Aimer comme une autiste #maternité #témoignage


Merci à Stella, membre de l’AFFA, pour ce texte au sujet de la maternité écrit début 2022.

Rien et tant pis. Mon cerveau était ailleurs qu’à penser aux convenances sociales. J’avais bien le droit d’être moi pour une fois. Pas un sourire donc ni même un minime changement d’expression. Les yeux humides de mon conjoint témoignaient de sa joie et par la même occasion, dénotaient d’autant plus de mon visage de marbre.

La sage-femme déposa ma fille sur ma poitrine. Un mur me mit à distance du réel comme si ce que mon corps venait de vivre, mon esprit ne l’assimilerait que des semaines plus tard. Pourtant les événements s’imposaient et je me devais d’être mère à cette seconde même qui me séparait de ces mois de grossesse. Il n’est peut-être pas convenable de l’avouer mais là où les femmes « normales » sont si pressées de découvrir leur bébé, j’aurais aimé que les heures de travail se rallongent encore et encore. Il m’aurait fallu tant de temps supplémentaire, une transition bien plus progressive pour passer du statut de femme enceinte à celui de mère. Mais s’il y a bien quelque chose que l’on ne peut pas planifier pour mieux s’y préparer, c’est la date de son accouchement ; survenue avec plus d’un mois d’avance pour ma part. Faire face et sourire donc, il n’aurait fallu qu’au premier souffle de ma fille, je sois déjà cataloguée de mauvaise mère à cause de mon autisme. Cette pensée fugace me noua la gorge : est-ce donc cela que ressentent les mères autistes craignant d’être jugées sur leur manière d’investir leur rôle et finalement leur façon d’aimer ?

Josh Bean – Unsplash

Aimer, voilà un concept, qu’autistes, nous n’expérimentons pas comme tout le monde. Pour autant, nous ne sommes pas dépourvus d’amour comme certains ont osé le prétendre. Bien au contraire, l’amour est un « tout trop » si intense qu’il en devient effrayant. Alors, j’ai souvent préféré rejeter son existence. Puisque ce gain fabuleux d’énergie, d’espoir et de bonheur qu’il caractérise se conjugue souvent à des antagonistes tels que le manque, la perte ou la tristesse, je me suis prémunie de l’amour. Il est la meilleure des failles et la pire des forces, m’ayant provoqué de tels troubles intérieurs que jamais je n’ai pleinement assumé de le ressentir. Plus que n’importe qui, autiste, j’intériorise l’amour, le cache et le protège tout au fond de moi. Mais depuis peu, avec ma petite dans les bras, il me déborde quand il ne me foudroie pas d’une manière si permanente que je ne peux plus l’éluder. Tenter de le tenir à l’écart serait vain là où il a gagné tant de terrain qu’il m’envahit dès lors. Complètement perdue, j’ai de fait renoncé à ce combat et regarde spectatrice, l’amour me posséder, réinitialisant tous mes repères et réinventant mon quotidien. Certes je me doute bien que tout parent remette en question ses croyances et redéfinisse son rôle à l’arrivée d’un bébé, mais ce qui nous différencie, autistes, est la proportion que cela peut prendre. Ces réadaptations viennent brusquer une vie bien réglée et surtout revêtent une quête de sens viscérale pour nous, qui va bien au-delà d’accepter de nouvelles responsabilités.

En effet, cet attachement est si violent qu’a basculé tout mon univers. Impossible pour moi de simplement aimer en surface, là où tout prend des dimensions si profondes. L’arrivée de ma fille m’a renversé l’âme, cahotant mon cœur face à la vacuité des choses. Le sens de la vie si éphémère et la manière de l’arpenter ne m’a jamais tant donné le vertige qu’à présent. La conscience de la fragilité de l’instant m’est insupportable. Tout peut se diluer aussitôt, une réalité si amère. Il restera de mes fragments de vie, des souvenirs qui s’effaceront aussi. Je pense par exemple à cette seconde où elle m’a donné son premier sourire, un instant unique qui fend tout mon être ; si pur et véritable que de l’amour, j’oscille vers la terreur. Tout passe et finit par tomber dans l’oubli ; un constat épouvantable, celui d’accepter la mort quand on vient de donner la vie. D’ailleurs existe-je encore maintenant que ma fille est devenue ma seule priorité ?

La terre tremble sous mes pieds lorsque me traversent toutes ces pensées. Le pire pourtant est à venir tant ce bonheur d’être parent, blesse. Puisqu’il n’est de vie sans peine, sans échec ni chagrin, voilà aussi à quoi je destine ma fille en l’ayant désiré. A présent les pires atrocités dont l’Homme est capable, bien que j’avais conscience de celles-ci sans pour autant les considérer auparavant, viennent maintenant lacérer mes nuits. Je pensais connaitre la peur, je ne fais que la découvrir. Parce que ma fille est si innocente, si vulnérable, la violence du monde me parait encore plus insoutenable qu’avant sa naissance. La moindre carence qu’elle pourrait ressentir m’est intolérable rien qu’à l’idée. Penser à ce que la vie pourrait lui réserver de douloureux, m’abat de culpabilité. Quant à la seconde où j’envisage qu’un jour aussi, ma fille mourra, je préfère aussitôt me rendre sotte et nier cette effroyable évidence.

Plus encore que toutes les triturations existentielles susdites, l’amour est devenu une sensation physique terrassante. A chaque fois que je serre ma fille contre moi, le sol se dérobe sous mes pieds, brulant d’un feu qui ne s’arrêtera plus jamais. Ces ressentis sont tellement puissants qu’ils s’incorporent sous ma peau, ne me permettant plus de me détacher des bombardements qu’ils m’infligent. Vacillant sans cesse des joies aux craintes qu’impliquent mes sentiments, je ne reviendrai jamais indemne du trouble semé par la venue au monde de ma fille.

In fine, j’aime avec mes tripes sans que cela ne soit démonstratif. Des preuves, du concret définissent ma manière d’aimer. Apporter à ma fille tout ce dont elle a besoin de présence, de contact, de soin qu’importent mon corps épuisé par les suites de couche, la succession des nuits blanches, mes bras ankylosés lorsque je la berce sans relâche, l’étrangeté des sensations de l’allaitement, mes rituels qui volent en éclats dans cette nouvelle vie d’imprévus et mes centres d’intérêts mis de côté à durée indéterminée. Certes je n’ai que peu d’effusion de mots doux à son égard et ne lui ai donné son premier baiser que trois semaines après sa naissance mais je suis là à chaque instant, scrutant ses réactions pour mieux y répondre.

A ce propos, à quoi servent les « je t’aime » à tout bout de champ et les averses de bisous pour un bébé ? Ne sont-ce pas plutôt l’expression d’envies parentales qui ne contentent qu’eux-mêmes ? Pourquoi donc les adultes imposent-ils leurs lèvres sur le visage des nourrissons ? Quel sens cela a-t-il quand un baiser est offert à tout bout de champs pour ne pas dire obligé à l’enfant ? En a-t-il besoin ? De chaleur, d’étreintes, de câlins, j’en conviens mais de bouches humides, à quoi bon ? Si je lui ai donné le mien aussi tard, c’est qu’il avait un caractère sacré là où les gens en font une banalité. Ce baiser était l’expression d’un de ces fameux « trop tout ». Il fut proposé du bout des lèvres sur le front, les larmes aux yeux et le cœur serré car l’amour est un engagement fort et non un émoustillement passager face à une nouvelle petite frimousse. Nous connaissons tous ce type de parents qui se perdent en louanges devant leur bébé et dépensent des fortunes en objets de puériculture, bisoutant sans retenue leur progéniture. Mais, une fois l’engouement tassé, ne sont plus tant au rendez-vous… Certes ces gens-là sont plus volubiles que moi et de fait peut-être, paraissent ils être de meilleurs parents ou en tout cas plus convenables mais c’est sans doute pour mieux cacher leur vide.

Si j’ai l’air indifférente d’apparence, je suis en réalité inversement proportionnelle, remplie de promesses envers ma fille. Devenir forte pour elle, résume en substance l’étendue de mes vœux. Depuis qu’elle est entrée dans ma vie, j’apprends à être sur tous les fronts en même temps, plus combative que la fatigue qui m’assaille, à aller au-devant des différentes interactions sociales qu’impose la parentalité. Par amour, je sors de ma zone de confort sans chercher d’alternatives. Sonne là, le début d’une nouvelle vie où je refuse que l’autisme soit une barrière et l’obligerai à devenir une force ; celle de ne jamais renoncer pour ce qui m’importe vraiment. Je serai là même quand mes particularités me donneront perdante. Pour elle, j’irai malgré tout obstacle, plus loin que mes limites. Il n’est plus envisageable de remettre à plus tard ou de me morfondre sur mon sort, je l’accompagnerai pour qu’elle s’arme contre le pire et ne prenne que le meilleur. Tel est mon amour.

Stella

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