Autisme et vulnérabilité sexuelle : l’histoire d’une femme


Autrice(s): « Sarahhbristol »
Ceci est la traduction d´un article « Autism and Sexual Vulnerability – One Woman´s Story » pour la page web The Aspergian.

Remerciements à « Sarahhdbristol » de nous donner l´autorisation de la traduction de cet article.
Remerciements à Angela Godoy, Géraldine Méreau, Anne – Sophie Guillaume et à Marlène Lempereur pour la traduction et la relecture.

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Note de la rédaction : cet article contient des détails sur des agressions sexuelles. Cette lecture est pour un public averti.

Ces dernières années, on a observé une explosion médiatique de douleur, d’aveux, d’avis et de contre-avis suite aux révélations de l’affaire Harvey Weinstein.

Les divers articles et hashtags sont considérables, souvent des écrits difficiles à lire soulignant la culture pourrie, hypersexualisée et profondément enracinée dans laquelle nous, humains, vivons.

Il y a beaucoup de sentiments exprimés sous différents points de vue : la colère, la douleur, le traumatisme, le regret, la honte, la solidarité pour n’en citer que quelques-uns. C’est comme si un barrage tombait pour beaucoup de gens : un barrage qui s’est fissurée sous la pression qui durait depuis longtemps, attendant le dernier peu de pression pour se fracturer.

Il y a des critiques sur la complicité, l’hypocrisie et les tentatives pour étouffer l’affaire qui peuvent être valables mais il vaut mieux ouvrir tardivement une blessure, l’examiner et tenter de la panser en tant qu’individus plutôt qu’en tant que société.

Comme beaucoup d’autres, je suis profondément affectée par ce tsunami.

Chacun.e a son histoire et nous avons tout.e.s une vision du monde différente, néanmoins, ce mouvement de libération de la parole semble faire écho auprès de certaines générations, classes sociales, orientations sexuelles, catégories de genre et bien d’autres.

Mon point de vue particulier est écrit à partir de celui d’une femme autiste, diagnostiquée autour de mes 40 ans. Quelqu’un a dit une fois : « Écris sur ce que tu sais » et même si j’ai une compréhension imparfaite, l’orientation neurologique étrange est ce que je commence à connaître.

Ces dernières années, le diagnostic m’a brutalement obligée de me confronter à mon passé, mais il m’a aussi permise de mieux me comprendre et de me diriger vers l’acceptation, jusqu’à aujourd’hui pouvoir même valoriser ma différence.

Une partie de cette période a entraîné beaucoup de réflexion et d’exploration sur mon passé, des décisions que j’ai prises et des choses que j’ai faites aux événements que j’ai subi à travers le prisme de la confusion la plus totale et de la maladresse de l’existence.

Je découvre mon véritable moi tout au long de mon parcours et des événements clés, particulièrement lors d’un décès récent dans ma famille qui a fait la lumière sur des expériences longtemps enfouies que je vois sous un regard mieux informé avec douceur et espoir.

Ces nouvelles perspectives pourraient s’avérer utiles pour d’autres personnes qui ont vécu des expériences similaires. Je l’espère, car si nos différents chemins devaient ne jamais se croiser et nous permettre de nous soutenir mutuellement, je ne verrais pas à quoi cette vie servirait. Ces réflexions diverses peuvent être classées sous la rubrique « Vulnérabilité ».

Beaucoup de personnes sont vulnérables et je suis sûre que chacun d’entre nous s’est retrouvé dans une situation de faiblesse à un moment ou à un autre de sa vie. Toutefois, pour peu que je comprenne correctement tous les livres qui ont été écrits sur les femmes autistes en particulier, et pour peu que j’en croie mes propres expériences, il existe un type de vulnérabilité unique qui nous accompagne de manière aussi caractéristique à travers la plus grande partie de notre existence.

Un compagnon bien étrange…

Nous grandissons comme si nous étions des poissons hors de l’eau. Nous sommes des créatures bizarres, maladroites, qui, si tout va bien, glissent en marge des interactions sociales. Ne comprenant pas les gens autour de nous, nous sommes souvent déconcertées ou blessées par la réponse que suscite notre comportement, sans être à même de bien en saisir le « pourquoi », quel que soit ce « pourquoi ».

Nous sommes souvent isolées, solitaires et incapables d’être acceptées et d’avoir des échanges humains alors que nous recherchons désespérément l’amour. Il arrive si souvent que nous ne comprenions pas et que nous ne soyons pas comprises que cela nous rend spécialement vulnérables à l’égard de toutes sortes de gens, en particulier à l’égard des prédateurs sexuels.

Pour planter le décor, je dois brièvement vous décrire les conditions dans lesquelles j’ai été élevée. Nous grandissons tous dans des milieux différents, croyant à ce moment-là que nos propres conditions d’existence sont la norme, et que tout le monde connaît une vie de famille similaire. Depuis, j’ai réalisé que cela n’était pas le cas et que la famille dans laquelle j’avais grandi était loin d´être idéale.

Dans le milieu patriarcal où je vivais, les femmes ne jouissaient d’aucune considération. Les décisions étaient prises par les hommes ; les femmes et les filles acceptaient sans broncher que ceux-ci décident ce qui était bon pour elles. Les petits garçons étaient appréciés. Les petites filles atypiques, qui ne rentraient pas dans le moule, ne l’étaient pas.

Les brutalités et le favoritisme étaient manifestes et il n’y avait aucune communication émotionnelle. Compte tenu de mon mode de pensée rigide et logique, j’ai déduit du tableau que j’avais sous les yeux que les femmes ne vivaient que pour servir les hommes, que le but de leur existence était d’obéir aux hommes et d’assouvir tous leurs besoins. Pour obtenir un peu d’amour de la part de mon père, je devais consacrer toute mon énergie à lui faire plaisir. Mes parents étaient malheureux et distants, ils étaient émotionnellement inaccessibles l’un pour l’autre et laissaient leurs enfants tout seuls.

En visite chez un petit camarade, je me souviens d’avoir été très déconcertée de voir ses parents l’embrasser et lui donner des baisers pour lui souhaiter une bonne nuit. Cette scène, qui n’arrivait jamais chez moi, m’a paru très étrange. Durant les premières années de mon adolescence, mes parents ont fini par divorcer. Ma mère m’a généreusement informée que mon père était souvent absent parce qu’il ne m’aimait pas. Il s’agissait probablement du genre de commentaire que pouvait lancer une femme rejetée, noyée dans ses propres souffrances, mais moi, j’ai intériorisé cette petite phrase qui confirmait en toute logique mon propre sentiment d’inutilité et mon besoin de faire plaisir aux autres.

Si ma mère l’a dit, c’est que cela devait être vrai, car les parents avaient toujours raison. Si je voulais être aimée, il fallait que j’obéisse aux règles et que je redouble d’efforts pour être digne d’amour.

J’ai donc travaillé dur à l’école. Mes résultats étaient excellents dans la plupart des branches, mais je n’avais aucun véritable ami. J’étais une intello brimée qui se sentait beaucoup plus en sécurité avec ses manuels d’étude qu’avec les autres étudiants, mais je m’efforçais de masquer tout cela en me montrant bruyante et pétillante, en faisant semblant d’avoir confiance en moi.

Porter un masque, imiter les autres et tenter désespérément de correspondre à ce que l’on attend d’elles sont les caractéristiques des filles qui grandissent avec Asperger. N’ayant aucune idée du comportement à adopter ni aucune connaissance des répliques du jeu social, nous traversons une adolescence agitée, passons pour bizarres et nous sentons perdues et solitaires. La situation est déjà assez difficile pour celles qui sont soutenues et aimées par leurs parents ; elle devient carrément impossible pour celles qui ne le sont pas.

Armée de mes règles pour gagner l’amour et l’approbation, j’ai ensuite découvert un jour que j’étais attirante pour quelqu’un du sexe opposé. C’était excitant et je me suis sentie désirée. Il m’a choisie, m’a prêté attention et a été flatteur. J’ai cru tout ce qu’il m’a dit et j’ai pensé qu’il s’intéressait vraiment à moi.

Les hommes, bien sûr dans ma tête, prenaient les décisions, prenaient les devants et devaient voir leurs besoins satisfaits. Je lui ai donc permis de m’emmener dans sa chambre d’hôtel, lui obéissant passivement pendant qu’il me déshabillait. Je me suis vite sentie dépassée et j’ai voulu que cela cesse. J’ai essayé de le verbaliser, mais je n’ai pas réussi à me faire entendre.

Mes craintes et mes besoins étaient sans importance, et je devais faire ce que l’homme voulait. Je me suis figée, je me suis renfermée et j’ai disparu en moi-même jusqu’à ce que ce soit fini. Je ne me souviens pas beaucoup des conséquences. Quitter la pièce et rentrer chez moi était un peu flou. J’avais quatorze ans.

Je ne me souviens pas avoir ressenti grand-chose après cela pendant un certain temps. C’était un étrange engourdissement. Ce qui s’était passé ne me semblait pas normal, mais il m’a fallu un certain temps pour pouvoir appeler cela un viol. Je n’ai pas eu l’impression que c’était un viol. Je n’avais pas été traînée dans un coin sombre contre ma volonté, ni coincée en criant, comme j’imaginais le viol. Ce ne pouvait pas être un viol parce que je n’avais pas explicitement crié “non !” ou ne l’avais pas repoussé.

Je savais néanmoins qu’au fond de moi, quelque chose n’allait pas. J’étais terrifiée à l’idée que je puisse être enceinte, j’ai raconté à ma mère ce qui s’était passé et on m’a emmenée chez le médecin généraliste pour un test. On n’en a plus parlé et la vie, telle qu’elle était, a continué. Il y avait d’autres petits amis, toujours plus âgés, et par précaution, on m’a mise sous pilule.

Puis un jour, mon beau-père m’a confrontée, me traitant de pute et de menteuse. Il m’a dit que je n’avais pas été violée, qu’il connaissait l’homme que j’avais accusé, et que s’il découvrait mes mensonges, j’aurais de gros problèmes. C’était mon beau-père, il devait donc avoir raison ; je croyais donc que j’étais, en effet, une menteuse. Mes sentiments étaient faux, et il avait raison.

Je n’étais rien, et je n’avais pas d’importance. Alors, la fois suivante où un petit ami m’a forcée, je me suis enfoncée jusqu’à ce que ce soit fini et je n’ai pas pris la peine de le dire à personne. Quel était le but ? Personne ne croirait une allumeuse moi, et je méritais d’être traitée comme ça.

La conformité passive, la recherche d’approbation et l’incapacité à nommer tout type de besoin ont conditionné mon comportement dans toutes mes relations à partir de ce moment.

Trente-trois ans plus tard, j’en sais tellement plus, et ma vie a changé au-delà de toute reconnaissance.

Il est trop tard pour tenter une quelconque justice pénale, car l’un des auteurs est mort et je n’ai aucune idée de l’endroit où se trouvent les autres ; cependant, j’ai des raisons de me justifier. Je comprends que mes réactions physiques et psychologiques à ce type de violence sont reconnues, des réactions justifiées, et que je n’étais pas responsable du mal qui m’a été fait.

À la suite de ces expériences et d’autres encore, j’ai parcouru un long et difficile chemin, allant de crises de panique, à de l’anxiété, jusqu’à la dépression et de l’automutilation. Aujourd’hui, j´en suis arrivée à un stade de ma vie où je comprends beaucoup mieux la vulnérabilité particulière et la confusion sociale que peut provoquer le fait d´être autiste dans un monde neurotypique.

Je suis entourée de personnes bienveillantes, je fais l’expérience d’un amour enrichissant ma vie quotidienne et j’ai pu apprendre à créer des limites sûres pour me protéger des personnes et des situations dangereuses. Je n’ai pas seulement survécu, je m’épanouis maintenant et j’accueille les avantages de l´autisme.

Toutes les femmes et les filles (et les hommes et les personnes non binaires) devraient être à l’abri des prédateurs sexuels, mais il est important de reconnaître que les femmes et les personnes non binaires du spectre peuvent être particulièrement sujettes aux agresseurs, sont souvent considérées comme des cibles faciles et peuvent être très impressionnables.

Elles ont besoin de thérapies efficaces, de soutien, d’éducation et de conseils de personnes aimantes et attentionnées tout au long de leur vie afin de vivre un moment riche et épanouissant sur cette planète neurotypique. Elles méritent et ont besoin d´être protégées.

J’espère que ces moments clés de ma vie pourront s’ajouter au corpus croissant des études qui cherchent à comprendre ce que vivent les femmes et les jeunes filles autistes et jouer un petit rôle dans le changement d’attitude nécessaire pour que nous soyons toutes protégées, que nous nous épanouissions et que nous vivions nos vies au mieux.

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