Les stéréotypes de genre nous ont rendus inaptes à reconnaître l’autisme chez les femmes


Les stéréotypes de genre nous ont rendus inaptes à reconnaître l’autisme chez les femmes

Traduction libre par N. Dupont de l’article “Gender stereotype have made us horrible at recognizing autism in women and girls“, ROZSA M., pour Quartz – Octobre 2016

 

J’en ai moi-même fait l’expérience. Alors que j’ai été diagnostiqué enfant comme porteur de TSA et que j’ai beaucoup écrit sur la question, la majorité des personnes que j’ai rencontrées et qui disposaient d’un diagnostic officiel étaient, comme moi, de sexe masculin.

“Je suis convaincue que mon genre et ma race ont très certainement affecté mes expériences en tant que personne autiste”, affirme Morenike Giwa Onaiwu, de l’Autism Women’s Network. “Nombre de caractéristiques qui sont miennes et qui sont à l’évidence autistiques ont été attribuées à ma race ou à mon genre. Il en résulte que, non seulement j’ai été privée d’aides qui m’auraient été utiles, mais que j’ai été incomprise et, parfois, maltraitée.”

Il est difficile de dire avec certitude si la prévalence du TSA a augmenté ces dernières années ou si, tout simplement, les diagnostics sont devenus plus répandus, mais une chose est certaine : le nombre de cas officiellement identifiés a crû très nettement. Selon les US Centers for Disease Control, aux USA, environ 1 enfant sur 68 a été diagnostiqué comme porteur de TSA ; avec 4,5 fois plus de diagnostics de garçons que de filles. Au total, on estime à 3,5 millions le nombre d’Américains diagnostiqués pour une forme ou l’autre de TSA.

Plusieurs femmes avec lesquelles je me suis entretenu ont fait état d’expériences similaires à celle d’Onaiwu. Alors que les hommes autistes comme moi sont souvent identifiés comme tels assez tôt, les femmes notent que leurs symptômes ne sont pas pris en compte, parfois pendant de nombreuses années, à cause de stéréotypes liés à leur genre et à leur race.

“Manque de compétences sociales ? Bien sûr que non ; apparemment je suis seulement grossière – à l’image de tous les stéréotypes de femmes noires ‘insolentes’ qui montent sur leurs ergots en balançant quelque répartie”, note Onaiwu. “Absence de contact visuel ? Je suis semble-t-il une fille ‘timide’ ou ‘qui joue à la prude’ ou ‘sournoise’. Ou peut-être suis-je seulement respectueuse et docile parce que je suis africaine et que le contact visuel direct risquerait d’être un faux pas (NDLR : en français dans le texte). Suis-je en proie à une surcharge sensorielle ou peut-être à une crise ? Mais non, il s’agit plutôt d’agressivité ou bien j’ai l’habitude de faire des drames. Tout sauf la réalité – une personne qui est autiste et qui se trouve être noire et se trouve être une femme”.

Selon Sharon daVanport, qui se définit comme autiste et assure la présidence de l’Autism Women’s Network, ces types d’attentes liées au genre sont très difficiles a éviter. Par exemple, un garçon de huit ans qui a pour passion la collection de cartes routières amènera ses parents à se demander si ce désir de rester constamment à l’intérieur n’est pas le signe que quelque chose ne tourne pas rond. “Par contre, une fillette qui passe des heures et des heures plongée dans son centre d’intérêt sera jugée calme, polie, bien élevée, et toutes les autres caractéristiques basées sur le genre que la société attribue aux filles avant même leur naissance”, dit-elle.

Ce type d’ignorance ne porte pas préjudice qu’aux enfants. Kayla Schierbecker, une femme autiste transgenre, titulaire d’un diplôme universitaire de premier cycle, m’a expliqué que des aspects de sa personnalité faisaient qu’il était plus difficile pour elle d’être acceptée en tant que femme. Elle pense que cela est dû en partie à la manière dont son autisme se présente. “Une partie de mes traits hyper-masculins vont constituer une barrière vers la transition”, estime-t-elle. “J’ai une fixation sur des sujets qui, selon les stéréotypes, sont considérés comme des centres d’intérêt masculins : la technologie, l’armée, les sports.”
Carolyn Mallon est une infirmière qui, avec l’aide de son thérapeute et neuropsychologue, a été récemment diagnostiquée porteuse de TSA. “Les symptômes, les critères de diagnostic, sont tout simplement basés sur des études qui n’ont été réalisées que sur des hommes”, explique-t-elle, ce qui rend difficile pour certains médecins de comprendre les différentes formes sous lesquelles le TSA peut se présenter pour des patientes comme elle.

Le problème ne commence pas et ne se termine pas avec le diagnostic. En effet, on pourrait faire valoir que les hommes autistes bénéficient d’un privilège lié au genre dans la mesure ou la société est adaptée à leur condition.

“Certains des comportements que présentent les personnes qui sont sur le spectre autistique paraissent être la manière dont se comportent de nombreux hommes dans des sociétés patriarcales (comme les nôtres),” explique Esther Nelson, professeure adjointe au Virginia Commonwealth College. Nelson, qui pense que les symptômes de son mari sont compatibles avec un diagnostic de TSA, a écrit sur l’autisme et le féminisme, en particulier en ce qui concerne les relations sociales. Par exemple, Nelson note que des hommes paraissant “rigides”, agressifs ou manquant d’empathie peuvent ne pas détonner autant que pourraient le faire des femmes se comportant de la même façon.

A l’évidence, les défenseurs de la communauté autistique (moi compris) doivent être beaucoup plus conscients de la manière dont le genre influe sur les expériences de notre communauté. Pour des raisons cliniques, des femmes et des jeunes filles peuvent être privées pendant des années de traitement et de soutien. En même temps, des scientifiques réalisent aussi que le TSA affecte différemment filles et garçons, ce qui fait apparaître des lacunes dans notre compréhension du TSA sur un plan plus général.

Et à un niveau plus personnel, mon militantisme pour et en tant que membre de la communauté autistique ne sera jamais complet si je n’intègre pas cette dualité. En fait, je dirais qu’il est impossible de défendre efficacement des personnes autistes sans inclure une perspective féministe. Si vous ne prenez pas en compte la manière dont les rôles attribués aux genres façonnent chaque aspect de notre vie sociale, comment pourriez-vous appréhender efficacement les expériences de femmes dont la typologie neurologique altère le fonctionnement social ?

Je me souviens des paroles d’une femme auteur d’une web bande dessinée sur son expérience de vie avec le TSA. En décrivant la manière dont d’autres personnes parlent sur internet de personnes autistes, elle notait que “les textes que je lis décrivent souvent des personnes qui ne peuvent parler pour elles-mêmes. Ces humains sans voix sont traités comme des objets d’inspiration et des fardeaux – des objets, pas des personnes.” Le processus d’humanisation de la communauté autistique est difficile et il est en cours, mais il doit partir d’une base éloignée de la discussion axée sur le masculin.

Vous pouvez suivre Matt sur Twitter @matthwrozsa. Vos commentaires sont les bienvenus sur ideas@qz.com . Actualisé (10/12/16) : cet article a été mis à jour afin de refléter les modifications de diagnostic de certaines des personnes mentionnées ou interviewées.

 

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