Amanda, autiste, violentée depuis l’enfance par sa famille et son entourage


Le Comité ONU Femmes France décline la campagne « Orange Day » , qui consiste en 16 jours d’action contre les violences faites aux femmes (du 25 novembre au 10 décembre 2017). Dans le cadre de cette campagne nous diffusons des témoignages de violences faites aux femmes autistes.

« J’ai 27 ans. Je suis assistante sociale de formation, j’ai un master en sciences de la famille et de la sexualité. Je suis spécialisée en Victimologie et en Sexologie. Je suis diagnostiquée autiste Asperger depuis deux ans et haut potentiel depuis six ans.

À quatre ans, j’ai été victime de violences* sexuelles de la part de mon demi-frère (attouchements et fellation) ; durant un mois (maximum). Les dates sont précises car nous étions en vacances chez eux, la famille de mon demi-frère, au Québec. La mémoire traumatique et l’âge font que je ne peux pas détailler ces moments-là en lien avec l’autisme.

J’avais un père violent physiquement. J’ai compris très tôt qu’il ne fallait pas mettre papa en colère. Pour ne pas avoir de coups, c’était « très simple » il suffisait d’être le plus transparente possible, de faire comme si je n’existais pas ; même en surcharge sensorielle et/ou émotionnelle je ne pouvais m’exprimer. Je partais m’isoler, je m’arrêtais de respirer jusqu’à tant d’avoir le visage rouge. Il y avait une telle en colère en moi que personne ne pouvait entendre, écouter, accueillir. J’avais moins de huit ans et je pensais que si je disparaissais (comprenais si je ne vivais plus), ça ne changerait rien, ma famille vivrait comme avant.

À côté de cela, ma mère a fait onze fausses couches et a été très mal toute sa vie. Incapable certains jours de s’occuper de mes sœurs et moi. A six ans, je faisais les tartines pour midi pour nous trois pour l’école parce que maman n’était pas en forme psychiquement. Elle nous a toujours fait du chantage au suicide. Je suis une éponge émotionnelle. De plus, c’est ma maman avec qui j’ai toujours une relation fusionnelle, comment voulez-vous que je prenne suffisamment distance.

À huit ans, mes parents ont voulu partir au Québec pour rejoindre le fils de ma mère. Je peux dire aujourd’hui que j’ai vu l’horreur, vraiment. Bien que mon père était violent physiquement sur mes sœurs, le père de mon demi-frère est un « monstre ». La scène la plus traumatisante de toute mon existence que j’ai pu assister a été de voir cet homme frapper sur la tête de sa fille de seize ans au marteau à plusieurs reprises. Sa fille se protégeait avec ses bras, il lui a arraché les bras pour continuer à frapper sur sa tête. J’avais huit ans. J’étais IMPUISSANTE. Je ne pouvais rien faire pour cette fille. Une scène parmi d’autres.

Nous avons vécu un an dans la maison quatre chambres de la famille de mon demi-frère. Dix personnes dans une maison quatre chambres… Durant ces deux années au Québec, j’ai été à nouveau agressée* sexuellement par mon demi-frère. Je dormais dans la chambre de mon demi-frère durant la première année et ensuite, il a été notre baby-sitter. Cela a été bien plus loin.

J’ai eu une carence affective de la part de mes parents lorsque j’étais enfant, ma mère tentant de se rattraper aujourd’hui. Je n’ai jamais eu de câlin de leur part quand j’étais enfant. Le premier soir que nous sommes arrivés au Québec, j’étais très angoissée. Il s’agissait d’un nouveau pays, d’une nouvelle culture, d’une nouvelle maison, d’une nouvelle famille, d’une nouvelle langue (nous venions de Flandre). Et personne n’était là pour m’entendre. Je devais dormir sur un matelas sur le sol de la chambre de mon demi-frère. J’étais tellement angoissé que je tremblais de partout. Il m’a invité à le rejoindre dans son lit, pour me faire un câlin. Je ne savais pas ce que c’était. Il m’a apaisé, contenu dans ses bras, j’étais bien. Il m’a écouté, j’existais pour quelqu’un. Dès le premier soir, ça a dérapé. Ses mains ont tripoté mon corps et ses doigts sont venus dans mon sexe, il m’a murmuré « comme avant ». Cette phrase a résonné longtemps dans ma tête avant de prendre sens (je n’avais pas souvenir de ce qui s’était passé quand j’avais quatre ans à l’époque). Il a profité de mes fragilités, de ma confiance naturelle en l’humain, de ma personnalité introvertie, réservée. Il me répétait sans cesse que c’était normal entre frère et sœur mais en même temps que notre relation était particulière et que personne ne pouvait comprendre, que je devais pas en parler. Ne sachant pas que c’était anormal, étant de nature loyale (faisant partie de la nature autistique), manquant d’affection, existant pour quelqu’un, étant écoutée à côté de cela, étant insécurisée par le contexte de violence et ayant peur des conséquences (avalanches de violence ?), c’est resté secret. Les violences* sexuelles sont devenues de plus en plus importantes. Ce n’est pas ce que je voulais, avoir de la sexualité à cet âge-là.

J’ai été maltraité physiquement par ma sœur, de mes 12 à 21 ans. Des graves coups (jusqu’à des os cassés). Je ne pouvais pas me plaindre : « Tu n’as pas eu de coups de papa toi ». Ma mère et mon beau-père minimisaient, disaient qu’ on devait arrêter nos gamineries sauf que c’était inégalitaire comme rapport de violence, de domination. Elle est psychologue maintenant, elle a trois ans de moins que moi. Elle s’est excusée il y a peu de m’avoir « battu tout ce temps » (je reprends ses mots à elle tel quel). 

Ma mère a quitté mon père lorsque j’avais seize ans après un énième coup extrêmement violent sur une de mes sœurs. Même si ça n’a jamais atteint le niveau de son premier ex-mari, mon père a déjà occasionné à une de mes sœurs quatre commotions cérébrales et un tympan percé, ce dernier suite à une gifle, imaginez la puissance de celle-ci.

Pour mes dix-huit ans, une fête s’est réalisée chez la sœur (« tante ») et le beau-frère (« oncle ») de mon beau-père. Je n’avais jamais réellement bu beaucoup d’alcool auparavant ; quelques fois mais en petites quantités. Ils sont de bons buveurs d’alcool. Il m’aurait servie au moins une dizaine de verre de vin rouge. Elle a été saoule et ne tenait plus debout. On m’a amené au salon dans le canapé pour que je puisse me reposer couchée. Mon « oncle » est venu me rejoindre. Il est connu dans la famille pour avoir les « mains baladeuses ».  « Pourquoi le laisse-t-on venir seul près de moi dans mon état alors que son comportement est connu de tous ? ». Sa main est alors passée sous ma jupe, dans ma culote jusqu’à rentrer dans mon sexe. Il m’a également embrassé ; je sentais alors toute sa moustache dans ma bouche.

À dix-neuf ans, je rencontre un jeune homme de cinq ans mon aîné. Notre relation dure presque quatre années. Durant toute cette relation, il me dénigre verbalement, m’insulte, menace de me quitter régulièrement et est violent sexuellement avec moi. Il finira par me quitter par sms après une journée où il a fait part d’une extrême violence envers moi.

À cause de l’autisme, j’ai un manque de connaissance des règles sociales et je comprends mal les implicites.

À vingt-trois ans, je sors en ville en soirée avec une amie ; j’ai fait mes études d’assistante sociale avec elle. Elle souhaite rejoindre des amies durant cette soirée. Je n’ose pas dire non mais cette situation est source d’angoisse pour moi. J’ai peur de perdre son amitié si je refuse, j’ai déjà très peu d’amis. J’ai bu essentiellement pour faire comme les autres mais aussi parce que cela diminue fortement mon angoisse. Je ne bois que très rarement de l’alcool car je n’aime pas le goût et « on m’a souvent agressée* lorsque j’avais bu ». J’ai vraiment trop bu ce soir-là. Un jeune homme, collègue de mon amie, m’a proposé de dormir chez lui car il habitait plus près. Vu mon état, j’ai accepté sa proposition. Je souhaitais dormir dans le canapé. Il lui a proposé de dormir dans son lit. Il a entrepris d’avoir une relation sexuelle avec moi, ce que je ne souhaitais pas et lui ai dit, j’ai aussi dit «  je suis allergique au latex ». Il a dit « je m’en fous ». Il m’a donc pénétré sans préservatif, sans aucune lubrification. J’ai eu mal et ai attendu que ça se termine au plus vite, « une pensée si familière » que je pensais tout le temps enfant. Lorsque j’en ai parlé à mon amie, elle m’a fait comprendre qu’un homme qui invitait une fille à dormir chez lui, surtout après une soirée alcoolisé, est souvent en attente de « coucher » avec elle.

J’ai été l’objet de moqueries et de harcèlement de la part des filles de ma classe en sixième primaire, à douze ans. Je souhaitais tellement devenir leur amie. J’avais même fait un petit dessin à chacune en écrivant « Veux-tu être mon amie ? Oui/Non. ». La plupart me l’avaient rendu en écrivant non dessus.

J’ai été énurétique jusque mes 15 ans. Nous avons été en classe verte. Je ne voulais pas y aller de peur qu’il m’arrive un accident. Le mercredi arriva le pire. Le bâtiment était en U. Le dortoir des filles à gauche et le dortoir des garçons de l’autre côté de la cour à droite. On m’a dit d’amener mes draps sales à la buanderie. J’ai du traverser toute la cours avec mes draps sales. Tous les élèves des deux dortoirs étaient collés aux fenêtres à me regarder traverser cette cour. Cela a duré une éternité et j’avais tellement honte. Le soir, à la douche commune avec les filles, elles m’ont font tomber. J’étais au sol, nue et elles rigolaient de moi. Elles ont été méchantes toute l’année. Les seules fois où elles s’intéressaient à moi, et je ne m’en suis rendue compte que des années plus tard, c’était les jours de contrôle, là elles devenaient gentilles et elles voulaient toutes s’asseoir à côté de moi.
Je voulais juste des amies.

Ma mère nous a toujours dit que le monde extérieur était dangereux, qu’il fallait être prudente parce qu’on pourrait se faire agresser. Elle ne nous laissait pas sortir parce qu’elle craignait pour nous dans le monde extérieur. En voyant ce qui se passait chez moi, je me demandais comment dehors cela pouvait être pire. J’imaginais un monde en guerre avec des bombardements. J’étais terrifiée par l’extérieur alors que le pire se passait à l’intérieur, Dans ma maison et dans ma famille.

Actuellement, on profite tous (mère, beau-père, sœurs, père, une amie) du fait que je ne sache pas dire non et je sois incapable de laisser les personnes dans le besoin. En 2017, toutes ces personnes me doivent plus de 5000 euros. Je ne peux plus mettre de l’argent de côté et j’ai même du commencer à toucher à mon compte épargne… On sait que je ne peux pas dire non, que je ne les laisserai pas dans le besoin et je me mets moi-même en difficultés.

En conclusion, je pense qu’en tant que personne autiste, nous sommes des personnes plus facilement sujettes à tous types de violence de par notre fonctionnement particulier (personnalité réservée, confiance naturelle, naïveté, méconnaissance des règles et codes sociales, incompréhension des implicites). Personnellement, j’ai intériorisé beaucoup de colère par rapport à mon vécu et m’exprimer est très compliqué en lien avec mon passé et mon trouble autistique. Du coup, pour exprimer un minimum, je m’automutile et j’ai également d’importants troubles alimentaires (qui ont amené par exemple une hypokaliémie à traiter en urgence).

Amanda »

 

NDLR : les mots accompagnés d’une * ont été modifiés en date du 13 juin 2020. Initialement décrits comme des “abus”, les actes commis sur Amanda sont des violences, des agressions, non pas des abus. Un abus implique un minimum de tolérance et un dépassement (comme avec l’alcool), or il n’y a aucune tolérance quant aux violences physiques, émotionnelles, économiques, sexuelles. Juridiquement, on parle de violences, agressions, harcèlement et ces faits sont punissables par la loi. Le mot “abus” est aussi souvent un faux-ami traduit de l’anglais “abuse” mais il signifie bel et bien “violence”.

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One thought on “Amanda, autiste, violentée depuis l’enfance par sa famille et son entourage

  • Copper Lebrun

    Voir ceci, témoigne d’un courage et d’une volonté de vivre extraordinaires. Si ces enfants ne sont pas diagnostiqués et reconnus, ils se retrouveront certainement dans le système psychiatrique. Parlez de l’autisme autour de vous, si vous y avez été confronté ou si vous connaissez des personnes concernées. Les auto-mutilants, ceux qui ont un retard développemental, se retrouvent encore aujourd’hui, enfermés et torturés dans le système de coercition psychiatrique, sous des diagnostics fantaisistes, abandonnés de tous, ou encore, menacés d’internement par des psychiatres ignorants (voire carrément véreux) dès lors qu’ils manifestent une expression partcuilièrement idiosyncratique de troubles physiques, perceptifs ou émotionnels.