Les enfants en situation de handicap sont jusqu’à cinq fois plus exposés aux violences sexuelles que les autres. Dépendance, silence imposé, absence d’outils de communication adaptée : cette vulnérabilité n’est pas une fatalité mais le résultat de défaillances collectives. Dans ce discours prononcé lors du colloque de la CIIVISE, Marie Rabatel appelle à rompre le déni et à garantir enfin la protection et la dignité de tous les enfants.
« ENFANTS EN SITUATION DE HANDICAP ET VIOLENCES SEXUELLES : PROTECTION ET DIGNITÉ, UN IMPÉRATIF COLLECTIF »
Discours de Marie Rabatel, lors du colloque de la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (CIIVISE) – 03 Décembre 2025 – Ministère des solidarités et de santé
« Aujourd’hui, et ce depuis 1992, le 03 Décembre est la journée internationale des droits des personnes handicapées. Elle vise à promouvoir les droits et le bien-être des personnes handicapées dans toutes les sphères de la société et du développement et à accroître la sensibilisation à leur situation particulière dans tous les aspects de la vie politique, sociale, économique et culturelle.
On parle souvent de textes, de lois, de dispositifs, d’échecs ou d’avancées.
Mais aujourd’hui, je parlerai d’abord… des enfants.
De ceux qu’on voit trop peu.
De ceux qu’on entend rarement.
De ceux que notre société laisse dans l’ombre.
Léa, 12 ans, a un handicap moteur. Elle a très peu d’autonomie dans ses soins corporels et a appris à obéir sans discuter. Ses regards ou ses gestes de malaise sont interprétés comme des caprices. Elle ne peut pas dire « non », car personne ne lui a appris que c’était son droit.
Théo, 10 ans, non oralisant, ne dispose d’aucun outil de communication adapté. Lorsqu’il manifeste son inconfort ou sa peur, il est qualifié de « difficile » ou de « perturbateur ». Ses signaux passent inaperçus. On le mettra même sous traitement pour limiter ses troubles du comportement.
Sofia, 8 ans, a une trisomie 21 et un retard de langage. Elle vit en internat dans un établissement médico-social, où la vie en collectivité rend difficile le respect de son intimité et de ses limites personnelles. Chaque soin, chaque geste intrusif est normalisé. Elle ne sait pas que certains contacts peuvent être inappropriés. On lui a appris à accepter ce que font les adultes plutôt qu’à décider pour elle-même.
Maxime, 11 ans, autiste, dont la parole est peu valorisée, est rarement écouté. Quand il exprime un refus, on lui impose de se conformer aux routines. Sa capacité à signaler un danger est affaiblie par un environnement qui décourage l’expression de sa volonté.
Enfin, Anaïs, 9 ans, aveugle de naissance. Par manque d’accessibilité, elle n’apparaît pas dans les enquêtes, les études ou les outils de recueil de données. Elle est statistiquement invisible. Et ce qui n’existe pas dans les données n’existe pas dans les politiques publiques.
Ces enfants ne sont pas des cas isolés. Ils illustrent ce que les conventions internationales dénoncent depuis des années : une exposition accrue des enfants handicapés à la discrimination, aux violences institutionnelles, aux violences sexuelles et à la négligence, amplifiée par la dépendance, l’invisibilisation et l’apprentissage de la soumission.
La protection de tous les enfants contre les violences sexuelles constitue une obligation fondamentale des États parties. La Convention relative aux droits de l’enfant (CIDE) ratifié par la France le 07 Aout 1990 et la Convention relative aux droits des personnes handicapées ( CRDPH) des Nations Unies ratifié par la France le 20 Mars 2010 , définissent les normes que les États doivent respecter pour garantir un environnement sûr, protecteur et inclusif, où la dignité et la participation de chaque enfant sont pleinement respectées. La CIDE, notamment dans ses articles 19 et 34, impose aux États de prendre toutes les mesures appropriées pour prévenir et sanctionner les violences, soutenir les enfants victimes et garantir des mécanismes de protection accessibles. Elle affirme aussi le droit de chaque enfant à être entendu et compris.
La CRDPH, dans ses articles 7, 16 et 21, renforce ces obligations pour les enfants en situation de handicap. Elle rappelle leur droit à une protection égale, à des services adaptés et à des moyens de communication accessibles, y compris pour les enfants non oralisants. La CRDPH éclaire également la question de la protection des lanceurs d’alerte qui exige aux États parties, de mettre en place des mécanismes efficaces de signalement.
Aussi, elle rappelle que les enfants handicapés doivent pouvoir s’exprimer à travers les modes de communication qui leur conviennent, ce qui implique aussi de reconnaître et soutenir les facilitateurs de communication, comme ceux capables de relayer et sécuriser la parole de ces enfants victimes.
Elle rappelle aussi qu’aucun enfant ne doit être exposé à un risque de violences du seul fait de son handicap.
Pourtant, la réalité montre un écart alarmant entre les obligations internationales et les pratiques
institutionnelles
Le premier facteur de vulnérabilité est la société elle-même : on pourrait même appeler une société en déni : une société qui refuse de voir, d’entendre et de savoir. Une société qui normalise l’inacceptable et invisibilise les enfants handicapés, alors qu’ils sont jusqu’à cinq fois plus victimes de violences sexuelles que les autres enfants.
» Une société qui refuse de voir, d’entendre et de savoir. Une société qui normalise l’inacceptable…. »
À ce jour, beaucoup d’enfants handicapés grandissent dans un environnement fondé sur la conformité plutôt que sur le respect de leurs droits. Socialisés dans un modèle d’obéissance et de soumission, leur pouvoir décisionnel est souvent limité, voire nié.
Leur dépendance pour les soins, l’hygiène ou la mobilité crée un déséquilibre de pouvoir propice aux violences. Ce déséquilibre est renforcé par la banalisation des gestes intrusifs, qui rend difficile pour l’enfant de reconnaître ou de signaler une situation de violence. Les compétences nécessaires pour exercer leur autodétermination, exprimer un refus ou identifier un danger ne leur sont peu transmises. Dans une culture institutionnelle où la soumission est normalisée et où les signaux de détresse sont interprétés comme de simples troubles du comportement, le silence s’installe. Et, avec lui, l’impunité…
À cela s’ajoute l’absence d’une éducation inclusive à la vie affective, relationnelle, corporelle et sexuelle, adaptée aux besoins de ces enfants. Comment pourraient-ils reconnaître une situation de violence si les notions de consentement, d’intégrité ou de limites corporelles ne leur ont jamais été enseignées ? Le silence, là où l’éducation devrait protéger, devient un terrain fertile pour les violences.
Cette vulnérabilité est un processus systémique, ancré dans les structures sociales, institutionnelles et parfois familiales. Elle ne relève pas d’une malveillance intentionnelle, mais d’un manque structurel de formation, de ressources et de soutien, un manquement aux obligations de prévention selon les Nations Unies.
Un autre facteur fragilise ces enfants : l’absence de soutien aux familles, la précarité et l’inaccessibilité des services essentiels. Beaucoup d’enfants sont institutionnalisés non par danger familial, mais faute d’accompagnement adapté, en contradiction directe avec l’obligation internationale de soutenir la vie familiale.
Comme l’a rappelé Mme Devandas, Rapporteuse spéciale de l’ONU lors de sa visite en France en 2018, cette situation augmente les risques de violations des droits humains.
La discrimination structurelle aggrave encore les choses. Le prolongement des placements prévu par l’amendement Creton maintient des adultes handicapés dans des établissements accueillant des mineurs, alors que la loi française interdit strictement la cohabitation entre mineurs et adultes, pour des raisons évidentes ! Cette exception viole les principes de non-discrimination et d’égalité de protection, encontradiction avec la CIDE et la CRDPH, et, au delà de la discrimination, elle expose ces enfants à des risques de violence supplémentaires.
Je le rappelle : Aucun enfant ne doit être exposé à un risque de violences du seul fait de son handicap
Un dernier point avant de rendre le micro : l’invisibilisation statistique : nombre d’enfants handicapés restent absents des enquêtes, études et dispositifs de collecte de données, faute de méthodologies inclusives et d’outils de communication adaptés. Ceux qui n’oralisent pas ne sont pas reconnus comme des acteurs de leur propre parole. Cette invisibilité empêche des politiques publiques efficaces et viole leur droit à la participation et à la protection fondée sur l’égalité, comme le mentionne la CRDPH.
Face à ces exemples, et en cette journée internationale des personnes handicapées, j’appelle à un sursaut de conscience : reconnaître notre responsabilité collective pour que plus jamais un enfant en situation de handicap ne soit rendu vulnérable par les défaillances de la société censée le protéger, et mettre fin à toute pratique institutionnelle qui banalise l’inacceptable.
J’appelle à regarder enfin les enfants en situation de handicap à la hauteur des droits que la CRDPH leur garantit :
non pas comme des êtres à adapter, mais comme des sujets de droits que notre société doit cesser d’ignorer, de minimiser ou d’invisibiliser .
Je vous remercie.
Marie Rabatel »

