Mères autistes et signalement : état des lieux ; le point de vue du Dr Sonié


L’association Francophone de Femmes Autistes œuvre contre les différentes formes d’abus que peuvent subir une femme autiste. Le signalement abusif en est un.

En France, lorsque lorsqu’une mère isolée a un enfant autiste, il y a un risque non négligeable que cet enfant lui soit enlevé pour être placé en foyer ou famille d’accueil.

En effet, du fait de la prégnance de la psychanalyse parmi les professionnels du social et médico-social, ceux-ci interprètent les troubles de l’enfant comme la conséquence de mauvais traitements de la part de la mère, qui est souvent perçue comme trop fusionnelle, ou soupçonnée d’avoir le syndrome de Münchhausen par procuration (trouble psychiatrique théorique qui conduirait les parents à maltraiter leur enfant afin de susciter l’attention du corps médical). Ils n’hésitent pas à remettre en question le diagnostic d’autisme si celui-ci est posé, voire à faire pression sur le centre de dépistage pour ne pas diagnostiquer tel ou tel enfant.

Mère autiste : une augmentation du risque de signalement

Ce risque est bien plus accru lorsque la mère est elle-même autiste. En effet, une femme autiste ne comprend pas vraiment les conventions sociales et, par conséquent, a du mal à les suivre ; elle n’a pas conscience que les professionnels entourant l’enfant et/ou censés l’aider la jugent sur son apparence, dont elle se souciera généralement peu. Une femme autiste a souvent un comportement décalé, interprété comme une attitude “bizarre” (par exemple elle pourrait parler d’un ton monocorde, ne pas regarder dans les yeux, avoir un visage inexpressif ou avoir ou des tics nerveux, se tenir trop près ou trop loin de l’interlocuteur, ne paraissant pas l’écouter, paraissant être ailleurs). Ce comportement général sera perçu comme suspect par les professionnels (médecin, assistante sociale, puéricultrice, pédopsychiatre, enseignant.). De plus, la compréhension au sens littéral ne fait qu’accentuer l’incompréhension entre la mère et les professionnels.

En conséquence, parce qu’une mère autiste ne paraîtra pas « normale » à leurs yeux, ils commenceront à suspecter un mauvais traitement sur l’enfant dès lors que celui-ci manifestera le moindre trouble ; ces professionnels seront tentés d’alerter les services de la protection de l’enfance (Aide Sociale à l’Enfance, ASE), qui lanceront une une Information Préoccupante (IP) pour “enfant en danger” : cette IP entraîne généralement une enquête sociale (faite par les travailleurs sociaux) qui a de grandes chances d’aboutir sur le bureau d’un juge des enfants. Celui-ci peut alors, directement ou suite à une enquête judiciaire et/ou d’une expertise psychiatrique d’un ou plusieurs membres de la famille, décider de confier l’enfant à l’Aide Sociale à l’Enfance.

Dans notre association, de nombreuses femmes ont un enfant autiste (l’autisme a souvent une cause génétique, identifiée ou pas) : un certain nombre d’entre elles craignent l’Aide Sociale à l’Enfance, et cachent leur autisme, de peur d’être sous le coup d’une Information Préoccupante, pour “enfant en danger”, sous le motif que la mère est autiste.

Toute personne handicapée a le droit d’avoir une vie de famille, le droit d’avoir des enfants et de les élever, et que ceux-ci grandissent à ses côtés. Il est discriminatoire de lui retirer son/ses enfant(s) au motif du handicap du parent. Malheureusement, les juges des enfants rendent leur décision en se fondant presqu’uniquement sur les rapports de l’ASE et de l’expertise psychiatrique de la mère, rapport qui sera très souvent imprégné de psychanalyse et donc rendant la mère responsable du trouble à l’origine de l’IP.

Cet état de fait doit évoluer

Il est urgent de reconnaître les compétences de ces femmes à être mères et, au lieu de les incriminer, de leur proposer un accompagnement prenant en compte leurs spécificités.

Il est urgent que les théories psychanalytiques (qui n’ont rien de scientifique et qui sont uniquement basées sur des interprétations), rendant la mère responsable de tous les troubles de leur enfant, soient bannies des contenus de formation des travailleurs sociaux : ceci afin que la mission de ces professionnels de l’enfance soit effectivement de les protéger et non pas de les retirer à leur mère. Nous suggérons une sensibilisation des travailleurs sociaux sur l’autisme et la parentalité, qui pourrait être assurée par des personnes directement concernées.

Il est urgent que les experts psychiatres en cour d’appel reçoivent une formation actualisée sur l’autisme, basée sur les dernières avancées scientifiques.

Par ailleurs, l’Information Préoccupante ne doit plus être utilisée par les professionnels de structures publiques comme un outil leur permettant d’asseoir leur toute puissance sur ces mères vulnérables.

Ces erreurs judiciaires créent des traumatismes tant pour l’enfant que pour la mère qui peut perdre toute confiance dans son rôle de maman. L’enfant et la maman sont doublement victimes de leur handicap et ont des conséquences graves sur leur santé psychologique tout au long de leur vie.

Une injustice que de nombreuses mamans et enfants subissent en France.

Article rédigé par l’AFFA

Ci-dessous le point de vue du Dr Sonié, psychiatre au Centre Ressources Autisme Auvergne Rhône-Alpes

« La situation des mères avec une forme de Trouble du Spectre de l’Autisme est particulièrement alarmante du fait facteurs historiques, sociologiques et d’une méconnaissance de leur trouble :

1 / Le premier est le manque de critères diagnostiques bien identifiés pour cette population : adulte, femme et sans déficience intellectuelle. La présence de troubles psychiatriques associés comme les troubles anxieux ou dépressifs vient compliquer la reconnaissance du diagnostic. le diagnostic des femmes Asperger nécessite encore des professionnels particulièrement expérimentés dans l’autisme.

2 / Leur handicap social les rend vulnérable sur le plan social, professionnel et affectif. Elles sont parfois sans revenus et dépendantes de leur entourage ou d’un conjoint abusif.

3 / Le système de l’aide social à l’enfance, confronté quotidiennement à la maltraitance, interprète majoritairement les troubles du comportement des enfants comme une réaction à un environnement délétère. On parle d’un biais d’interprétation.

4 / Le comportement de ces mères est jugé comme inadapté :  les mères avec TSA vont avoir une lecture analytique, précise et documentée des éventuelles difficultés des enfants. Elles peuvent avoir un sourire figé et un visage peu mobile. L’évitement ou la fixité du regard peut gêner leur interlocuteur. Ces signes sont interprétés comme un indice de perversion “ elle ne voit que la maladie chez son enfant, elle semble se réjouir de la situation”.

5 / Leur naïveté sociale ne leur permet de saisir la subtilité des questions des services sociaux ou des juges et donc de se conformer à la réponse attendue : à l’inverse de familles

plus habiles, les mères avec TSA ne vont pas pouvoir échapper à ce système complexe.

6 / Leur rigidité et leur obstination ne leur permet pas d’accéder aux compromis malheureusement nécessaires à faire quand on est soumis aux injonctions d’un service social : par exemple la “recherche d’aveu” sur des situations subjectives plutôt que sur des faits.

7 / Enfin, et cela concerne toutes les mères en général : elles sont plus souvent jugées et plus durement condamnées que les pères. »

Sandrine Sonié, le 25 Septembre 2017 à Lyon

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7 commentaires sur “Mères autistes et signalement : état des lieux ; le point de vue du Dr Sonié

  • laurent

    Deux poids deux mesures

    Les parents qui laissent leur enfant en institution et qui savent que leur enfant est maltraité et abusé sexuellement, ces parents là, eux n’ont pas de souci avec la justice.

    Et le problème est loin d’être marginal, puisque la Direction des affaires internes du Parlement Européen a dénoncé ces problèmes spécifiques à la France en précisant que 70% des abus sur ces enfants sont des abus sexuels.

  • Bresacq Anne

    J’ai pris conscience de mon autisme lorsque ma troisième fille a été diagnostiquée avec un TSA. Mon comportement atypique a amené également un professionnel de la santé à soupçonner pour une autre de mes filles un trouble de Munschausen par procuration et/ou une relation incestueuse.
    Découvrir que je ne suis pas la seule mère autiste a avoir subi ce genre de situation a été un choc pour moi.
    Néanmoins, je dois admettre qu’en tant que Belge je n’ai pas à subir le poids de la psychanalyse dans la prise en charge de ma fille. Je peux vraiment compter sur la bienveillance des professionnels de la santé et des travailleurs sociaux.
    J’espère de tout coeur que le scandale (appelons les choses par leur nom) de l’approche psychanalytique de l’autisme sera enfin traité correctement par le secteur de la santé en France.
    Le bien-être de millier de familles en dépend.

  • Amanda

    Tellement vrai. Pas grand chose à ajouter. Contente d’avoir quitté le système car j’ai été dans ce cas. Le pire c’est quand ce sont les géniteurs qui enfoncent leur enfant…

  • F68.10

    « Trouble psychiatrique theorique »?

    Ce ne serait pas un peu plus complique que cela?

    Remplacez « theorique » par « fondamentalement incompris », et la je suis d’accord.

    Defendre l’existence de ces situations n’est en rien un combat contre les autistes. Et je me tiens pret a argumenter au sujet de la prevalence, qui est un sujet tres tres complique.

    Laisser des lacaniens diagnostiquer un SMpP, c’est lamentable. Idealement ce ne devrait meme pas etre des medecins qui devraient le diagnostiquer: ce serait comme mettre la cosa nostra a la tete du systeme penal.

    Message final: SMpP =/= psychanalyse.

  • Miryam

    Bonjour. J’ai été dans ce cas. Je n’étais pas diagnostiquée autiste à l’époque. J’ai su que j’avais été suspectée d’avoir un comportement brutal avec mon enfant de 4 ans, et donc mon conjoint aussi, naturellement! Il n’était pas diagnostiqué à ce moment mais suivi par un psychiatre et cmp, je refusais qu’il aille en hdj alors qu’il n’avait aucun diagnostic. De plus, on ne m’aurait pas tout dit de crainte pour sa sécurité!

    On suspectait également que j’étais susceptible de fuir avec lui ! Je n’avais pourtant pas voyagé.
    J’ai également eu droit à des remarques concernant une culture décrite comme sauvage, austère, obtuse, des préjugés raciaux..
    Je n’aurais pas pensé que mon comportement puisse être à l’origine de ces doutes ou remarques mais aujourd’hui je l’admets.

    Avec le temps, j’ai même pu deviner que certaines remarques peu après sa naissance dont la visite de puéricultrices à mon domicile avait probablement pour origine mon comportement. Peut-être doublé d’une apparence juvénile! A ce moment, ils tentaient de me convaincre que j’étais en situation de faiblesse!
    Et ma famille, chez-nous à ce moment, considérée comme trop présente!

    Je me demande aujourd’hui si tous ces soucis remontent à ce temps. Je pense aujourd’hui que le comportement est la fenêtre par laquelle l’autre nous perçoit et que face à l’autisme diagnostiqué ou non, c’est comme s’il est face à une fenêtre fermée.
    Des gens que je connais m’avaient fait remarque que mon attitude aurait pu mettre mal à l’aise ou être traduite comme en fuite.
    Mon mari lui-même pensait que le comportement de notre enfant était lié à ma distance aux autres et mon manque d’expressivité et empathie.. Et le pense toujours malgré que sa pensée ait évoluée.
    Il a heureusement grâce à sa nature ouverte et communicative, établi un excellent contact avec ces services et su nous faire comprendre, mais il en a souffert, et cela l’a marqué.

    On se demande si nous aurions vécu ces années indescriptibles si j’avais été diagnostiquée. Aurait ce été pire ? Auraient-ils eu un regard différent ?
    Cela ne fait que depuis le diagnostic de notre enfant que nous vivons tous 3 en tranquillité, relative toutefois, à cause du manque de services à l’autisme..

    Il est urgent que le diagnostic Actualisé de l’autisme se généralise et que l’Ase y soit dûment formée.
    Et savoir que les proches de ces jeunes sont peut-être concernés par l’autisme. Que de l’autre côté d’un comportement déroutant, il y a peut y avoir un parent autiste et peut-être qui l’ignore..
    Je suis aussi tentée de penser que face à un jeune handicapé, l’ase pense préférable d’agir. De peur de passer à côté d’un jeune en détresse. Souvent, les autistes ne parlent pas ou peu, présentent des troubles comportementaux. Dans ces conditions, il peut-être difficile d’établir un diagnostic. Ils sont aussi plus souvent victimes de négligences ou de violences que les enfants « sains » Il y a aussi des familles qui ne savent comment soutenir ces jeunes. Apprendre cela à donc modéré le regard critique que j’avais sur les auteurs des signalement à l’époque.

    Je viens encore de lire un tel témoignage.Un papa témoignait que son fils de 4 ans lui avait été enlevé par l’Ase depuis 2 ans à cause d’un retard de développement, et donc ses deux aînés également, en toute logique sécuritaire.Ce n’est qu’aujourd’hui que l’Ase le suspecte autiste. J’espère qu’ils corrigeront leur jugement.