3 invitations à lire (et voir) de Stella (part. 2)


Invitation à lire #4 « L’Asperger au féminin » de Rudy Simone

Dans mes premières recherches internet sur l’autisme au féminin, Rudy Simone est apparue comme une référence en la matière. Elle témoigne avec énormément de précisions spécifiques à l’expression du syndrome d’Asperger chez les femmes. La lire m’a donc semblé évident.

Notons que ce livre est à prendre dans son contexte sachant que l’auteure est américaine. Les problématiques relatives à l’assurance maladie, à la reconnaissance du handicap, aux mutuelles… ne sont évidemment pas du même acabit que les nôtres, en France.

La préface présente l’ouvrage comme un manuel à destination des professionnels de santé. De prime abord, ce fait m’enchanta moins que l’aspect authentique d’un véritable témoignage. Mais il ne faut pas se fier à ces propos liminaires…

rudy simone asperger au féminin AFFA
Dès l’introduction, j’ai constaté que Rudy Simone explique le Syndrome d’Asperger en s’appuyant sur son histoire personnelle d’autant plus passionnante qu’elle est enrichie de citations de multiples femmes qu’elle a interrogé. Elle agrémente son livre, de conseils pratiques y ajoutant du dynamisme. A ces titres, ce témoignage prend en effet des allures de manuel ou en d’autres termes de « mode d’emploi » de l’autisme au féminin.

« S’il n’y a pas de diagnostic alors il y a un vide, un trou dans lequel il est possible de déverser toutes sortes d’hypothèses et autres étiquettes. » R.S

Le travail de l’auteure s’apparente véritablement à une étude rigoureuse tant il est riche en notions théoriques et en témoignages. Son audace se confronte parfois à un certain idéalisme ; les conseils dispensés n’étant pas toujours évidents à mettre en pratique.
Le plus marquant dans les premières pages est cette volonté de fédérer des femmes autistes tant dans l’idée d’une entraide que d’une meilleure connaissance de l’autisme et d’une transmission aux générations futures. Vous avez entre les mains une véritable ode aux femmes autistes présentées comme spéciales, uniques, intelligentes. Rudy Simone va jusqu’à utiliser l’expression « cadeau du ciel » et parler de « don » !

« Comme le dit Temple, il nous faut travailler avec nos forces et non pas avec nos déficits. » R.S

Le livre passe en revue tous les traits caractéristiques de l’autisme chez les femmes, de leur apparence parfois androgyne et/ou enfantine à leurs difficultés à intégrer la répartition des rôles sociaux en fonction des sexes en passant par leur vulnérabilité face aux personnes mal intentionnées, entre autres…

« Beaucoup d’Aspergirls m’ont confié qu’elles s’étaient retrouvées dans des relations perverses dès le début de leur vie amoureuse. » R.S

Plus que toute autre chose, l’auteure souligne la sensibilité des femmes autistes, qu’elle soit sensorielle, émotionnelle ou psychologique et ses conséquences. Elle développe notamment le sujet des effondrements émotionnels et parle par exemple de la notion de mutisme sélectif. Il s’agit de cette paralysie du cerveau qui survient souvent en situation de malaise social ou de stress intense. Concrètement il se caractérise par une incapacité à parler qui ne fait qu’alimenter un cercle vicieux : moins l’on parle, moins l’on se sent à l’aise et ainsi de suite…

« Petite elle peut paraitre mûre pour son âge mais une fois grande, elle sera plus vulnérable que ses pairs d’un point de vue émotionnel. » R.S

Rudy Simone analyse les répercutions particulières de l’autisme sur les femmes dans tous les domaines : la vie professionnelle, amicale, familiale, affective, sexuelle mais aussi la vieillesse… Elle parle par exemple du décalage entre maturité intellectuelle et maturité émotionnelle avec le lot de difficultés relationnelles que cela peut entrainer. Elle évoque sans tabou, la sexualité. Bien que notre dénominateur commun soit l’hypersensibilité sensorielle, celle-ci mène certaines à proscrire le sexe et d’autres à l’adorer. Pareillement la vie affective peut en être très affectée…

« Nous ressentons tout, nous sentons tout, nous entendons tout… et nous remarquons même des choses que les autres ne remarquent pas. » R.S

Il subsiste deux points sur lesquels j’émets quelques réserves. D’une part Rudy Simone consacre l’un de ses chapitres à la mise en opposition du handicap et du don. A mon sens, le sujet aurait pu être présenté autrement ; ces mots n’étant pas antinomiques. D’autre part, elle fait une hypothèse autour de l’origine de l’autisme mis en corrélation avec le développement de l’intestin. Le sujet intrigue autant qu’il peut laisser sceptique…
A ce stade de mes lectures, ce livre est de loin le plus instructif et exhaustif en matière d’explications sur l’expression de l’autisme chez les femmes. Il m’a aidé à déceler et analyser des détails de ma personnalité, des comportements auxquels je n’avais pas prêté attention ou encore de comprendre les réactions des autres qui si souvent nous valent de nous sentir incomprises et jugées.

« La dichotomie entre notre immaturité affective et notre bon fonctionnement intellectuel, notre esprit logique et discipliné et notre dysfonctionnement exécutif s’avère difficile à comprendre pour les autres. » R.S

En somme, ce manuel vient questionner des thèmes autour de la condition féminine des autistes tels que la féminité, la maternité, la parentalité, la sexualité, l’amour, les relations de genre… et ainsi amorce des réponses qui pourront contribuer à vous guider. Il se finit par des annexes très utiles (un résumé des spécificités de l’autisme au féminin et un récapitulatif des différences homme/femme) tout comme les références bibliographiques. Pour ces raisons, je vous conseille vivement ce livre qui tient du must have.

Invitation à lire #5 « De l’amour en Autistan » de Josef Schovanec

Suite à ma lecture de l’autobiographie de Joseph Schovanec, « Je suis à l’est », j’étais curieuse de poursuivre ma découverte de son style littéraire si particulier. Parmi ses différents ouvrages, « De l’amour en Autistan » a retenu mon attention puisqu’il traite d’une thématique totalement éludée de son premier livre. En effet « Je suis à l’est » est un témoignage assez exhaustif en ce qu’il traite des aléas de l’autisme dans chaque étape d’une vie, mais il exclut totalement la question de l’amour. J’étais donc intriguée de découvrir la manière dont l’auteur mettrait en abyme cette thématique délicate à propos de laquelle il semble peu éloquent dans ses prises de paroles et autres conférences.

De l'amour en Autistan Josef Schovanec AFFA
Mais dès la quatrième de couverture, le lecteur apprend que l’amour en fil conducteur du récit est à entendre avec quelques nuances puisqu’il est abordé en son sens absolu recouvrant davantage les passions dévorantes des protagonistes plutôt que leur vie affective. Ces centres d’intérêt mettent en exergue leurs douances, concourent à leur marginalisation ou leur permettent de réaliser des prouesses artistiques par exemple. Ces préoccupations obsessives et multiformes sont dépeintes avec tant de brio qu’elles estompent la mise au second plan de l’amour avec un grand A. Néanmoins au fil des chapitres, l’auteur dévoile subtilement comment les intérêts restreints des personnages les ont menés vers de belles rencontres humaines voire sentimentales, bien que plus platoniques qu’autre chose.

L’auteur habitué à la rédaction d’écrits qui tiennent plutôt de l’essai, magnifie celui-ci avec de véritables qualités de romancier. En partant de fragments de vie de personnes autistes qui gravitent autour de lui, il délivre un texte passionnant où chaque personnage s’exprime à tour de rôle d’un chapitre à l’autre. Les aventures se croisent, hétéroclites bien qu’ayant le même dénominateur commun, à savoir le spectre autistique. Josef Schovanec parvient à incarner toutes ses personnalités si singulières de son habile plume et polymorphe. Plus qu’une succession d’anecdotes biographiques, les pages plongent le lecteur dans un univers qui tient du romanesque. Une agréable surprise donnant à ce partage d’expériences, une dimension esthétique unique.

La syntaxe demeure complexe et l’usage des mots pointilleux pour le plus grand plaisir des amateurs de verve originale. De fait, ce récit se lit d’autant plus rapidement que l’écriture est délicieuse. Je vous le conseille vivement mais préférentiellement après que vous ayez lu « Je suis à l’est » qui contextualise l’esprit et le parcours atypique de l’auteur ; un préalable pour savourer davantage « De l’amour en Autistan ».

Invitation à voir « Temple Grandin » un film de Mick Jackson

Impossible de rester indifférent lorsque l’on voit une photo de Temple Grandin ; cette femme à l’allure de cowboy dont l’expression si spéciale vous fera peut-être écho. En effet, Temple est autiste ; ce biopic trace son histoire de sa naissance (1947) aux années 80.

temple grandin affa téléfilm

Tout l’intérêt du film est d’observer comment ses spécificités lui ont permis de casser les codes et ainsi proposer des inventions révolutionnaires. Temple apporte un regard sans nul autre pareil sur ce qu’elle observe, faisant d’elle, un être avant-gardiste avec le lot de scepticismes et de critiques que cela peut provoquer avant d’obtenir la reconnaissance méritée (encore plus en raison de l’époque et de sa condition de femme).

« Tu vois le monde comme personne ne le voit. »

Temple n’a pas de filtre, pas de théorie de l’esprit, pas de compréhension du second degré, ni de reconnaissance des expressions faciales. Sur la plan sensoriel, le contact physique et les nuisances sonores l’insupportent tandis qu’elle mange des aliments très restreints. De surcroît, elle s’intéresse à des détails étranges et voit tout sous un ange inédit ; une de ses particularités étant de photographier et retenir tout ce qu’elle regarde.

« Je vois des images et je les assemble. »

Persécutée, moquée, rejetée et victime de nombreuses injustices, elle passera toujours outre tant par ferveur pour son intérêt spécifique qu’en raison du soutien indéfectible de sa mère. Chaque épreuve est pour elle une porte qui lui permet de découvrir un nouveau monde. Ultrasensible et impulsive, elle inventera notamment un concept unique pour répondre à ses crises autistiques.

« Il suffit d’un rien pour quelle explose. »

Sa passion est née au fil des étés passés chez sa tante à s’occuper du bétail. Elle n’aura alors de cesse de réfléchir à des méthodes, des organisations et des architectures à même de favoriser un traitement respectueux et optimisé des vaches. Elle axera alors ses travaux d’étude universitaire en ce sens. Le film vous livre toutes les péripéties, les réussites et les expériences de cette femme hors du commun.
L’actrice qui incarne Temple n’est autre que Claire Danes que vous avez peut-être vu dans « Roméo + Juliette » de Baz Luhrmann ou la série « Homeland ». Son interprétation est tout simplement, stupéfiante ! J’ose à peine imaginer à quel point il doit être ardu de se mettre dans la peau d’une personne autiste si atypique sans la singer.

L’actrice excelle dans sa performance aussi crédible qu’émouvante, tout à l’honneur de Temple Grandin.
Je vous conseille de voir ce film dont les vibrations très positives ne peuvent qu’encourager toutes les femmes autistes à révéler l’étendue de leurs potentialités. Attention néanmoins aux plus sensibles : quelques images sur la maltraitance animale sont difficiles à soutenir. Pour ma part, ce visionnage m’a donné envie d’aller plus loin en lisant les livres de Temple Grandin.

Stella

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