Violence institutionnelle ordinaire ?


La violence est un mot que l’on n’aime pas prononcer dans nos pratiques. On préférera utiliser le mot « maltraitance », comme pour diminuer notre responsabilité face à une situation dont nous avons été acteur à nos dépens. Combien de fois avons-nous entendu de la bouche d’un collègue se justifier d’une pratique : « Je ne sais pas », ou encore « Je fais de mon mieux avec les moyens que l’on me donne. »

POUR REMÉDIER À LA VIOLENCE, dans un premier temps, il est important de faire la différence entre violences institutionnelles structurelles et violences institutionnelles conjoncturelles. Ces dernières, indépendantes de l’établissement, peuvent néanmoins se limiter grâce à l’anticipation, afin de faire face à un possible imprévu sans trop de conséquences négatives pour la personne accueillie (par exemple, embauche de professionnel compétent, activité de remplacement en cas d’absence de l’animateur, etc.). L’anticipation doit faire partie intégrante de la culture fonctionnelle institutionnelle. La violence institutionnelle structurelle, quant à elle, dépendra du projet et du fonctionnement de l’établissement (un travail à flux tendu, un manque de personnel, de formation, un manque de supervision, etc.). Chez l’enfant, peut s’ajouter une éducation adaptée au confort du professionnel ou encore l’amendement Creton permettant à des adultes en situation de handicap d’être usagers d’un établissement accueillant des enfants. Ces dérives ordinaires créent des conditions de violences sans intentionnalité consciente. Les solutions préventives doivent être la priorité d’un projet d’établissement pour limiter toutes ces violences. La création et la diffusion d’un guide de violences institutionnelles ordinaires aux directeurs d’établissement et membres du personnel serait un bon début de prise de conscience des conséquences de leur pratique dans l’accompagnement quotidien de l’usager.

L’HYPOTHÈSE D’UNE VIOLENCE. Prenons l’exemple d’un enfant ou d’un résident subissant des violences sexuelles au sein de l’institution. Il manifestera des comportements inhabituels, aura une difficulté d’endormissement ou une nuit agitée, exprimera de l’agressivité ou de la passivité, manifestera une hypervigilance ou au contraire se mettra en danger. La violence institutionnelle ordinaire sera dans un premier temps de ne pas permettre à l’usager d’avoir accès à une liberté de parole (verbale ou non) par manque d’outils de communication ou de compréhension ; ou encore de ne pas entendre ce qu’il cherche à nous dire par manque de temps ou une interprétation hâtive, reflet du fonctionnellement institutionnel ; mais également de ne pas savoir repérer les conséquences psychotraumatiques en mettant systématiquement les comportements « problèmes » sur le dos du handicap.

Il est primordial que l’hypothèse d’une violence subie reste présente dans la tête du professionnel afin de favoriser la libération de la parole et accompagnement adapté. Le manque de formation aura de multiples conséquences sur l’enfant ou l’usager mais aussi développera un terrain d’impunité ; celle qui favorise les agressions sexuelles.

UN MODULE AUTO-FORMATIF. Interactif et gratuit, ce module agréé par le Gouvernement (créé par l’AFFA, Skillbar et l’association Mémoire Traumatique et Victimologie), nous est proposé pour nous aider à prévenir, repérer et accompagner une victime. Mais il peut aussi exister un professionnel dans notre équipe qui est un agresseur, ne l’ignorons pas. Il est urgent qu’il y ait une prise de conscience des rouages du système de violences institutionnelles ordinaires. Ce n’est pas à l’usager ou sa famille de s’adapter aux dérives institutionnelles. En tant que professionnel, et ce quel que soit notre champ d’intervention, nous devons rester vigilants à ne pas perdre la bienveillance qui est en nous. Et comme le rappelle le penseur Mencius : « La bienveillance est sur le chemin du devoir ». Alors n’ayons pas peur de nommer la violence institutionnelle ordinaire et de la prévenir, pour garantir le respect des droits de l’usager mais aussi l’épanouissement du professionnel dans sa pratique.

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UNE PRATIQUE INSIDIEUSE

La violence institutionnelle est insidieuse puisqu’elle nous amène à accepter une action sans grande conséquence mais peu adaptée au projet personnalisé de l’usager, jusqu’à ce qu’elle devienne quotidienne et banale, s’éloignant ainsi considérablement du projet initial avec des conséquences néfastes pour l’usager. Le professionnel n’est pas toujours conscient que son action peut être ressentie comme violente par la personne accueillie. Les conséquences en font des objets institutionnels ou de soins (et non des sujet de droit) se sentant non respectés, soumis, contraints, dominées, voire détruits, cultivant ainsi une dépendance, un mal-être, au lieu de voir développée ou maintenue leur autonomie.

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« Stopper la toute-puissance et le sentiment d’impunité »

Nous ne pouvons pas faire abstraction de la violence institutionnelle ordinaire avec intentionnalité consciente car elle existe. Des affaires nous ont montré que l’intérêt gestionnaire au détriment de l’enfant ou de l’usager est systématique dans ce cas ; elle peut comprendre la désinformation sur les droits, la pression sur les usagers et leur famille, sur les professionnels ou lanceurs d’alerte, les fiches d’événements indésirables ne sortant pas des murs de l’établissement, ou encore une organisation de la mainmise des CVS (conseils de vie sociale). Dans ce cas, le pénal, même si celui-ci est une solution curative, aura un effet préventif : il permet de stopper la toute-puissance et le sentiment d’impunité. Le viol est un crime défini par l’article 222-23 du Code Pénal. La non dénonciation de crime aux autorités judiciaires ou administratives est punie de 3 ans d’emprisonnement et de 45 000€ d’amende (art. 434-1 du Code Pénal).

Autrice : Marie Rabatel, contributrice aux politiques publiques, experte HAS, Miprof, CIH, CPSP, présidente de l’Association Francophone de Femmes Autistes (AFFA)

Ce texte est initialement paru dans le magazine Actualités Sociales Hebdomadaires (ASH) en janvier 2021 dans le cadre du numéro spécial « Violences sexuelles : savoir les détecter, écouter et accompagner la parole des victimes » (Hors-série n°1)

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