3 invitations à lire de Stella (partie 1)


Invitation à lire #1 « Je suis né un jour bleu » de Daniel Tammet

Une de mes premières questions lorsque j’ai appris, à l’âge de trente ans, que je n’étais pas la seule à vivre ce monde avec un tel décalage, à savoir, au travers du prisme de l’autisme, fut la suivante :

Comment vivent et s’en sortent (ou pas ?!) les autres autistes ?

Lire des témoignages fut alors une source précieuse de réponses où les situations concrètes évoquées me firent écho. Au-delà de réponses, j’y ai trouvé beaucoup de réconfort, découvrant que d’autres aussi, ont été envahis par des sur-sollicitations sensorielles, perdus et/ou empruntés en société…

Ma randonnée livresque au pays de l’autisme a commencé par « Je suis né un jour bleu », l’autobiographie de Daniel Tammet. Ce personnage hors norme m’intriguait tant, avec son air venu d’ailleurs et ses petites lunettes rondes ! En effet, cet autiste savant a qui plus est été touché par l’épilepsie pendant son enfance. Et pour ajouter à sa liste de particularités, Daniel présente une synesthésie :

« Il s’agit d’une confusion neurologique des sens, très rare, le plus souvent la capacité de voir les lettres et/ou les nombres en couleur. » D.T

Dans ce premier livre qui fut d’ailleurs un succès international, il conte son parcours d’une enfance différente à une vie d’adultes aux multiples défis, des plus anodins aux plus surhumains, au sens propre du terme ! D’une part, apprendre à se repérer dans son quartier relève pour lui d’une virée en plein jungle. D’autre part, il a été capable d’apprendre une langue en quatre jours et de décliner des milliers de décimales de π, en quelques heures, par exemple.

Son témoignage très facile à lire, démontre qu’il est possible de trouver l’équilibre à la fois en s’organisant autour de ses spécificités tout en sachant aussi dépasser ses limites. J’aime particulièrement cette phrase du livre qui résume parfaitement cette idée :

« Je me sentais ivre à la pensée que tous mes efforts loin d’être vains, m’avaient emmené au-delà de mes rêves les plus fous. » D.T

Bien qu’être autiste se conjugue souvent avec une peur viscérale d’affronter la nouveauté, c’est aussi être capable de s’investir dans des passions qui sont un véritable moteur pour surmonter des appréhensions et aller à la rencontre de l’autre.

Au fil de son histoire, les décalages qu’il évoque vous parleront sans doute : Daniel s’ennuie des banalités qu’échangent les gens. Il préfère les palindromes et l’invention de combinaisons linguistiques !

Jamais à l’aise, jamais en sécurité, jamais à sa place, il parle parfois d’une traite pour se débarrasser du message qu’il doit transmettre. Et bien qu’il soit si doué dans certains domaines, il n’a aucun sens de l’orientation. Il a eu besoin d’un temps fou pour apprendre à lacer ses chaussures ou encore à déterminer sa droite de sa gauche. Quant à faire du vélo, sans doute y a-t-il renoncé !

Concernant ses intérêts spécifiques, enfant, Daniel avait des lubies tels que les livres « Monsieur Madame » avec ses petits personnages colorés et triés par caractère, sa collection volumineuse de marrons, ses tournois d’échecs mais certainement pas de jouer à la balle, dont il avait d’ailleurs peur.

Cette spécificité autistique, de se donner entièrement à une passion, fut l’essence même de son énergie pour aller au bout de lui-même, tant en performances, en relations sociales que dans sa vie amoureuse. Daniel a eu la force de partir à la découverte d’autrui par le voyage, souvent seul, ce que je trouve particulièrement épatant. Il s’est aussi exposé courageusement au monde en réalisant des prouesses intellectuelles, en participant à des recherches sur son cerveau, en donnant des interviews et en acceptant d’être le sujet d’un reportage.

Pour tous ces messages positifs, j’ai trouvé très enthousiasmante, la lecture de ce livre qui, sans sous-estimer les obstacles de ce monde, démontre qu’il est possible de s’y créer une place, en tant qu’autiste. En somme, la neuro-atypie devrait davantage être considérée sous l’angle des forces que cela offre que des faiblesses qui ne sont qu’une résultante d’un monde façonné à partir du moule neurotypique.

 

 

Invitation à lire #2 « La fille pas sympa » de Julia March

« La fille pas sympa » de Julia March est un témoignage incontournable à lire notamment si vous vous découvrez autiste sur le tard. Elle m’a plongé dans ses abysses dès ses premiers mots. Cette immersion fut intense et prenante de telle sorte que je lu l’ouvrage presque d’une traite, en apnée.

Julia est l’étrange ainée d’une fratrie de trois. Son histoire fut semée de ruptures et de changements au gré d’un père aussi tyrannique que violent et d’une mère sous emprise. Pour ajouter une cerise sur cet amer gâteau, la famille fut sous l’influence des témoins de Jéhovah.

Le témoignage débute par une préface de Julie Dachez, d’une éloquence sans pareil. Concise et percutante, vous y toucherez l’essentiel à comprendre de l’autisme au féminin.

Ensuite, l’émotion et l’humour sarcastique des premières lignes de Julia March me mirent d’emblée dans le bain de ce – dès lors – familier autisme au féminin. La plume de l’auteur est fluide et facile à lire de sorte qu’elle nous emporte dans ses péripéties en commençant par l’annonce de son diagnostic qu’elle décrit ensuite ainsi :

« Ce fut comme si, soudain, toutes ces années de souffrance et d’incompréhension s’étaient retrouvées reliées par un fil conducteur, comme si tous ces épisodes de ma vie avaient, enfin, une explication. » J.M

Puis l’auteur nous déroule toute son épopée avant de mettre un nom sur ce qu’elle est. L’ignorance de son autisme l’a inéluctablement entrainé dans un périple de tribulations parfois tragiques, d’autres fois glorieuses, qui vous tiendra en haleine :

« En grandissant, je m’étais sans cesse heurtée à l’incompréhension des autres ; j’avais eu l’impression d’être un monstre qu’on aurait laissé en liberté parmi les êtres humains. » J.M

Bien que son parcours soit fort atypique au-delà du Trouble du Spectre Autistique, vous retrouvez sans doute votre reflet dans les eaux troubles de sa jeunesse :

  • Le lien fort avec les animaux
  • Le harcèlement scolaire
  • La fatigue chronique liée à la socialisation
  • Le sentiment permanent de danger
  • Les intérêts restreints dont les collections et la lecture
  • L’automutilation précoce
  • Les amitiés fortes mais rares et singulières
  • Le mutisme face aux sentiments
  • La difficulté à se projeter dans une vie professionnelle
  • […]

De pages en pages, Julia expose et dissèque toutes ses particularités qui pourront vous accompagner dans la compréhension des vôtres. Par exemple, elle parle de l’apparence sereine émanant d’elle alors qu’elle était terrifiée en permanence. Et ajoute quelques pages plus loin :

« Je vivais intensément à l’intérieur et platement à l’extérieur. » J.M

Avec ces quelques mots, tout est pourtant dit. L’auteur délivre avec une grande justesse, l’ambivalence troublante résumant souvent notre quotidien d’autiste.

Ce généreux partage d’expérience si précis et étoffé où Julia nous conte sans artifice, le cœur de sa vie privée et de ses pensées ; est un précieux écueil d’informations tant pour les autistes que leurs proches. Evidemment, je pense plus particulièrement à celles qui s’apprennent autistes sur le tard et relisent dès lors leur passé d’un autre œil pour mieux construire leur avenir. Cette lecture d’une sincérité touchante emportée par une narration rythmée vous sera fort enrichissante !

 

 

Invitation à lire #3 « Je suis à l’Est ! » de Josef Schovanec

Lorsque l’on s’intéresse à l’autisme, lire Josef Schovanec, doctorant en philosophie, amoureux des langues, conférencier et auteur (la liste est encore longue…) : c’est une évidence !

A la période où j’ai commencé à me documenter sur le syndrome d’Asperger, j’ai découvert avec étonnement une des conférences de ce personnage étrange qui piétinait sur place compulsivement tandis que le speaker en faisait l’éloge avec un flot de louanges à s’en noyer. Comment cet homme qui avait l’air terrorisé d’être sur scène pouvait être l’orateur que dépeignait le présentateur ? L’écart était saisissant, que dis-je, déstabilisant, assez évidemment pour attiser ma curiosité. Puis, il prit la parole et plus jamais je ne pus me passer de ses mots quitte à dévorer toutes ses allocutions.

En quelque sorte, Josef Schovanec m’a tenu la main dans toutes les étapes qui m’ont menées jusqu’à mon diagnostic. A chaque fois que je perdais ma contenance face à l’inéluctable sentence qui m’attendait avec tout le trouble que cela peut semer dans une vie, les mots de l’auteur me faisait reprendre espoir. Son humour, sa subtilité et son originalité donnent une perspective toute particulière aux analyses qu’il dispense sur la nature humaine, le handicap, l’inclusion sociale…

Alors forcément, après l’avoir tant vu et entendu, il me fallait le lire. Parmi ses ouvrages, j’ai choisi « Je suis à l’Est ! » car il se présente tel un témoignage ; ce dont je suis friande, tant par intérêt pour le personnage que par nécessité de connaître d’autres autistes pour mieux me cerner moi-même.

Autant vous le dire d’emblée, l’écriture de Josef Schovanec est à l’image de son parlé : des réflexions pointues, des mots recherchés, des phrases parfois joliment alambiquées. Il s’agit d’une lecture sur laquelle on s’arrête à chaque paragraphe pour bien en savourer toute l’intelligence.

Mais venons-en aux faits ! Dans ce livre, l’auteur nous conte son parcours de jeune autiste qui s’ignore, tout d’abord sous le prisme de sa scolarité chaotique. D’ailleurs le système scolaire en prend un sacré coup, sans doute le retour de bâton de celui qui fut souffre-douleur. Enfant, Josef était en total décalage, apprenant à marcher et à parler tardivement et très maladroitement. Il sera le bouc émissaire attitré et le cancre savant ; intelligent et pourtant exclu puisqu’il n’entre pas dans le jeu social et met toujours le doigts sur les défaillances de ses professeurs. Là où les enfants de son âge meurent d’envie de se retrouver à la rentrée, il ne rêve que de s’enfermer dans un placard, au sens propre !

« J’étais toutefois, malgré ces monologues, à la même époque quasiment inapte au discours social, celui qui crée des liens et, plus fondamentalement, fait passer son auteur pour humain et sain d’esprit. » J.S

L’auteur jongle entre double sens, jeux de mots et ce avec une ironie incomparable. Quant à son cynisme de haut niveau, il en use en s’amusant du sens souvent infondé des codes sociaux, de la bienséance, des convenances sociales tout comme du caractère arbitraire, standardisé et souvent contradictoire de la scolarité. Il évoque par exemple, le fait que l’école incite ardemment les enfants à lire et pourtant réprimande celui qui le fait trop, aux dépends de sa socialisation.

Il poursuit son autobiographie au fil de son passage aux études supérieures. S’il y a bien un endroit où un autiste se sent encore plus autiste qu’il ne l’est, c’est là où il faut manier l’hypocrisie, jouer de son réseau, passer maître en l’art du paraitre ; l’auteur a nommé : Science Po ! Dans cette galaxie dont il ne maitrise pas la langue, son sentiment d’anormalité le fera chuter aux confins d’une descente aux enfers faite de camisoles chimiques et de psychanalyses douteuses.

« Le fait d’être handicapé est précisément de ne pas cadrer avec le moule ; avec aucun moule. » J.S

Après les études, il s’attaque à l’épineux sujet de la méconnaissance de l’autisme par ceux qui devraient pourtant en maitriser les contours : les médecins et tout le système de santé d’ailleurs. Cela l’emmène ensuite tout naturellement à mettre en évidence, les caractéristiques de l’autisme dont par exemple l’acuité pour les détails et la richesse du monde intérieur :

« Parfois on dit que les personnes avec autisme ne vivent pas dans un univers mais dans un « plurivers », pour rendre la quantité de détails qu’ils perçoivent, les idées et sensations qui leur sont évoquées. » J.S

A nouveau, l’auteur fait preuve d’un absurde poussé à son paroxysme pour le plus grand plaisir du lecteur. Toutes les quelques pages, le fou rire prenait possession de moi face aux situations tragico-comiques qu’il décrit. Sans conteste, Josef Schovanec est expert en l’art de rire du pire. Aussi, il sait piquer à vif avec une forme de politesse de prime abord rendant encore plus acerbe, la critique qui s’en suit.

Nous arrivons ensuite à la question (et pas des moindres) de l’insertion professionnelle des personnes autistes. L’auteur s’est confronté à toutes les barrières imaginables en la matière ; son étrange accent autant que son lent débit, son apparence qui dénote, son vocabulaire en décalage, en passant par l’absence de son contact visuel et en finissant par son extrême difficulté à « se vendre » donnent à l’exercice, des tournures d’exploit.

Enfin, l’auteur aborde son investissement associatif parti d’une simple participation à des « cafés rencontres » à l’envolée vertigineuse de ses interventions télévisuelles. Je salue à ce titre, son honnêteté désarmante et préventive. Elle a le mérite de mettre en garde toute personne qui souhaiterait, dirais-je, presque innocemment, donner de son énergie au milieu associatif. Tout n’y est pas d’une bienveillance digne des Bisounours comme une Aspergirl au pays des licornes telle que moi, aurait pu le croire. L’auteur nous confie l’envers du décor mais je ne vous en dis pas plus…

Pour conclure cet article, l’essentiel à retenir de ce livre tient à mon avis en ces trois bonnes raisons de le découvrir :

  1. Son caractère assez exhaustif ; le livre traitant de la scolarité, la vie professionnelle, le diagnostic, les principales caractéristiques de l’autisme entre autres.
  2. Son écriture subtile et cynique au service d’un sens critique très instructif.
  3. Ses conseils avertis notamment sur le milieu associatif et les liens utiles pour obtenir des renseignements et du soutien.

Stella

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Commentaire sur “3 invitations à lire de Stella (partie 1)

  • Olivr

    Je conseille à toutes et à tous de se méfier comme de la peste du milieu associatif au sens large du terme : cela vaut dans le domaine de l’autisme comme dans les autres (hormis peut-être la protection animale). La plupart des associations sont de micro partis politiques : c’est dire si l’on peut s’y fier…