Traduction libre par E. Fleurot de l’article « Girls with autism may mask condition with social skills« , The Associated Press, 27 octobre 2016, Mashable.com
Pensez « autisme » et c’est généralement l’image d’un garçon difficile à gérer qui vous vient. Ce trouble du développement est au moins quatre fois plus diagnostiqué chez les garçons, mais les scientifiques y regardant de plus près ont eu quelques surprises à propos de cette différence de distribution en fonction du sexe. De nombreuses filles autistes présentent des compétences sociales qui peuvent masquer leur condition. Par ailleurs, certaines sont nées non autistes en dépit de mutations génétiques identiques à celles qu’on observe chez les garçons autistes.
La question du sex ratio est un sujet brûlant pour la recherche dans le domaine de l’autisme et pourrait conduire à adopter de nouvelles façons de diagnostiquer et de prendre en charge cette condition qui concerne au moins 1 enfant américain sur 68.
« Une meilleure compréhension de l’impact du sexe sur l’expression de l’autisme est capital pour pouvoir aider le plus de monde possible », explique Kevin Pelphrey, chercheur dans le domaine de l’autisme à l’Université George Washington. « Il se pourrait que l’autisme ne soit pas la même chose pour les filles et les garçons. »
Sommaire
Ce que révèle la recherche
Les causes de l’autisme demeurent inconnues, mais diverses mutations génétiques sont soupçonnées de jouer un rôle, et des facteurs environnementaux tel que l’âge des parents et la prématurité ont aussi été évoqués.
« L’imagerie cérébrale suggère qu’il pourrait exister une raison supplémentaire expliquant le fait que de nombreuses filles présentent des traits autistiques plus subtils », déclare Kevin Pelphrey.
Des études récentes sur les gènes impliqués dans l’autisme ont mis en évidence une autre différence selon le sexe. Les filles peuvent avoir les mêmes mutations génétiques que les garçons autistes, « et même avoir en moyenne deux fois plus de mutations avant que l’autisme ne se manifeste concrètement », souligne Joseph Buxbaum, directeur d’un centre autisme à la faculté de médecine Mount Sinaï à New York.
Joseph Buxbaum fait partie des chercheurs qui tentent d’identifier un « facteur protecteur » qui pourrait expliquer pourquoi certaines filles présentant un profil génétique à risque ne développent pas d’autisme, par exemple une protéine ou un autre marqueur biologique qui deviendrait la base d’un traitement médicamenteux ou autre permettant de traiter ou même de prévenir l’autisme. Cette possibilité semble bien lointaine, mais Kevin Pelphrey a confirmé que cette orientation de la recherche a provoqué un grand enthousiasme parmi les scientifiques qui travaillent dans le domaine de l’autisme.
Poser un diagnostic
Il n’existe aucun test sanguin pour révéler l’autisme. Le diagnostic est basé sur l’observation du comportement et certains experts déclarent que les variations liées au sexe mettent en lumière le besoin pressant de développer des façons différentes d’évaluer filles et garçons.
Le dépistage de l’autisme est recommandé pour tous les enfants entre 18 mois et 2 ans. Mais les outils de dépistage sont basés sur les recherches effectuées sur des garçons autistes, explique Rachel Loftin, responsable d’un centre autisme au Rush University Medical Center à Chicago.
L’un des questionnaires de dépistage le plus largement utilisé auprès des parents se focalise sur les déficits sociaux plus souvent rencontrés chez les garçons que chez les filles autistes. On y trouve des questions du type : « Votre enfant joue-t-il à des jeux de faire semblant ? », « Regarde-t-il dans les yeux ? », « Recherche-t-il l’approbation ? », « Montre-t-il de l’intérêt pour les autres enfants ? ». Les filles autistes, tout spécialement celles qui en présentent une forme légère, n’ont bien souvent pas de difficultés évidentes dans ces domaines. Elles sont plus susceptibles que les garçons d’utiliser leurs jouets dans des jeux de « faire semblant » plutôt que de les ranger par taille ou par forme. Rachel Loftin déclare qu’elles se montrent aussi plus volontiers préoccupées par les sentiments d’autrui.
Selon les données nationales, toutes les formes d’autisme (qu’il soit léger ou profond) sont plus répandues chez les garçons et que l’âge moyen de diagnostic est de 4 ans chez les filles comme chez les garçons. Mais Rachel Loftin affirme que les données empiriques suggèrent un retard de deux ans dans le diagnostic des filles, tout spécialement lorsqu’elles présentent des formes légères d’autisme. Et elle soupçonne que de nombreux cas de non diagnostic ou de mauvais diagnostic. Cela engendre un retard dans la mise en place précoce d’une thérapie comportementale intensive qui reste la meilleure prise en charge de l’autisme.
Certaines filles parviennent à camoufler leurs symptômes jusqu’à ce que les pressions sociales à l’école deviennent insurmontables, ce qui retarde le diagnostic à l’âge de 8 ou 9 ans, déclare Alycia Halladay, conseillère scientifique en chef à la « Autism Science Foundation », groupe à but non lucratif qui finance la recherche et les programmes éducatifs.
Remarquable porte-parole de l’autisme, Temple Grandin, professeur et auteur, ne rentrait pas dans cette catégorie. Elle n’a pas parlé correctement avant l’âge de 4 ans. « Il était évident que j’avais un gros problème », dit-elle. Avec un mode d’éducation « style années 50 », incluant de vifs encouragements à développer des habiletés sociales et d’autres talents, elle dit avoir appris à s’adapter.
L’inquiétude d’une mère
Allison Klein s’est inquiétée de la possibilité que sa fille Jillian soit autiste pendant trois avant qu’elle soit enfin diagnostiquée. Jillian ne pouvait pas supporter les bruits forts, grandissait à l’écart de ses camarades de classe et était en retard sur les apprentissages académiques. Elle a été jugée anxieuse, mais pas autiste.
« Elle ne présentait pas les comportements typiques d’évitement du regard, de trouble de communication, ou de flapping », raconte Allison. « Les enseignants et les docteurs avaient adopté une approche passive. »
« Ils disaient « Attendons de voir. Laissez-lui du temps, ça lui passera avec l’âge. Elle est juste timide », se souvient-elle. « Tout le monde refusait l’idée qu’une fille puisse être autiste. »
Il y a quelques mois, juste avant les 6 ans de Jillian, le centre dirigé par Rachel Loftin à l’université Rush a confirmé ses craintes. Jillian présentait bien une forme légère d’autisme. Aujourd’hui, la famille essaie de rattraper le temps perdu pour obtenir les prises en charge nécessaires.
L’autisme dans la fratrie
Joseph Buxbaum, chercheur à la faculté du Mont Sinaï, tente de rassembler plusieurs centaines de familles ayant des garçons autistes et des filles non autistes dans une étude sur la piste génétique et les facteurs protecteurs. Financé par la « Autism Science Foundation », le « Autism Sisters Project » a commencé l’an dernier, avec l’objectif de constituer une grande base de données utilisables par d’autres scientifiques. Les filles et leurs familles se rendent au laboratoire new-yorkais où l’on recueille des échantillons de salive pour des analyses ADN, et des efforts sont entrepris pour étendre la collecte à d’autres sites.
Evee Bak, 15 ans, espère que ses échantillons de salive pourront être utiles à son grand frère, Tommy. Les deux jeunes gens, qui vivent à Philadelphie, n’ont qu’un an d’écart. Ils ont monté un groupe de musique dans leur garage : Evee à la batterie, Tommy à la guitare et au chant. C’est un excellent musicien, mais il a du mal à décoder les signaux sociaux, et à faire certaines choses évidentes pour les autres adolescents, comme faire les boutiques seul ou utiliser les transports en commun.
« Ma plus grande priorité est de prendre soin de Tommy et de m’assurer qu’il est heureux et en bonne santé », déclare Evee. Tommy a été diagnostiqué à l’âge de 3 ans, après avoir arrêté d’utiliser des mots appris des mois auparavant et montré des comportements inhabituels, comme aligner répétitivement des jouets au lieu de jouer avec ces derniers.
« C’est une personne formidable et je ne crois pas que nous ayons jamais souhaité le changer », confie sa mère, Erin Lopes. Mais ils accueilleraient volontiers tout ce qui pourrait l’aider à vivre de la façon la plus indépendante possible. « Parce que je crois que ce qu’il souhaite vraiment, c’est d’être indépendant. »
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