Déclarer ou ne pas déclarer son handicap…Témoignage


 

 

Un témoignage de Phantom, membre de l’association, mettant en lumière les risques à déclarer son handicap au médecin du travail. 

Déclarer son handicap, ça change effectivement tout.. mais dans quel sens ?

D’aussi loin que je me souvienne, depuis mon arrivée sur le marché de l’emploi, le monde du travail a toujours été un défi. Des premiers entretiens d’embauche aux relations avec les collègues, il y a un nombre important d’éléments à maîtriser afin de correspondre à l’image qui est attendu d’un salarié. J’ai fait beaucoup d’erreurs et j’ai donc progressé en comprenant certains mécanismes de fonctionnement qui peuvent être généralisés à l’ensemble des organisations de travail.

Les sables mouvants

Mais qu’en est-il des autres ? Tous ces principes qui ne sont applicables que dans l’organisation où l’on travaille, ceux qui n’ont cours que dans un seul service de cette organisation, qu’avec certaines personnes ou à certains moments ? Ceux-là restent mouvants, insaisissables. Ils semblent m’échapper tel un serpent se contorsionnant pour éviter d’être capturé. Ils restent par-delà ma compréhension du monde du travail. Cela concerne souvent les relations aux autres : comment initier l’interaction ? Comment savoir lorsqu’il faut prendre part à une conversation qui était déjà en cours au sein d’un groupe de collègues avant mon arrivée ? Comment proposer un point d’amélioration à un collègue sans paraître critique, afin ne pas heurter sa sensibilité ? Comment supporter ces moments sociaux, les fêtes d’entreprises, qui mettent mon système sensoriel à vif et me laissent exténuée pendant plusieurs jours ? Ces quelques questions, et bien d’autres encore, que se posent la plupart des personnes autistes révèlent des problèmes liés à la communication, aux interactions, à la perception sensorielle,  qui nécessitent des adaptations des situations de travail afin de les rendre plus accessibles, moins douloureuses.

Un diagnostic et l’espoir d’aménagements au travail

Dans mon travail, je dois assister régulièrement à des temps festifs qui rythment la vie de mes différents lieux de travail. Pour les autres, ce sont des moments de joie et de partage qui sont attendus et appréciés de tous. Pour moi, ce sont des moments d’angoisse où je dois sans cesse m’adapter jusqu’à l’épuisement. Il y a trop de bruits, trop de gens, il y fait trop froid, il faut parfois y porter des vêtements désagréables qui grattent. Avant d’avoir mon diagnostic d’autisme, je pensais simplement que j’étais une personne fragile qui était en situation d’échec là où tous les autres réussissaient aisément, naturellement. Après mon diagnostic, j’ai pu comprendre d’où venait cette immense fatigue. Je me suis dit – folle que je suis –  que j’allais améliorer mes conditions de vie au travail, que je pouvais essayer de me rendre la vie plus légère.

Sauter le pas et demander de l’aide

Je me suis rendue chez mon médecin du travail pour lui expliquer ma situation : « Bonjour, je suis autiste, je suis fatiguée et je voudrais pouvoir bénéficier de quelques aménagements de poste afin de me maintenir dans l’emploi ». Je pense m’être exprimée de manière claire et structurée – mais comment en être certaine ? Cela n’était pas un exercice aisé pour moi. Moi qui ai toujours caché toutes mes difficultés quoi qu’il en coûte, qui ne sais pas reconnaître quand j’ai besoin d’aide. Et lorsque j’en prends conscience, je ne me sens jamais suffisamment légitime pour demander de l’aide : n’y a-t-il pas quelqu’un de plus touché par le handicap qui en aurait vraiment besoin, plutôt que moi ? Alors je parle peu de mes problèmes, je n’exprime pas mes besoins. J’ai donc avant tout lutté contre moi-même pour faire la démarche de parler de mes difficultés à une tierce personne. J’ai expliqué que j’avais été orientée par un psychiatre vers le Centre de Ressources Autisme et qu’après avoir passé les tests, le diagnostic était positif. Ensuite, j’ai évoqué ces moments festifs qui sont une réelle difficulté et pour lesquels je souhaitais bénéficier d’une condition particulière, pouvoir y aller sur une durée plus courte, morceler mon temps de présence entre des temps de travail au bureau et l’évènement en question, ne plus assister à ces rencontres…  Ou toute autre adaptation qui me serait proposée.

L’entretien avec le médecin du travail

Je retranscris ici, en substance, la teneur des échanges qui ont lieu lors du Rendez-vous à la médecine du travail :

Médecin : Bonjour vous êtes là pour quoi ?

Moi : C’est pas facile à admettre, mais je suis vraiment épuisée ces derniers temps au travail et on m’a conseillé de demander la RQTH et de voir avec vous pour bénéficier de quelques aménagements. Je suis beaucoup sollicitée pour des événements sociaux où ma présence n’est pas véritablement indispensable, je voudrais pouvoir m’en affranchir et faire un réel travail à la place ou réduire le temps que j’y passe.

Médecin : Ah bon la RQTH ? Mais vous avez l’air très bien. Vous vous exprimez bien, si j’étais votre collègue je n’aurais aucune difficulté à travailler avec vous.

Moi : Euh… Oui, mais en fait c’est moi qui suis fatiguée, parce que je fais vraiment beaucoup d’effort toute la journée, et là j’ai du mal à tenir le coup.

Médecin : Bon moi la RQTH, je ne vous le conseille pas, c’est surtout si vous êtes menacée de perdre votre emploi qu’il faut la faire. Si vous êtes menacée de licenciement par exemple, c’est là qu’il faut venir me voir et on peut faire la RQTH pour que vous ayez des facilités de reclassement.

Moi : Euh…Ok. Donc je ne demanderai pas la RQTH. Et pour les aménagements, vous pensez que vous pouvez m’aider ?

Médecin : Je ne vous le conseille pas non plus. Bon le mieux, plutôt que de passer par moi, c’est d’aller voir directement avec votre employeur, mais vous ne leur dites surtout pas que c’est parce que vous êtes autiste qu’il vous faut des aménagements. Parce que c’est quand même négatif pour un employeur, ça risque d’être mal perçu.

Moi : Euh… Vous êtes sur ? Je travaille quand même dans une association dont la mission première est de défendre les droits des personnes en situation de handicap. Mais bon, au cas où cela soit mal perçu, vous ne pensez pas que la RQTH pourrait me protéger et aider au maintien dans l’emploi ?

Médecin : Non vraiment dans votre cas ça n’est pas adapté. Le mieux c’est de demander directement des aménagements à votre supérieur sans lui en donner la raison.

Moi : Mais vous êtes sur ? Parce que si je n’explique rien du tout, mon supérieur risque de ne pas comprendre la raison de ces aménagements.

Médecin : Mais si, vous l’avez dit vous-même, c’est une association dans le secteur du handicap, il sera compréhensif.

Dans ma situation, cela aurait été vraiment délicat de demander ce type d’aménagement sans le soutien du médecin du travail. De plus, tant que les aménagements ne sont pas actés par la médecine du travail, ils relèvent de la seule bonne volonté de l’employeur et peuvent donc devenir caducs en cas de changement de supérieur hiérarchique ou d’équipe.

À ce moment là de l’entretien, je ne suis pas en colère, je ne réalise pas véritablement les enjeux et les conséquences de ce qu’il est en train de me dire parce que je suis stressée par cette rencontre et quand je suis angoissée cela réduit mes capacités de compréhension des situations. Je me dis que j’ai dû mal m’exprimer et que comme je suis réticente à parler de mes difficultés, il ne doit pas en comprendre les réalités.

Autiste donc inapte ?

Je lui transmets donc le rapport du CRA afin qu’il en prenne connaissance et en fasse une copie pour mon dossier. Je ne saurais dire aujourd’hui s’il ne m’avait pas prise au sérieux auparavant ou si le rapport du CRA l’a alarmé, mais après l’avoir parcouru des yeux rapidement en ma présence, il me propose d’emblée une inaptitude. Je suis un peu interloquée et sur le moment je ne sais pas quoi lui répondre, donc je ne dis rien. Il reformule sa phrase, pensant que je ne l’ai pas compris et en augmentant le volume de sa voix :

« Non parce qu’avec vos fonctions, si vous ne pouvez pas effectuer d’activité de représentation, c’est mieux pour vous de partir sur une inaptitude ».

Et soudainement, je réalise que je pourrais perdre mon emploi. Je ne sais pas si c’est réellement le cas, mais c’est ce que je ressens. Je fais marche arrière, je dis que j’ai sans doute exagéré, ça ne va pas si mal et puis je m’exprime bien, il n’y a pas de soucis. Je suis sortie rapidement du cabinet avant d’être licenciée pour inaptitude ou reclassée à un poste qui ne m’intéresse pas.

Même si c’est parfois difficile, j’apprécie d’avoir une activité professionnelle. Cela me confère un salaire qui me permet une autonomie financière. Mon emploi me procure également un contact avec le monde extérieur, parce que j’ai peu d’amis ou de connaissances et je ne sors que rarement de mon domicile en dehors du travail. Si certaines relations avec les collègues ou environnements demandent des ajustements importants de ma part, d’autres me procurent un contact humain que j’arrive finalement à apprécier. Je travaille également sur certains projets qui me passionnent et où j’ai l’impression d’être utile réellement à des personnes qui en ont besoin. Je ne veux pas arrêter mon activité professionnelle, cela m’a coûté cher d’arriver à en avoir une et cela me coûte davantage de m’y maintenir. Mais au sortir de ce Rendez-Vous, ne voyant pas de solution et étant dans une période d’intense fatigue, j’ai failli démissionner.

Les conséquences du refus d’aménagements

Aujourd’hui, je suis toujours en emploi, je n’ai toujours pas d’aide. Certaines périodes se déroulent bien et j’ai conscience de la chance inouïe que j’ai de pouvoir travailler. Certaines périodes sont une lutte acharnée contre moi-même et mon environnement et me laissent vidée de mon énergie. Dans ces moments-là, quand je rentre chez moi, je ne peux plus me mouvoir. Je m’allonge sur mon lit, je ne peux plus penser, je n’ai envie de rien, je suis vide à l’intérieur. Je ne tiendrai surement pas longtemps à ce rythme et j’envisage une reconversion professionnelle à moyen terme. Je reste persuadée qu’avec quelques adaptations minimes, je pourrais conserver cet emploi sur plus longtemps.

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2 commentaires sur “Déclarer ou ne pas déclarer son handicap…Témoignage

  • Florence

    Bonjour, ça ressemble beaucoup à ce qu’il m’est arrivé : j’étais consultante dans une société de conseil, un client m’a fait sortir une fois de plus (« rien à voir avec ton travail, mais ton comportement n’est vraiment pas adapté »), mon manager a demandé à ce que je vois la médecine de travail parce qu’il redoutait un burn-out, ils ont proposé l’inaptitude, je me suis faite virée. Maintenant, c’est pole emploi qui me propose des « coachings » pour savoir me vendre, mais je n’ai aucune envie de replonger dans tout ça. Je n’ai pas encore demandé la RQTH, j’hésite à le faire. Je me prends déjà tellement la tête avec la MDPH pour mon fils aîné… Pour le moment, je voudrais me reposer un peu (me remettre de ces 2 mois et qq où je n’ai pas pu être seule qq heures) et ensuite réfléchir à ce que je pourrais faire par la suite.

  • Cleo

    Bonsoir. Mon cas est similaire en beaucoup de points. Je lutte tous les jours pour garder un poste qui ne me correspond pas. Je suis fatiguée et j’ai l’impression de ne plus avoir la force pour changer les choses. Le médecin propose l inaptitude mais je crains les conséquences…