Marylène – Diagnostic de syndrome d’Asperger en 2015


Aujourd’hui je vis bien mon diagnostic, j’ai trouvé mon équilibre.

La première phase, celle de l’attente de diagnostic et longtemps après, a été un véritable tsunami. J’étais en formation d’éduc, et j’ai commencé à ne plus pouvoir faire face à mes engagements, je n’ai pas terminé mon dernier stage car l’anxiété était à son comble. La relecture de mon passé à la lumière de ce diagnostic a été bouleversante. Malgré moi, j’en voulais à tous ceux – parents, profs ou médecins – qui n’avaient jamais rien vu de mes difficultés. J’étais en colère de devoir affronter tout ceci seule, je voyais toutes les erreurs, les échecs et les problèmes que j’aurais pu éviter si seulement quelqu’un m’avait prévenue. Pire, je savais désormais que quelle que soit l’ardeur que je pouvais mettre à m’adapter, je n’allais pas “guérir”. En conséquence de quoi j’ai fait un burn out, pendant lequel je n’étais plus capable de rien : me lever, m’habiller, avoir des relations, faire mes papiers… Rien ne suivait. Je suis tombée dans un état d’hébétude paralysante. Je passais mes journées à regarder le plafond.

C’est comme si mon cerveau avait grillé, littéralement hors service. Je me sentais trahie par mon corps et ma tête, qui ne répondaient plus, et moins j’étais capable, plus j’étais terrorisée par l’avenir :  Et si je continue éternellement à faire des dépressions tous les quatre matins ? Et si je ne suis plus capable de travailler à temps plein, voire plus du tout ? Qu’est-ce qui va me définir, qu’est-ce que j’apporterai au monde ? Comment envisager une vie de famille, une vie amoureuse ? Comment soutenir les regards lourds de mon entourage pour qui le travail est une valeur fondamentale ? Et si vous faiblissez, vous êtes un parasite… C’est peut-être un peu à cause d’eux que j’en suis arrivée là. Et j’avais été si longtemps la folle de service…

Oui, car dans leurs conceptions, tout ce qui dépasse du moule est honteux. Je sais aujourd’hui qu’ils ont tort, et je peux même m’enorgueillir un peu d’avoir “choqué” ces honnêtes gens, c’est-à-dire d’avoir bousculé leurs principes et leurs certitudes confortables. Oui, mais à l’époque, je ne le voyais pas et je voulais mourir.

C’était une idée fixe, comme le point et la virgule entre deux pensées. “Je veux mourir”. Une chose m’a contenue, comme un providentiel fil d’araignée qui me retenait de sombrer dans cette crevasse. Une promesse, faite des années plus tôt aux deux seuls êtres qui comptaient. J’avais juré de protéger mes cadets, et de les aider à se construire une vie malgré le carnage qui nous entourait. Non seulement je n’avais pas le droit d’en finir, mais j’avais plutôt intérêt à me sortir de cette impasse. Je devais – et je dois encore – leur ouvrir la voie.

Je savais, au fond, qu’une seule chose allait me sortir de là : le temps. Mon cerveau avait grillé, soit, mais je soupçonnais déjà ses capacités de résilience. Un peu de lecture, de stimulation, de sport et de méditation, comme je pouvais – c’est-à-dire vraiment pas grand chose… Beaucoup de patience, et peu à peu, j’ai repris des couleurs. Un semblant de force. Il était alors temps de quitter Grenoble, qui n’avait plus à m’offrir que de mauvais souvenirs, et de rejoindre mon copain à Dijon.

De là, je suis allée de petit boulot en petit boulot, j’ai bien galéré, menant en parallèle bilan de compétences et recherche d’un avenir. Mais je n’étais plus la même, j’avais perdu le feu sacré du travail social, j’étais en rage contre tout et tout le monde, j’avais peur de tout et de tout le monde. Heureusement, mon couple était un refuge, et mon homme par son naturel imperturbable me calmait.

Peu à peu, cependant, je revenais à moi. Il aura fallu deux à trois ans pour que tout ceci soit derrière moi. Je ne suis jamais redevenue “comme avant”, tout cela a modifié en profondeur ma personnalité et mes attentes dans la vie. Je ne fais plus “semblant” socialement, même si j’ai aujourd’hui retrouvé un minimum de vie sociale, je ne prétends pas être quelqu’un d’autre. L’avantage, c’est que cela fait le tri dans les relations, les gens que cela dérange, je les prends presqu’en pitié dans leur petitesse. Ils sont souvent eux-mêmes plus empêtrés que moi dans leurs conceptions étriquées.

Je suis agréablement surprise, car plus je me fiche la paix, plus j’attire des gens qui me correspondent, et montrent une ouverture qui me bouleverse. Même en usine j’ai trouvé des perles ! Surtout en usine, même.

Cette année, nous nous sommes installés en région parisienne, j’ai pu passer le permis et entrer en formation de gestionnaire de paie dans la foulée, en CRP. Outre l’intérêt porté à ce boulot, il me permettra de travailler dans un environnement plus serein, et éventuellement de faire du télétravail, ou si besoin un temps partiel avec un salaire suffisant pour que ça aille. J’ai des projets, j’ai retrouvé des centres d’intérêts. Je suis très heureuse. Nous envisageons même d’être parents.

Je suis émue quand je repense à cette période d’horreur, c’était peut-être une étape nécessaire finalement. C’est comme si mon cerveau s’était rebellé un bon coup pour m’empêcher de continuer sur la mauvaise route…

www.pdf24.org    Send article as PDF