« Pourquoi t’es-tu laissée faire ? » : témoignage de Claire, autiste, sur 4 violeurs et un violent


La commission des lois de l’Assemblée nationale s’est réunie le 7 mai afin de débattre sur des propositions d’amendements au projet de loi contre les violences sexistes et sexuelles.
Marlène Schiappa, secrétaire d’État chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, a recontextualisé le projet de loi en précisant : « Le but de la loi est de ne laisser aucune situation sans réponse »
Cette nouvelle loi va-t-elle prendre en compte les personnes les plus vulnérables, notamment ces personnes autistes mineures ou majeures dont le fonctionnement autistique
en fait des proies de choix pour un agresseur ?
Ou va-t-elle être insuffisante et continuer à abandonner ces victimes violées en toute impunité ?
Des propositions d’amendements ont été proposées afin que les personnes autistes, notamment les enfants et les femmes, subissant des violences en établissement sanitaire ou médico-social ne soient plus victime du silence institutionnel.

 Quatre violeurs et un violent

Je tiens à m’excuser auprès des lecteurs pour la violence et le cynisme de ce texte. Ces propos ne ciblent que les personnes qui ont commis les actes ici décrits, et non les hommes justes et bons.

Claire*, membre de l’AFFA

Quatre violeurs et un violent. De ces quatre personnes, une seule fut condamnée par la Justice. Il est mort en prison, aussi puis-je donner un prénom, George-à-langue-fourchue.

La partie de pêche

George (le 1er violeur) a violé une dizaine d’enfants, et mis enceintes ses propres filles. Cela étant un peu trop voyant, il a pris vingt ans de prison au terme d’un juste procès, dans les années 2000. Dans mon cas, il m’avait invitée à une partie de pêche, en bon grand-père. Profitant de ce que j’eus les deux mains prises par la canne pour explorer mon corps enfantin, il glissa une autre canne dans mes mains, en insistant avec les siennes sur les seins naissants, le sexe et les fesses. J’ignorais alors que l’acte était interdit, ne me souvenant que d’une expérience sensoriellement désagréable, comme peuvent l’être des centaines d’autres, telles qu’une douche trop froide, un plat d’épinards, ou toucher de la rouille ; toutes ces expériences dont on me répétait sans cesse qu’il fallait les accepter pour ne pas être « une chochotte ».

Le  gueulosaure

Mon bourreau sur le plus long terme (le 2ème violeur) fut mon propre beau-père, surnommé « gueulosaure » en privé. Il avait de qui tenir, puisque son propre père, le gargueulosaure, violait ses petits-enfants dans son garage en utilisant un préservatif, avant de préciser que « là-dedans (le préservatif usagé), il y a plein de petits frères et plein de petites sœurs ». Ce qui était idiot, puisque des enfants de lui n’auraient faits ni mes frères ni mes sœurs juridiquement parlant.

Si le père gargueulosaure-gresque (en référence à son côté ogresque) n’a presque jamais été inquiété par la justice, les raisons en sont, comme souvent, liées au pouvoir et à l’argent. Il était le seul à amener un salaire conséquent au domicile. Son épouse, fille d’immigrés polonais, vivait sous sa loi. Ainsi s’établit une loi du silence, que nul n’a jamais brisée. Il travaillait dans une mine du Pas-de-Calais. À leur fermeture, ce grand croque-mitaine moustachu, voix éraillée d’avoir trop clopé, reçut une forte somme. Je l’ai toujours connu riche et retraité, régnant en tyran sur sa maison froide, carrelée de blanc. Une maison tout métal et formica. Sur les derniers temps, je tombais malade peu avant d’arriver chez lui, vomissant dans les toilettes de l’entrée après ma descente de voiture.

Le gueulosaure adore lui aussi les espaces de carrelage blanc, les poignées de porte rondes en métal et… son petit jardin taillé au cordeau, pelouse rase, deux-trois fruizélégumes pour l’utilité, sans la moindre cachette.  Gargueulosaure et gueulosaure sont devenus grands experts en esclavagisation, non-seulement des femmes qui les entourent, mais d’une façon générale, de ceux qu’ils considèrent comme inférieurs, animaux compris. Autant dire que femme et handicapée revenait à écoper d’une double peine. Je n’ai jamais été diagnostiquée comme autiste dans l’enfance. J’étais la fille timide, « chochotte » et dans son monde, celle qui aimait dessiner et se cacher.

 

Par derrière

Le gueulosaure entra dans ma vie vers mes cinq ans.

Il était redoutablement intelligent et sournois, peut-être dois-je ma survie au fait d’avoir appris à l’être davantage que lui, d’avoir préservé mon centre d’intérêt comme un jardin secret. De sa manière de changer en esclave, je puis dire qu’il commença par m’ôter tout droit à exprimer ce que je pense ou ressens, forçant à lui su… ssurer des mots doux du type « je vais te faire jouir mon salaud », faute de quoi, le coup de trique en retour, lui, serait dur-dur ! Il ne passait jamais devant. « Par derrière » entre aussi dans la définition du viol selon la loi, mais laisse moins de traces, et il le savait parfaitement. Longtemps, je me suis demandée si fréquenter un expert en réduction d’autrui vous change vous aussi en monstre, par un phénomène, pour ainsi dire, de contamination. Il n’a cessé de me répéter qu’il était le seul à m’aimer. J’avais bien du mal à comprendre le sens de ce terme, et doute de ne jamais y parvenir.

Envisager d’avoir des enfants un jour est impossible, ayant été par trop imprégnée de la torture, bien trop rabaissée, comment pourrais-je jamais en élever ?

 

La phrase assassine

Le plus difficile ne fut pas de survivre à ces années d’inceste, mais bien de les comprendre, et de résister aux phrases assassines. L’une de ces phrases assassines résonne encore : « Pourquoi t’es-tu laissée faire » ? Sous-entendu, si l’on ne se débat pas durant quinze années d’inceste, c’est que l’on consentirait à la chose. Nombre de gens ont dans l’esprit une vision populaire d’une victime de viol se débattant de toutes ses forces pour échapper à son bourreau. Ce que j’ai expérimenté s’apparenterait plutôt à une dissociation entre l’esprit et le corps. Le gueulosaure pouvait disposer à loisir de mon corps, mais je naviguais entre de vagues pensées d’ailleurs, entre des mots qui me libéraient ou charriaient une émotion particulière. Quelque part, être autiste m’a tout à la fois précipitée dans cette situation, et fourni les armes pour que l’on puisse certes posséder mon corps, mais non mon âme.

 

Que les psychanalystes se rassurent, j’étais autiste avant d’être violée

Dès la naissance, mes « anormalités » en matière d’alimentation et de motricité étaient évidentes ; dès le premier jour d’école maternelle, j’ai bien failli en être exclue. Et plus de trente années durant, j’ai ignoré que l’image-type d’une Lisbeth Salander mutilant son bourreau dans les romans et les films Millenium ne relève que du cinéma, tout comme celle de la personne qui se débat alors qu’elle se noie. Mais je l’ai intériorisée, au point d’apprendre six techniques d’autodéfense à l’arme blanche, bien inutiles en raison de ma maladresse, pour le cas où la menace du viol planerait à nouveau.

 

Le troisième violeur fut un vieil homme qui m’hébergea alors que j’avais perdu mon domicile. Le quatrième profita d’une configuration similaire.

Le seul homme avec lequel j’ai vécu, par volonté de conformismemal placée bien plus que par conviction, finit par me frapper après que je lui aie avoué ne pas savoir si j’étais ou non amoureuse de lui.

Je ne peux dormir sous le même toit qu’un homme seul sans fixer la porte de ma chambre dans l’angoisse qu’elle s’ouvre. Et les seuls hommes qui ne génèrent pas chez moi de peur me fuient. Peut-être dans la mesure où ce qui me ronge de l’intérieur demeure par trop évident.

Le gueulosaure est, à ce jour, libre, et non-condamné.

* Le prénom a été modifié afin de préserver l’anonymat
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