calmes” », explique Katherine Lawrence, une femme autiste britannique de 33 ans. « Donc je devais dissimuler mes mains sous la table, et m’assurer autant que possible que mes pieds tapaient ou que mes jambes gigotaient sans que cela ne se voie ». Lawrence, dont l’autisme n’a été diagnostiqué qu’à l’âge de 28 ans, dit qu’elle savait que sinon, ses camarades de classe penseraient qu’elle était bizarre, et que ses professeurs la puniraient de distraire les autres.
Les adultes de l’enquête ont décrit un magasin imaginaire d’outils auxquels ils font appel dans des situations différentes pour éviter la douleur et être acceptés. Si, par exemple, une personne a des difficultés à commencer une conversation, elle pourrait d’abord s’entraîner à sourire, explique Lai, ou préparer des blagues pour briser la glace.
Plusieurs femmes développent un répertoire de personnalités en fonction des audiences.
Jennifer dit qu’elle étudie le comportement des gens et apprend des gestes ou des phrases qui, pour elle, semblent inspirer la confiance ; elle s’entraîne souvent devant un miroir.
Avant un entretien d’embauche, elle note les questions qu’elle pense qu’on lui posera, et ensuite elle écrit et mémorise les réponses. Elle garde aussi en mémoire quatre anecdotes dont elle peut parler par rapport au défi d’un délai à tenir. L’étude a trouvé que les femmes sur le spectre créent souvent ce genre de règles et des scénarios pour elles-mêmes, pour leurs conversations. Pour éviter de trop parler d’un intérêt restreint, elles peuvent s’entraîner à répéter des histoires sur d’autres sujets. Pour cacher son immense anxiété quand elle « tremble intérieurement » parce qu’un événement ne commence pas à l’heure prévue, Swearman s’est préparée à dire : « Je suis perturbée, là. Je ne peux pas me concentrer. Je ne peux pas te parler maintenant ».
Certaines femmes expliquent en particulier qu’elles doivent faire beaucoup d’efforts pour déguiser leurs autostimulations. « Pour beaucoup de gens, l’autostimulation peut être un moyen de s’auto-apaiser, de s’autoréguler et de soulager l’anxiété, parmi d’autres choses », dit Lai. Et pourtant ces mouvements – qui peuvent inclure le faire de battre ou taper des mains, tourner sur soi-même, se gratter – peuvent aussi permettre de repérer aisément ces individus comme ayant de l’autisme.
Igelström et ses collègues ont interviewé 342 personnes, particulièrement des femmes et quelques transgenres, sur le fait de camoufler leurs autostimulations. La plupart des participants étaient en auto-diagnostic, mais 155 femmes avaient un diagnostic officiel d’autisme. Environ 80 % des participants avaient essayé de mettre en place des stratégies pour rendre moins repérables leurs autostimulations, explique Igelström. La méthode la plus commune est de rediriger leur énergie dans des mouvements musculaires moins visibles, comme serrer les dents, ou encore tendre et relâcher les muscles de la cuisse. La majorité a aussi essayé de canaliser le besoin d’autostimulation dans des comportements plus acceptables socialement, comme tapoter un stylo, gribouiller ou jouer avec des objets sous la table. Beaucoup tentent de restreindre l’autostimulation à des moments où ils sont seuls ou dans un endroit sûr, comme en famille. Igelström a remarqué que quelques individus essaient d’éviter l’autostimulation de par leur propre volonté ou en se restreignant, en s’asseyant sur leurs mains par exemple.
Pour Lawrence, son besoin de bouger les mains, taper du pied ou remuer sa jambe, est ressenti comme trop urgent pour être supprimé. « Je le fais parce que si mon cerveau ne reçoit pas de signaux réguliers des différentes parties du corps, il perd la notion de ces parties du corps dans l’espace », dit-elle. « Ça m’aide aussi à me concentrer sur ce que je fais ».
Le prix du camouflage
Toutes ces stratégies réclament un effort considérable. L’épuisement était une réponse quasiment unanime dans l’étude britannique de 2017 : les adultes questionnés décrivaient la sensation d’être complètement vidés, mentalement, physiquement, et émotionnellement. Une femme, dit Mandy, a expliqué qu’après un épisode de camouflage, elle a besoin de se mettre en position fœtale pour récupérer. D’autres ont dit qu’ils avaient l’impression que leurs amitiés n’étaient pas réelles car basées sur un mensonge, ce qui augmentait leur sentiment de solitude. Et beaucoup ont dit qu’ils ont joué, au cours des années, tellement de rôles pour déguiser ce qu’ils étaient, qu’ils en ont perdu la perception de leur véritable identité.
Igelström mentionne que quelques femmes de l’étude ont expliqué que supprimer les mouvements répétitifs leur semblait mauvais pour la santé, vu que cette autostimulation les aidait à réguler leurs émotions, les signaux sensoriels, ou la capacité à se concentrer. Le camouflage ne semble pas sain à Lawrence non plus. Elle doit faire tellement d’efforts pour s’adapter, dit-elle, qu’il ne lui reste que peu d’énergie physique pour d’autres activités comme les tâches ménagères, peu d’énergie mentale pour le traitement de ses pensées et la gestion des interactions, et peu de capacité de contrôle de ses émotions. Ce cas de figure la fait basculer dans un état instable dans lequel elle a « plus de probabilité d’être en crise ou de s’isoler », explique-t-elle.
Lawrence explique que si elle avait été diagnostiquée étant petite, sa mère l’aurait peut-être mieux comprise. Elle aurait aussi pu éviter une longue histoire de dépressions et d’automutilations. « Une des raisons pour lesquelles j’ai suivi ce chemin était parce que je savais que j’étais différente, mais sans savoir pourquoi ; j’ai été harcelée de manière très marquante à l’école », dit-elle.
La grande majorité des femmes diagnostiquées sur le tard disent que le fait de n’avoir pas su plus tôt qu’elles étaient autistes leur a causé du tort. Dans une petite étude de 2016, Mandy et ses collègues se sont entretenus avec 14 jeunes femmes, qui n’avaient pas eu de diagnostic d’autisme avant un âge tardif de l’adolescence, ou avant l’âge adulte. Beaucoup ont décrit des expériences de violences sexuelles. Elles ont aussi dit que, si leur condition était connue, elles auraient été moins incomprises ou mises à l’écart à l’école. Elles auraient aussi pu recevoir le soutien nécessaire plus tôt.
Plusieurs femmes pensent qu’il leur aurait été bénéfique de se connaître plus tôt. Swearman a suivi un master pour être assistante médicale, mais a finalement stoppé ses études à cause de problématiques en lien avec son autisme. « J’étais en fait très douée dans ce que je faisais », dit-elle, mais « il y avait trop de pression sociale, trop de stimulations sensorielles, beaucoup de soucis de communication et de malentendus entre les superviseurs et moi, à cause de nos différences dans notre façon de penser ». Ce fut seulement après qu’elle eut cessé son travail que son conseiller lui a suggéré qu’elle était peut-être autiste. Elle s’est renseignée sur le sujet et ce fut une découverte : « Oh, mon Dieu, c’est moi ! » se rappelle-t-elle. Ce fut un tournant majeur : tout commençait à faire sens.
C’est seulement après un diagnostic qu’une femme peut se demander : « quelle part de moi fait semblant, et quelle part de moi est cachée ? Qu’est-ce que j’ai de précieux, d’important en moi qui ne peut être exprimé parce que je suis constamment et automatiquement en train de camoufler mes traits autistiques ? » explique Igelström. « Aucune de ces questions ne peut être traitée sans l’obtention préalable d’un diagnostic, ou au moins d’un auto-diagnostic, ce qui permet ensuite de se repasser le film du passé avec ce nouvel éclairage. Et pour de nombreuses femmes, cela se produit tard dans la vie, après des années durant lesquelles le camouflage a été incontrôlé, destructeur et inconscient, et avec pour conséquences de nombreux problèmes au niveau de la santé mentale ».
Un diagnostic mène certaines femmes à abandonner le camouflage :
« Réaliser qu’il n’y a pas de faille dans mon fonctionnement, que j’ai juste des différences neurologiques par rapport à la majorité de la population et qu’il n’y a rien de mal à ce que je sois telle que je suis, signifie que je ne cacherai pas qui je suis juste pour m’adapter ou permettre aux personnes neurotypiques de se sentir plus à l’aise », dit Lawrence.
D’autres apprennent à faire en sorte que le camouflage fonctionne bien pour elles, en modérant ses effets négatifs. Elles peuvent utiliser des techniques de camouflage au début d’une rencontre, mais deviennent ensuite, avec le temps, plus authentiques. D’autres qui considèrent que le camouflage est sous leur contrôle peuvent prévoir de se laisser des moments de break, comme aller aux toilettes quelques minutes, quitter une fête prématurément ou renoncer complètement à y participer. « J’ai appris à mieux prendre soin de moi-même », explique Swearman. « La stratégie, c’est la prise de conscience ».
Jennifer conçoit que comprendre plus tôt qu’elle était autiste l’aurait aidée, mais cependant, elle n’est pas si sûre des avantages que cela aurait apporté. Parce qu’elle n’avait pas de diagnostic, dit-elle, elle n’avait pas d’excuses. « J’ai dû me démerder pour m’en sortir. Ce fut une lutte vraiment difficile, et j’ai fait beaucoup d’erreurs – ce qui continue toujours – mais il n’y avait simplement pas le choix », dit-elle. « Si on m’avait étiquetée comme étant autiste, peut-être n’aurais-je pas travaillé si dur, ni réalisé tout ce que j’ai réalisé ».
Elle a réalisé quelque chose d’énorme. Pendant notre vidéo chat de cet après-midi enneigé de janvier, il est devenu clair que l’une de ses réussites les plus significatives était d’avoir trouvé un équilibre dans la vie, qui fonctionne pour elle. Ses compétences en camouflage lui permettent de se présenter comme une personne chaleureuse, ce qui l’a aidée à se construire une brillante carrière. Mais grâce à quelques amis, un mari et un fils qui l’aiment telle qu’elle est, elle peut laisser tomber ce masque quand il devient trop lourd à porter.
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Tant d’années gâchées…Je viens de faire un auto-diagnostic à 51 ans, validé à 100 % par mes proches…J’ai dû me battre très dur pour travailler, ce que je fais depuis deux ou trois ans seulement, mais avec un arrêt brutal dû au COVID (j’intervenais en EHPADS): une épreuve supplémentaire dont évidemment je ne peux parler à mes employeurs. le confinement a enfin fait sortir ce que je cherchais depuis tant d’années. Ce témoignage me bouleverse car là encore il fait écho à mon parcours…Merci pour ce partage!
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