Le sport, un passeport pour l’inclusion
L’inclusion n’est pas toujours où on l’attend
Deux athlètes, Marie Rabatel (ancienne sportive internationale et championne de France FFA dans divers catégories – présidente de l’AFFA) et Mélina Robert Michon (Vice Championne olympique, du monde et d’Europe et 33e titre de championne de France FFA) :
Melina a débuté l’athlétisme en intégrant un groupe d’athlète dont Marie faisait partie. Melina et Marie se connaissent depuis une trentaine d’années environ et ne se sont jamais perdues de vue. Une belle rencontre humaine que nous aimerions tous connaître.
Nous connaissons Marie Rabatel pour son combat mené pour le droit des femmes en situation de handicap et la lutte contre la pédocriminalité. Avant cela, Marie fût sportive de haut niveau où elle représenta 5 fois la France dans des compétitions et championnats internationaux en athlétisme.
Sa façon de concevoir le sport a été de l’intégrer comme une activité produisant des effets positifs sur sa situation sociale. Pour bien comprendre sa vision, nous allons aborder son enfance et sa rencontre du sport.
Elle a été scolarisée dans une école privée où quelque soit la particularité de l’enfant, celui-ci avait sa place. Dans cette école le langage des signes était enseigné pour aider à l’expression et la verbalisation. A l’écrit, des codes de couleurs étaient mis en place, pour faciliter l’apprentissage de la lecture, l’écriture, de la grammaire et de la conjugaison. Ces acquisitions en poche et un suivi chez une orthophoniste, Marie a intégré un autre établissement scolaire. Mais son énergie débordante l’empêchait de rester assise très longtemps.
« J’avais une énergie terriblement débordante. Je ne tenais pas en place, je courrais tout le temps, je sautais partout. Je ne savais pas bien où situer mon corps dans l’espace ni le maîtriser. Rester assise sur une chaise pendant 15 minutes, était impossible pour moi. Il me manquait certains codes, savoir jouer aux jeux de la récréation. Il m’arrivait régulièrement d’intervenir de manière intempestive et de terminer le temps de classe dans le couloir à compter les portes manteaux. »
Le harcèlement scolaire, elle l’a vécu dès que sa soeur a quitté cette école pour le collège.
« J’étais poussée, tapée, le cartable vidé sur les marches de l’école. J’ai même reçu des yaourts en pleine figure à la cantine, sans compter les mots d’oiseaux dont j’avais droit. Du harcèlement scolaire dans toute sa splendeur sans qu’aucuns enseignants n’interviennent » se souvient tristement Marie Rabatel. Par chance, attirée par les billes, cet outil lui aura servi, de temps à autre, à une passerelle pour jouer avec les autres sans être malmenée. »
Son passage au collège aura été un changement radical. Elle nous explique :
« Arrivée au collège, l’environnement est différent : beaucoup d’élèves, de professeurs, beaucoup plus de mouvements et bruits de manière générale. Il y avait les temps UNSS. Vu l’énergie que j’avais à dépenser, il m’a été proposée d’aller pratiquer un sport pour me défouler. La saison d’athlétisme UNSS a été un tournant de ma vie. »
Un professeur d’EPS, Mr Vincent, avait vu en Marie des compétences sportives. Après sa première participation à une compétition départementale scolaire, elle se rappelle : « Mes parents et moi étions contents de cette nouvelle car cela me permettait d’être avec d’autres et de canaliser mon énergie pour l’utiliser dans quelque chose de bénéfique. Et puis, fini le harcèlement ! Les élèves du collège avaient un autre regard sur moi. En benjamine, j’avais la meilleure performance mondiale en lancer de disque en 600g. J’étais la Super-Woman pour eux », se souvient-elle en souriant.
« Mes comportements un peu en décalage étaient gommés par ce que je représentais à leurs yeux : une sportive et plus une « débile ». »
Le sport l’aura aidée dans son intégration au collège, mais aussi au CSBJ athlétisme, au lycée où elle intégrera le sport-étude du pôle France avec pour entraîneur Jacques Pelgas et l’équipe de France. Au sport-étude, elle était dans un environnement où l’individu appartient à un groupe d’entraînement malgré ce sport individuel qui est l’athlétisme.
« Quand on arrive à l’adolescence, précise Marie Rabatel, il est compliqué de se construire positivement en étant rejetée et sans appartenance à un groupe social. J’ai eu la chance de rencontrer les bonnes personnes…. celles sachant détecter des capacités que je ne pensais pas posséder, celles qui ont su regarder au-delà de mes difficultés ou incapacités. Malheureusement, notre société fait souvent l’inverse : stigmatiser les incompétences des uns et des autres au lieu de regarder ce que l’individu fait de bien. Il est primordial et bénéfique de pointer les compétences et non les incompétences pour croire en soi . Une des vertus importantes du sport est : passer par le faire, non pas par le dire. Alors quand des troubles de communication sociale sont présents, « le faire » permet de s’épanouir. »
Elle ajoute que le sport lui aura appris le sens des règles, de l’effort, de l’engagement corporel et intellectuel, le développement de l’autonomie du pouvoir décisionnel, de faire des choix, le sens des responsabilités. « Dans un groupe, on est responsable de soi et des autres » rappelle Marie Rabatel. Le sport lui aura aussi appris à utiliser son corps pour mieux le maîtriser.
Pour Marie la notion de compétition ou de médailles lui importent peu. Son but était autre : faire vibrer son corps et sentir ce qui se passait à l’intérieur.
« Au désespoir de mes entraineurs, j’étais quand même un peu fainéante dans les séances de musculation ».
Mais Marie avait cette capacité à apprendre par l’imitation, ce qui l’a beaucoup aidé dans la technique du geste et qui l’aura amené jusqu’à représenter la France dans divers compétitions internationales. Appréhender des compétitions sans se mettre la pression était une arme face à ces adversaires.
« Gagner n’était pas mon objectif. Les compétitions me permettaient d’être avec d’autres personnes sans me sentir rejetée ni jugée, d’avoir ma place dans la société et d’être bien dans mon environnement. »
Souvent, les personnes qui veulent faire du sport pensent performance, compétition. Pourtant le sport c’est pas ça, c’est avant tout apprendre les règles de la vie sociale, prendre soin de sa santé. Marie précise :
« Le sport permet d’éviter les barrières que l’humain se dresse face à la différence. Chaque être humain a des richesses, il faut lui donner la chance de pouvoir les exploiter et les extérioriser. »
« Le sport a favorisé mon inclusion sans que cela soit nommé. Grâce à ces rencontres, je suis devenue qui je suis aujourd’hui.»
Maintenant nous allons donner la parole à Melina Robert Michon qui va nous raconter sa rencontre avec Marie Rabatel, il y a plus de 30 ans.
L’inclusion n’est pas toujours où on l’attend…
« J’ai commencé l’athlétisme quand j’avais 15-16 ans. À cette époque, j’ai été présentée à un groupe d’entraînement dont Marie Rabatel faisait partie. Pour moi ça a été sans doute LA rencontre de ce groupe qui m’a donné envie de faire du disque, et d’autre part, parce que l’ambiance était bonne, que les gens étaient sympas et aussi parce que j’ai accroché plus particulièrement avec Marie qui jouait à l’époque un peu ce rôle de grande soeur. Elle m’a intégrée au groupe, elle a veillé sur moi et notamment lors de mes premiers déplacements en compétition, en Championnats de France et mes premières sélections en équipe de France. Elle m’a intégrée à ce monde de lancer. Je ne me suis jamais posée de question sur son fonctionnement et son comportement autistique. »
Mais c’est ça aussi la force du sport !
Le sport a cette capacité à rassembler des gens d’univers tellement différents que finalement on ne se pose pas la question de savoir d’où vient l’autre, qu’est ce qu’il fait dans la vie… Le sport a cette capacité à rassembler les gens, les rapprocher et à gommer les différences.
Dans le milieu de l’autisme, le sport peut vraiment apporter à tous : aux sportifs autistes ou non autistes parce que le sport, c’est tout d’abord un échange. Et ces échanges là nous permettent de progresser et nous rendent encore plus forts.
C’était important pour moi d’apporter ce témoignage, de montrer que le sport gomme les différences : nous sommes tous ensemble dans le partage de nos passions. Au final, on ne se pose pas la question de la manière dont on agit mais on passe du bon temps ensemble et c’est ça le plus important.
Je souhaite mettre en avant cela car il a été certainement un événement déclencheur dans ma carrière, parce que justement Marie, a eu cette capacité de bienveillance et de vouloir veiller sur moi tout en m’intégrant à tout ça.
Cela a joué un rôle dans ma carrière, dans le choix de ma discipline et je la remercie. J’ai beaucoup de chance de l’avoir rencontré et j’espère que d’autres athlètes, que d’autres personnes autistes auront cette chance de profiter aussi de ces belles rencontres et beaux moments de partage.
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En conclusion, « le sport a cette capacité à rassembler les gens, à les rapprocher et à gommer les différences ». Le sport a de multiples richesses tant sur le bien-être, la santé que sur les relations humaines. Le sport ne ferait-il pas reculer les stéréotypes concernant le regard que la société porte sur les personnes autistes ainsi que sur le regard que nous portons sur nous-mêmes ?
Propos recueillis par Stéphane Moulin pour l’AFFA