S.E. Smith pour Rooted in Rights, 20 février 2018 – Traduction : Alex Maclachlan & Nicole Dupont pour l’AFFA
Article original : We Cannot Ignore the Connection Between Disability and Intimate Partner Abuse
Cet article fait partie d’une série d’articles en partenariat avec le Disability Visibility Project® (Projet de visibilité du handicap) afin d’attirer l’attention sur l’omission du handicap dans les débats qui ont lieu concernant le mouvement #MeToo.
Avertissement : cet article aborde des sujets autour l’abus, la violence et la maladie mentale.
Les personnes handicapées ont un risque plus élevé d’être victimes de violence par rapport à des personnes sans handicap, et malgré ce fait, ils sont souvent mis à l’écart des débats concernant la violence conjugale aux Etats Unis. L’échec collectif de la société, des associations de défense de droits, des lois pour reconnaître ce problème – et les seuls facteurs impliqués dans les relations abusives chez les personnes handicapées – rendent ce problème encore plus difficile à résoudre.
Les personnes handicapées sont, en règle générale, oubliées par l’activisme et les campagnes de sensibilisation, ce qui montre que le handicap est considéré comme quelque chose de séparé et isolé de la société. Par ailleurs, lorsque le handicap est inclus dans les débats, il est souvent expliqué par des personnes non handicapées qui prennent la parole pour les personnes concernées.
L’hypothèse que les personnes handicapées n’ont pas de vie amoureuse, ou ne se marient pas, peut jouer un rôle minimisant, car on pense généralement que la violence conjugale n’affecte pas la communauté des personnes handicapées – ou bien que cette violence affecte uniquement les femmes handicapées, et qu’elle est commise uniquement par des hommes.
Le silence autour de la violence conjugale et le handicap ne dessert pas uniquement les personnes qui vivent une relation abusive ou s’en rétablissent. Cela fait également des personnes handicapées une cible facile, surtout lorsqu’elles se posent des questions sur leur genre. Robin Eames, un activiste australien handicapé et écrivain, est parfaitement conscient de cela. Il a vécu cette expérience avec un ancien partenaire violent : « il a toujours visé des jeunes autistes qui remettaient en question leur genre ou leur sexualité ou qui se trouvaient à leurs premiers stades dans le cadre de leur transition. »
Pour les personnes handicapées, la violence conjugale ne prend pas toujours des formes connues
L’idée qu’ont les gens de la violence conjugale est très stéréotypée : un homme qui crie, qui frappe, qui jette des choses, qui menace les gens. Les hommes, bien évidemment, ne sont pas les seuls à avoir un rôle abusif et la violence peut avoir lieu sans un seul coup de poing, mais les relations en dehors de ces stéréotypes passent souvent inaperçues. Pour les personnes handicapées appartenant à la communauté LGBT par exemple, les préjugés autour de leur genre et de leur sexualité peuvent constituer un obstacle pour obtenir justice. L’abus dans le contexte des relations LGBT constitue souvent un sujet tabou, et les mythes selon lesquels les abus ne se produisent jamais dans le contexte des relations LGBT ont fréquemment lieu.
La violence physique et verbale peut être présente dans une relation où une personne est handicapée, mais elle prend également des formes plus nuancées et complexes qui pourraient ne pas être facilement repérées par les personnes extérieures à la relation. En réalité, parfois l’abus apparaît sous la forme d’un partenaire attentionné ou dévoué et aimant. Et la violence psychologique dans le cadre du handicap peut se présenter d’une manière très différente comparée aux relations entre personnes non handicapées.
Quand l’agresseur est le thérapeute
Robin Eames et Karin Wilison avaient des partenaires qui vivaient chez eux sans payer le loyer et profitaient d’eux, tout en se présentant comme des thérapeutes adorables. Les agresseurs peuvent faire en sorte que leurs cibles se sentent comme des « fardeaux », tout en conservant une apparence extérieure d’attention et d’amour, victimes leurs partenaires « dans le besoin et dominant ».
Il est difficile de se sortir d’une relation dans laquelle l’agresseur est le thérapeute, en particulier lorsqu’il y a des abus financiers comme la liquidation des comptes bancaires et la saisie des chèques.
« Le manque de liberté de mouvement était vraiment quelque chose d’étouffant et il était difficile pour moi d’avoir ma propre vie et mes propres amis. » Robin Eames
Prisonnier de chez soi
Cette expérience a été également vécue par Jack, qui a été pris en otage dans l’appartement de son partenaire agresseur pendant des heures et des heures, ou même parfois des jours car l’immeuble n’était pas adapté aux chaises roulantes. Le fait de se trouver piégé chez soi limite la capacité à socialiser, interagir avec des gens, voir des relations saines, et demander de l’aide.
Abuser de l’incapacité de travailler
Concernant les personnes handicapées ne pouvant pas travailler, cette incapacité peut conduire à des abus au sein d’une relation : les partenaires agresseurs traitent leurs conjoints de « fainéants » ou sous entendent qu’ils sont en train de tout prendre en charge, exprimant du ressentiment par rapport aux rendez-vous médicaux ainsi que d’autres formalités/tâches à accomplir. Par exemple, le conjoint de Cassandra J. Perry l’a une fois accusée de « jouer la carte de l’invalidité », exprimant de la colère par rapport aux limites liées à son handicap.
Faire passer les coups pour des blessures
Il existe d’autres situations qui peuvent masquer les abus : certaines personnes peuvent, par exemple, être facilement sujettes aux coupures, ecchymoses, luxations articulaires. Leurs partenaires, qui en sont conscients, peuvent exploiter cela, comme les conjoints de Robin Eames et de Marks l’ont fait. En effet, les professionnels du milieu médical, n’envisageant pas la possibilité d’une relation abusive, accepteront aisément une phrase comme « ils sont tombés » comme explication de leurs blessures.
Abuser via les médicaments
Cassandra J. Perry note aussi que son abuseur a profité de ce que certains de ses médicaments altéraient son niveau de conscience. Plus d’une fois, elle s’est réveillée alors que son partenaire lui « montait dessus » en dépit de ses cris pour qu’il arrête. D’où l’inquiétante question de savoir combien de fois elle a ainsi pu être violée dans son sommeil.
Entre autres tactiques, les abuseurs peuvent aussi déplacer, cacher ou jeter des médicaments, des aides à la mobilité ou d’autres fournitures nécessaires à la personne handicapée. Le partenaire de Ivy Marks est lui aussi intervenu dans ses médications et il a en outre placé des objets au travers de son chemin, la coinçant avec des boîtes, de sorte qu’elle ne puisse pas quitter la pièce.
Se servir de la maladie mentale
Une maladie mentale et/ou chronique peut devenir une arme pour l’abuseur.« Il s’est aussi servi de ma dépression et d’autres problèmes de santé mentale pour me convaincre que je ne valais rien et que tout le monde me haïssait, de sorte que je ne pouvais dépendre que de lui », a raconté Rachel Tanner à Rooted in Rights. « L’un des points communs de nombreuses maladies chroniques invisibles est que les professionnels de la santé (et le public en général) nous renvoient l’impression que nous ne sommes pas vraiment malades et que nous simulons tout. Mon ex jouait sur cela et il m’a souvent dit que je n’étais pas vraiment malade. »
Le partenaire de Agnieszka K. souffrait lui aussi de troubles mentaux et il l’a utilisé contre elle, tentant d’imputer leurs problèmes relationnels à leurs maladies mentales respectives. Lorsqu’elle a finalement demandé une mesure d’éloignement, il a tenté de suggérer qu’elle « interprétait mal» leur relation. Cette tactique s’appuie sur les stéréotypes concernant les femmes souffrant de maladies mentales, qui sont souvent accusées de dramatiser, d’être peu fiables et enclines au mensonge.
La vulnérabilité des personnes autistes
« Il y a beaucoup de choses dans la vie qu’on me présente comme ‘normales’ et que je suis censée faire, même si c’est inconfortable ou parfois carrément pénible : du coup, cela ne m’a pas alertée que dans une relation intime certaines choses me rendent anxieuse, mal à l’aise et malheureuse » confie Lisa, personne autiste.
Son expérience fait écho à celle de nombreuses autres personnes autistes. Lorsque toute votre vie on vous a dit que vous étiez socialement inapte et que vous n’avez qu’à faire davantage d’efforts, comment pourriez-vous faire la différence entre ce qui est « okay » et ce qui ne l’est pas ?
B. Hypatia, qui est aussi autiste, témoigne : « je suis restée avec lui pendant des années parce que, honnêtement, j’étais socialement maladroite et il était assez facile de le croire quand il disait que personne ne pourrait jamais être véritablement mon ami ».
Son abuseur a par ailleurs profité de son statut de personne handicapée pour l’isoler et la marginaliser. Comme de nombreuses personnes autistes, elle a rencontré son partenaire sur internet, dans un monde où les relations en ligne sont souvent considérées comme de deuxième ordre. Persuadée que les relations sur internet « ne comptent pas », elle a eu du mal à déceler les signes d’abus.
En revanche, Ivy Marks note que ces connections sur internet sont devenues sa bouée de sauvetage : communiquer en ligne, en particulier avec la communauté des personnes handicapées, est devenu essentiel pour qu’elle comprenne qu’elle vivait une relation abusive.
Antécédents de relations abusives
Des antécédents de relations abusives – expérience commune à de nombreuses personnes handicapées – peuvent aussi contribuer à une répétition de ces violences.
A., qui a vécu une relation abusive pendant sept ans, explique qu’ayant subi des violences dans leur passé, il leur a été difficile de comprendre ce qui se passait. Robin Eames note la même chose, tandis que Cassandra J. Perry explique qu’être contrôlée était « une sensation familière » qui a facilité son basculement dans une autre relation abusive. Des personnes de leur entourage s’inquiétaient de leur type de relation, mais elles ne s’en sont ouvertes que longtemps après.
Le parcours du combattant pour l’accès à l’aide
Les personnes handicapées tentant d’échapper à des situations abusives sont confrontées aux mêmes problèmes pour s’en sortir que des personnes non handicapées, notamment des menaces, de la coercition et des ressources financières limitées. Mais les personnes handicapées sont plus souvent susceptibles de ne disposer que de faibles revenus, et elles sont bien plus souvent victimes d’abus financiers, ce qui rend encore plus difficile de s’échapper.
Cependant, pour les personnes handicapées qui réussissent à chercher de l’aide, il existe une autre barrière, et elle est parfois physique. De nombreux centres d’aide sont physiquement inaccessibles, et ils manquent d’interprètes pour les personnes sourdes ou malentendantes. D’autres peuvent répondre aux normes d’accessibilité mais ne fournissent pas un soutien émotionnel et social adapté pour les personnes handicapées. Ceci est aussi valable pour l’application de la loi.
« Je veux que les avocats et la Justice comprennent que souvent, les violences envers les personnes handicapées (ou envers n’importe qui) n’impliquent pas de blessures visibles. » Karin Willison
Elle rajoute : « J’ai récemment découvert le concept de contrôle coercitif et, même maintenant, de nombreuses années plus tard, cela m’a aidée à comprendre comment j’ai pu me retrouver dans une relation abusive et pourquoi j’y suis restée si longtemps ».
Ivy Marks raconte que des policiers qui l’interrogeaient sur son couple n’ont pas reconnu en tant que sévices les faits qu’elle décrivait, comme de se voir interdire l’accès aux toilettes. Les personnes vers lesquelles elle est allée pour demander de l’aide l’ont laissée tomber, comme c’est souvent le cas dans ces situations.
S’attaquer au problème
Tout comme pour tant d’autres questions touchant au handicap, il y a quand même une bonne nouvelle : en le nommant, en le définissant et en en parlant, nous pouvons démontrer qu’il s’agit d’un problème qui peut être réglé. Pour agir dans le domaine du handicap et de la violence conjugale il faut avoir de nombreuses discussions publiques sur la question doublées d’une recherche sérieuse et approfondie ainsi que d’un recueil de données afin de mieux comprendre l’ampleur du problème. Cela doit comporter un examen attentif des types de violences intervenant dans le cadre du handicap.
La nécessité de sensibiliser les organisations de lutte contre les violences, ainsi que la Justice
Pour lutter dès maintenant contre les violences, la recherche ne suffit pas. Agir implique de sensibiliser les organisations qui travaillent sur ces questions, y compris la Justice, à leurs obligations légales touchant aux mesures d’adaptation. Cela implique aussi d’organiser des ateliers et des formations afin de contribuer à la compréhension des besoins non satisfaits des personnes handicapées. Et il faut s’assurer que des personnes handicapées occupent des rôles de premier plan dans ces organisations, en plus de travailler comme assistants sociaux, conseillers ou autres personnels de soutien.
Cassandra J. Perry explique que seule son obstination lui a permis de trouver des programmes qui l’ont aidée à vivre de manière indépendante. Le personnel des organisations de lutte contre les violences conjugales n’a pas joué ce rôle, ce qui témoigne d’une faille évidente de ces services, à laquelle il serait facile de remédier. « C’est l’existence de ces programmes, ma connaissance de leur existence et ma capacité à me battre pour les obtenir qui m’ont permis et me permettent de continuer à vivre seule, en tant que personne auto-suffisante et indépendante. Sans eux, je dépendrais d’une relation pour survivre. »
Pour les personnes qui ne peuvent entreprendre des programmes d’éducation et de formation, il y a d’autres possibilités d’intervention. Notamment en faisant pression sur les autorités locales et en apportant un soutien aux militants, par exemple en étudiant la manière dont l’inclusion des personnes handicapées est pratiquée dans d’autres régions et en la transposant dans notre région.
Il a fallu des décennies aux militants pour faire évoluer la manière dont la violence conjugale est traitée culturellement et sur le plan juridique. Au fil du temps, le milieu des personnes handicapées a souvent été laissé de côté en raison d’obstacles à l’accès aux aides, du silence sur les questions touchant au handicap et d’un manque d’intérêt pour l’action des militants handicapés.
La prochaine génération d’activistes aura l’occasion de combler ces lacunes en coopérant avec les personnes handicapées pour faire en sorte que chacun puisse se sentir en sécurité chez lui, et que pour ceux qui ne sont pas en sécurité, d’autres solutions accessibles.
bon jour ,je suis psychologue de formation et de fonction , fondateur et et président d’une association pour les personnes en situation de handicap de puis 2006 d’abord merci beaucoup pour le sujet c’est vraiment très sensible .je m’intéresse beau coup à la thématique de la violence et le handicap dont je pense lancer une réflexion dans ce sens vu mon expérience de 12 années de travail avec ces personnes et leurs familles .