#emploi : « On ne fait pas de discrimination positive »


Témoignage de Pauline R.

Présentant le syndrome d’Asperger d’une façon « non criante » (ainsi que me l’a dit la psychiatre qui m’a diagnostiquée), j’ai pu accéder à une situation professionnelle stable et correspondant à mon niveau de qualification. Il y a huit ans, j’ai eu le concours d’attaché-e territorial-e (un grade de catégorie A dans la fonction publique territoriale) et occupe aujourd’hui un poste de chargée de mission dans le domaine de l’urbanisme. La nomination a été un véritable « parcours de la combattante ». Je précise que dans la fonction publique territoriale, lorsqu’on est lauréat-e d’un concours, on doit prospecter soi-même pour trouver un poste. Or si on n’est pas nommé-e dans un certain délai (3 ans à l’époque), on est radié-e de la liste des lauréats… Toujours est-il que j’ai fini par être recrutée sur un poste correspondant à mon concours… à 500 km de chez moi.

Depuis ma titularisation sur le grade d’attaché-e territoriale, j’ai été en démarche de recherche d’un poste dans ma région d’origine à plusieurs reprises et le diagnostic a été l’occasion de reconsidérer ma stratégie. En effet, avant même que celui-ci soit posé, j’avais commencé à sélectionner davantage les offres, c’est-à-dire à éviter ceux sur lesquels mes particularités d’Aspergirl pouvaient me mettre en difficulté (notamment les postes d’encadrement). Une fois le diagnostic posé, je me suis demandée si je n’avais pas intérêt à jouer cartes sur table auprès des employeurs. Je savais que des entreprises, notamment dans le domaine de l’informatique, avait une démarche « Aspiefriendly » et je me suis mise à espérer qu’il en était peut-être de même dans certaines collectivités.

Cette idée inquiétait mon compagnon : « Ça pourrait passer pour un poste d’archiviste ou autre chose du genre, mais dans ton cas, ça va te fermer des portes », me disait-il. Comme ça ne coûte rien de tâter le terrain, j’ai contacté le service RH d’une très grande ville (où il se trouve que j’étais en poste au moment où j’ai eu le concours d’attachée) en vue de savoir si celle-ci avait une politique particulière pour favoriser l’insertion des personnes avec T.S.A. On m’a orientée vers un agent spécialement chargé de l’insertion des personnes handicapées qui m’a précisé avec enthousiasme ce que la collectivité faisait pour les agents autistes (par exemple une contractualisation avec un professionnel spécialisée dans les T.S.A. afin d’accompagner les managers dans l’encadrement des agents concernés par ce handicap).

Suite à ma question de savoir s’il trouvait judicieux de faire part de mon handicap au stade d’une candidature, cet agent m’a conseillé d’envoyer ma R.Q.T.H. avec les autres pièces et, dans le cas où j’étais convoquée, de lui en faire part pour qu’il se mette en contact avec le jury et les « sensibilise » au T.S.A. Toutefois, cela m’a laissée un peu dubitative. Je lui ai alors demandé si parmi les agents autistes de la collectivité, certain-e-s occupaient des postes de catégorie A (en effet, si c’était le cas et que ces personnes donnaient satisfaction, elles constituaient la preuve vivante que ce cadre d’emploi était compatible avec un T.S.A., du moins sur certains types de postes). Il n’a pas su me répondre.

Puis, quand je lui ai demandé si la collectivité atteignait son quota de personnes handicapées, il s’est empressé de me répondre que c’était le cas, aussi bien à la ville qu’à la métropole (le service RH étant commun aux deux), mais qu’en tout étant de cause il n’y avait ni discrimination positive ni discrimination négative, le recrutement se basant uniquement sur les compétences. Sur le moment j’ai approuvé ses propos mais après avoir raccroché j’ai ressenti de l’amertume : qu’est-ce que ça veut dire « ni discrimination positive, ni discrimination négative » ? Cette formule aurait un sens pour d’autres types de handicaps ou encore pour des caractéristiques telles que la couleur de la peau, l’origine géographique, l’orientation sexuelle… Mais il en va autrement avec l’autisme puisque c’est un handicap qui touche le domaine relationnel ! De ce fait, le choix de postes qui convient aux autistes est déjà restreint par rapport aux personnes neurotypiques. A fortiori, si une-e candidat-e joue franc-jeu, le jury peut lui attribuer des difficultés qu’il/elle ne rencontre pas forcément (par exemple, les personnes autistes même très qualifiées peuvent avoir du mal à comprendre ce qu’on attend d’elles à défaut de consignes très explicites, mais ce n’est pas le cas de toutes !). Et quand on ne dit rien de son handicap, de petites choses peuvent faire mauvaise impression au cours de l’entretien (un regard atypique, une communication parfois moins fluide qu’avec d’autres candidat-es, un stress plus visible…). La « discrimination négative » existe donc déjà et continuera d’exister. Dès lors que les défauts particuliers des candidat-e-s Aspies peuvent les pénaliser, leurs qualités particulières (notamment en termes de capacités d’approfondissement, de mémorisation et de rigueur d’argumentation) doivent pouvoir être reconnues lorsqu’elles sont des atouts. Par exemple, ces qualités sont particulièrement précieuses sur des postes d’expertise. Cette reconnaissance ne devrait pas être assimilée à un passe-droit mais à un juste rééquilibrage des choses.

Une amie ayant elle-même un haut niveau de responsabilité dans un Conseil Départemental (justement dans la direction en charge des personnes dépendantes et handicapées), m’a déconseillé d’être transparente. Selon elle, le syndrome d’Asperger et sa diversité sont encore trop méconnus et cette étiquette risque de faire peur aux jurys.

Pour l’instant je vais donc continuer à postuler en clandestine, mais j’ai de moins en moins d’énergie pour cela.

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10 commentaires sur “#emploi : « On ne fait pas de discrimination positive »

  • Laurence LAURENT

    Bonjour Pauline,
    Bravo pour ce parcours et cette lucide intelligence.
    Pour ma part, je n’ai jamais parlé de mon TSAA à mon employeur, trop inquiète des répercussions négatives que cela puisse avoir et notamment que l’on ne me regarde plus de la même manière.
    J’accompagne des cadres en développement professionnel ou personnel et je n’ai jamais soutenu l’idée ou conseillé à une personne autiste cadre d’en parler à son entreprise. Trop de préjugés, de mauvaise connaissance de ce don en France. Hélas… et puis ce sont les talents associés à nos particularités qu’il faut valoriser, et exprimer nos difficultés d’où forme de besoins autant que faire se peut.
    Bonne journée

  • Stella

    Bonjour Pauline,
    Tout d’abord merci pour votre témoignage.
    Effectivement cela tient d’un questionnement entêtant : jouer franc jeu ou non sachant que cela peut-être à double tranchant. Je me suis énormément posé la question avant d’entreprendre quoi que ce soit, pour ma part. Mais mon enjeu était tout autre que le vôtre, à savoir d’aménager mon temps horaire. J’aurais bien aimé pouvoir aménager d’autres aspects de mon poste mais pour cela, il aurait fallu que je sois plus explicite sur la nature de mon handicap, alors j’ai renoncé… Autant j’ai dévoilé mon autisme à la médecine du travail, le secret médical me protégeant, autant je n’ai fait part que de ma RQTH à mon employeur. Ainsi j’ai pu obtenir une journée de télétravail par semaine et espère sur le long terme bénéficier de davantage de souplesse de la part de mon employeur, de manière générale… Petite info bonne à savoir : les salariés déclarant leur handicap pour la première fois à leur employeur peuvent obtenir une prime.
    C’est donc triste à dire mais je rejoins votre position et l’avis de votre amie sur le fait qu’il peut y avoir + à perdre qu’à gagner, certains clichés sur l’autisme et surtout la méconnaissance de celui-ci pouvant vous desservir bien qu’à mon sens cela peut davantage être un atout qu’un frein d’avoir une personne autiste dans son équipe. J’espère vraiment qu’avec le temps les employeurs seront davantage sensibilisés et prendront conscience de la plus value que cela peut-être d’employer des autistes.
    Je vous souhaite le meilleur pour la suite de vos démarches. A défaut de parler de votre autisme, je ne peux que vous encourager à mettre en valeur toutes vos qualités, une manière détournée de parler de votre spécificité puisque sans doute certaines de vos compétences sont en lien direct avec 😉 !!!

      • Stella

        Bonjour Morgane,
        Ma convention collective dépend de l’oeth pour la prime. J’imagine que c’est différent d’un emploi à l’autre. Si votre employeur ne peut vous renseigner, vous pouvez demander conseil à l’agephip ou la médecine du travail. La prime de 500e est donnée aux personnes qui déclarent pour la 1ère fois leur handicap à leur employeur via la rqth. C’est ensuite l’employeur qui fait la démarche pour que vous receviez la prime.

  • Adeline

    Bonjour, je me pose la même question de savoir s’il faut le dire ou pas.. Pour l’instant j’ai choisi de le taire. Je travaille en intérim depuis cet été et je m’aperçois qu’il y a des mieux professionnels où ça ne colle pas du tout en terme de poste de travail et d’ambiance, surtout quand il y a une hiérarchie trop présente et/ou pas de consignes claires Ou trop de bruit !! Dans ces cas je me sens mal et fais des maladresses, ça fait ressortir mon handicap. Et des fois c’est différent, J’ai travaillé en octobre pour une société où je me suis sentie à merveille, les échanges et consignes étaient fluides et clairs, j’étais respectée, encouragée et appréciée pour mes qualités: sens de l’observation, analyse, communication directe. J’étais libre de choisir mon temps de travail, j’étais payée pour une mission. Dans ce ce cadre là je ne suis plus handicapée. Au moment de signer le contrat ils m’ont demandé si j’avais une reconnaissance d’handicap, je leur ai donné mon attestation pour leur politique RH et parce que je me sentais en confiance mais nous n’avons pas abordé ce sujet.. Pas besoin avec ces conditions de travail exceptionnelles ! J’aimerais tellement retrouver ces conditions de travail !
    J’espère que tu arriveras aussi à trouver la structure qui te correspond et vous aussi qui me lisez

    • Pauline R.

      Merci à toutes pour vos messages qui sont à la fois éclairants et réconfortants ! Pour faire écho au témoignage d’Adeline, effectivement, selon les contextes dans lesquels j’ai travaillé, j’ai pu me trouver en grande difficulté ou au contraire être très à l’aise (c’est le cas aujourd’hui).
      Et pour la prime, merci pour le tuyau, je n’étais pas au courant!
      Bonne continuation à toutes!

  • Marie-Christine

    Bonjour,
    Merci pour tous vos témoignages et messages, si intéressants à lire.
    Pour ma part, après une carrière semée d’embûches et d’obstacles, j’ai réussi à « faire mon trou ».
    Je suis maître de conférences dans une école d’ingénieur et j’ai la chance de pouvoir organiser mon travail comme je l’entends.
    Avant mon diagnostic, je me suis efforcée tant bien que mal de répondre aux exigences. J’ai eu un diagnostic d’autisme Asperger il y a 15 ans, à l’âge de 40 ans. A l’époque, j’avais beaucoup de problèmes à la fois personnels et professionnels, et grâce au diagnostic, j’ai compris beaucoup de choses et j’ai pu prendre les bonnes décisions pour les régler en grande partie.
    Il y a environ 8 ans, j’ai carrément décidé d’aménager moi-même mon poste de travail, de ne faire que ce que je fais bien et de ne plus faire tout ce qui me mettait en difficulté.
    Ma carrière a pâti de mon handicap, surtout au début, mais j’ai finalement réussi à montrer de quoi je suis capable. Ma carrière est de ce fait très atypique, avec des manques mais de belles réussites.
    J’ai décidé de faire une demande de RQTH pour que l’ensemble de ma carrière soit évalué avec l’éclairage de mon autisme. En effet, on doit se soumettre à une évaluation quand on veut changer d’échelon.
    Je peux prendre le risque de déclarer mon autisme parce que je n’ai rien à perdre. Je suis fonctionnaire, reconnue pour la qualité de mon travail et à 7 ans de la retraite.
    Mon médecin du travail m’a bien comprise. Je vais donc monter mon dossier pour la MDPH.
    A suivre…