L’autisme à l’épreuve de la protection de l’enfance


Article rédigé le 10 juin 2019 par l’AFFA

« L’autisme à l’épreuve de la protection de l’enfance«  est un texte rédigé par N., ancienne assistante sociale chargée d’évaluer les Informations Préoccupantes (IP).

Elle a tenu à garder son anonymat, car étant encore en exercice, le fait de décrire certains dysfonctionnements pourraient l’empêcher d’être embauchée ailleurs.

Ce texte vise à donner des pistes de réflexion sur le constat d’Informations préoccupantes, signalements, placements d’enfants autistes dont le danger ou risque de danger au sein de sa famille n’est pas avéré.

Ce texte est repris sous forme d’articles dans son blog : TSA – Travailleur Social Atterré

En voici une description

Introduction

N. commence par définir la notion de placement abusif : placer un enfant qui ne serait ni en danger ni en risque de l’être dans un foyer ou une famille d’accueil, pour l’éloigner de sa famille.

Puis elle décrit les circuits pouvant conduire les services sociaux à considérer l’enfant autiste comme “en danger” dans sa propre famille : circuit par un suivi de secteur ou circuit par une Information Préoccupante (IP).

Elle conclut par un constat : les rapports suite à une évaluation d’IP/un suivi de secteur sont à charge contre les familles.

Elle propose ensuite des pistes de réflexion : les spécificités de l’autisme déroutent les travailleurs sociaux (TS) ; le contenu des IP est alarmant de par leur origine institutionnelle ; les travailleurs sociaux ne disposent en aucun cas de formation nécessaire pour aborder l’autisme de façon adéquate.

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Contexte autistique

Un système qui ne prend pas en compte les fonctionnements atypiques

Les évaluations de danger se font par rapport à la norme sociale :

Plus un enfant s’en éloigne [de la norme sociale], plus il apparaît comme en situation de danger relatif. Danger de ne pas trouver sa place, de ne pas pouvoir, plus tard, s’insérer dans la société, de ne pas trouver de travail, de ne pas pouvoir lui-même éduquer ses enfants correctement….

Un enfant autiste ne correspond pas aux attentes sociétales : pour les TS, cette distance par rapport à la norme risque de compromettre son devenir. Les TS vont se poser la question : Les parents sont-ils en capacité d’accompagner l’enfant à la mise en oeuvre d’actions permettant de gommer ou d’atténuer la distance à la norme ?

Si l’enfant a un diagnostic et reconnaissance de la MDPH, les attentes des TS sont la mise en place de la prise en charge préconisée pour l’enfant, dont les parents ne peuvent remettre en cause la pertinence sans se rendre suspect de défaut de soin. (…) le parent n’est pas considéré comme compétent dans la préconisation de prise en charge nécessaire.

Un mode de communication différent

N. reprend la définition de l’autisme selon le DSM5 et décrit des signes de fonctionnement autistique qui viennent mettre à mal l’attente, chez le travailleur social, d’un échange “classique”, tel qu’il peut en avoir avec la plupart des familles (…) difficulté à regarder dans les yeux son interlocuteur,  regard trop fixe car forcé ; expressions du visages inexistantes ou au contraire exagérées ; voix monocorde ; parler trop fort/trop doucement ; pauvreté dans les gestes accompagnant la parole ;  ton parfois sec, qui peut passer pour autoritaire, pédant ou abrupt ;  difficulté à intégrer le bavardage social ;  franchise surprenante, avec une absence de filtre social…

Puis rappelle que dans le cadre d’une évaluation d’IP, le TS prêtera d’autant plus attention, à tout signe possible de “dysfonctionnement” social et/ou familial, tant chez le(s) parent(s) que chez l’enfant.

Elle décrit ensuite le « fossé » entre les attentes des TS et le comportement de parents autistes, leur relation avec l’enfant :

  • Attente du TS que le parent alimente l’échange et ne se contente pas uniquement de répondre aux questions posées : attente non « décodée » par un parent autiste.
  • Communication chargée d’implicite du TS, sans jamais nommer les problèmes repérés, les attentes de changement dans l’éducation de l’enfant : non « décodée » par un parent autiste.
  • parent autiste perçu  comme froid, en retrait, n’entrant pas réellement en communication avec son interlocuteur, ou encore comme indifférent à la situation
  • interactions avec l’enfant peuvent sembler froides, distantes, inadaptées par rapport à la norme attendue.

Puis conclut : Chacun des acteurs est condamné à l’incompréhension de l’autre partie, et l’ensemble de ces incompréhensions amène à l’inquiétude quant au bien-être de l’enfant et aux capacités parentales.

Des compétences parentales inattendues

Du fait de retard de diagnostic, de pros de 1ère ligne non formés à l’autisme, le parent devient spécialiste : il cherche de lui-même, et finit par développer ses connaissances en troubles divers. Il entre dans un processus de cheminement, de prise de conscience et de recherche de solutions.

Elle décrit ensuite ce qui attend un parent voulant entreprendre un bilan diagnostic pour son enfant. délai d’attente dans les CRA débordés, CMP et CMPP inefficaces et tournés vers la psychanalyse, idées reçues des proches, incrédulité générale, voilà ce qu’il lui faut affronter. Le contexte français, oblige le parent confronté à l’autisme, à être autodidacte.

Elle mentionne que cette expertise surprend, déstabilise, voire dérange, le travailleur social : D’habitude, l’expert, c’est lui.

Ce parent ayant mobilisé compétences et ressources pour son enfant peut être décrédibilisé par un travailleur social car cela s’est fait en dehors du cadre de référence institutionnel (école, CMPP, médecin traitant,  pédiatre,  pro de PMI…).

Aucun de ces acteurs n’auraient détecté ou évoqué un probable autisme ? Difficile à croire pour l’assistante sociale, puisque c’est ceux vers qui elle se tourne au quotidien, pour étayer sa pratique professionnelle d’une expertise pluridisciplinaire. Difficile d’accepter soudain, que l’ensemble de ses partenaires soient incompétents dans un domaine particulier, car s’ils le sont en matière d’autisme, le sont-ils également dans d’autres champs ? Ce serait remettre en cause l’ensemble de sa pratique professionnelle, dont l’une des missions est d’orienter le public vers des services compétents.

Si ce parent est soutenu par un travailleur social, on lui renverra qu’il est hors de son domaine de compétence, puisque le repérage de l’autisme est du domaine médical. Il y a de fortes chances, qu’il se décrédibilise lui, au regard de sa hiérarchie, et/ou de ses collègues (…)il ne fait pas bon, contredire l’institution, lorsqu’on est l’un de ses exécutants.

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L’origine des Informations Préoccupantes

 Le milieu scolaire

N. explique pourquoi un enfant autiste (diagnostiqué) peut devenir révélateur d’une forme d’incompétence, et représente à ce titre un danger : manque d’AESH ou AESH mutualisées, classes surchargées, enseignant non formé. L’existence de deux systèmes d’éducation séparés a pour conséquence que l’enseignant en difficulté avec un élève handicapé pense logiquement que la place de ce dernier est en milieu “spécialisé”, et non pas ordinaire . Ces enfants font alors plus l’objet de préoccupations, d’échanges négatifs avec les parents, et sont ciblés par des Informations Préoccupantes, plus encore si les parents s’entêtent à préférer une scolarisation ordinaire contre l’avis de l’équipe éducative.

Si l’enfant n’a pas de diagnostic, les troubles du comportements engendrés par un environnement non adapté montrent à l’instituteur que l’enfant “va mal” sans qu’il puisse en comprendre la raison. Les autres enfants supportant correctement cet environnement, celui-ci n’est donc pas remis en cause. Et si le mal-être de l’enfant ne vient pas de l’école, il vient peut-être du milieu familial, peuvent penser de nombreux enseignants.

Elle explique que ces troubles du comportement sans explication médicale, suivis d’une déscolarisation, ont de grandes chances d’aboutir à une IP, dans laquelle tous les problèmes repérés sont listés : le dossier paraît forcément à charge contre la famille, qui n’a pas su améliorer les comportements et/ou le bien-être de l’enfant dont il a la responsabilité.

Phobie scolaire

Dans les théories psychanalytiques très développées dans le milieu enseignant, psychologique, on relie bien souvent, la phobie scolaire à une angoisse de séparation de l’enfant vis à vis de sa mère (…) l’enfant refuse l’école, qui viendrait s’interposer entre lui et le cocon familial. La faute reviendrait donc à la mère, qui doit accepter la séparation, renoncer à une relation fusionnelle mère-enfant, pour permettre l’autonomie. L’une des solutions proposées est l’hospitalisation de l’enfant en service psychiatrique : il est de fait, éloigné du parent néfaste et peut apprendre à s’en détacher.

Elle souligne qu’un enfant autiste séparé de sa mère ne changera en rien son problème de phobie relié à un manque d’aménagements à l’école : lorsqu’il y retournera, ses difficultés seront donc toujours bien présentes. Pourtant, à ce stade plutôt que de s’interroger sur les causes de l’échec du “traitement”proposé, on continue la plupart du temps à mettre en cause la famille. (…) La voie vers l’Information Préoccupante est alors toute tracée.

Le risque de placement est à ce moment-là bien réel car l’enfant présente souvent des signes d’alerte de danger du fait de ses déscolarisations successives, de son estime de lui détériorée, de ses parents angoissés ; et aussi parce que, selon l’Institution, l’enfant refuse la séparation avec la famille (interprétation de la phobie scolaire) : un éloignement ponctuel n’ayant pas suffi à autonomiser suffisamment l’enfant, il est peut-être souhaitable, de l’extraire à long terme du milieu familial, et c’est bien la solution proposée par le placement.

Les suivis en centres sanitaires et médico-sociaux

N. reprend les résultats de l’enquête « Autisme : quel suivi en CMP, CMPP, CAMSP, hôpitaux de jour ? » menée en mars 2019 par un collectif d’usagers.

Les résultats montrent une prise en charge ne permettant aucune évolution de l’enfant, communication culpabilisante envers les familles, voire même refus de
prise en compte du diagnostic. 

Exemples de commentaires d’usagers lors de l’enquête

Ce constat amène des familles à remettre en question ce suivi, ou s’orienter vers d’autres types de suivi, notamment en libéral : leur opposition peut déclencher des menaces d’Information Préoccupante : quitter le CMPP serait mettre son enfant en danger, en refusant la proposition institutionnelle, alors même que celle-ci s’avère délétère.

Ces centres étant des partenaires réguliers des services sociaux, le parent est d’emblée perçu comme non collaborant, voire fuyant.

N. mentionne ensuite le lien de soumission des services sociaux au centre sanitaire/médico-social dont les professionnels (…) transmettent leurs inquiétudes dans l’attente d’une réaction en accord avec leurs observations. Aussi, le dossier est définitivement à charge contre les parents, qui paraissent comme inconscients du danger encouru par l’enfant qu’ils mettent en défaut de soin.

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Une formation qui interroge

Une formation à l’autisme globalement contestable

N. part du résultat d’un audit, réalisé en 2015 par le ministère des solidarités, sur le contenu dédié à l’autisme dans les diplômes d’éducateur spécialisé, éducateur jeunes enfants, moniteur éducateur et Aide médico-psychologique : le bilan fait état d’une incohérence entre des contenus de formation conformes et non conformes avec les recommandations de la HAS (autisme présenté comme une psychose infantile) au sein d’un même établissement.

N. souligne le fait que ces formations sont dispensées en 2015 et se pose la question concernant des professionnels actuellement en exercice et qui ont suivi ces formations dans les 40  années précédentes, où les recommandations de la HAS n’existaient pas. Comment les travailleurs sociaux, et leurs éventuels partenaires du champ médical, auraient-ils pu, dans ces conditions, acquérir un socle de connaissances satisfaisant en matière d’autisme ?

Le socle de connaissance de l’assistante sociale

N. mentionne le fait que depuis quelques années, les formations au métier d’assistante sociale intègrent l’autisme. Mais elle constate que le référentiel de formation indique clairement : “Principales théories psychologiques, initiation à la théorie psychanalytique” dans le chapitre consacré à l’UF6.

De plus, N. interpelle sur le fait que, dans des cours recueillis en mars 2019 auprès d’étudiantes et de professionnelles en exercice dans 5 écoles différentes, le développement affectif est intégralement abordé sous l’angle des théories freudiennes, sans aucune alternative ou remise en question. (…) [la future assistante sociale] est donc implicitement formée à rechercher, devant toute interrogation quant au fonctionnement de l’enfant, un dysfonctionnement d’origine familiale, en particulier entre la mère et l’enfant.

Concernant la formation continue, N. souligne l’absence de formation en matière d’autisme.

Les références en matière de maltraitance

Concernant les maltraitances, N. constate plusieurs auteurs incontournables dans toute formation du travail social :

  • le psychanalyste Spitz, concernant  l’hospitalisme : pour désigner les carences affectives graves subies par des enfants vivant pourtant dans le milieu familial : on parle alors d’hospitalisme à domicile ou intrafamilial ;
  • le psychanalyste Bowlby, concernant l’attachement mère-enfant, avec des formes d’attachement « négatives » provoquées par une relation mère/enfant toxique. N. précise que les signes décrits pour repérer ces formes d’attachement négatives sont également des signes que l’on retrouve dans le fonctionnement autistique

Étant donné que de nombreux comportements infantiles enseignées comme étant des signes de maltraitance et de carences affectives graves, peuvent, en dehors de tout dysfonctionnement des relations intrafamiliales, se retrouver chez un enfant autiste, N. s’interroge : Sur les 8 300 enfants séparés de leur famille [dans le département du Nord] pour carences affectives et éducatives, combien pourraient être concernés par l’autisme ? Quel serait enfin ce chiffre, ramené à la France entière ? 

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Conclusion

N. fait le bilan que le seul fait qu’un enfant ait un fonctionnement atypique constitue, pour un travailleur social, un danger, dans la mesure où l’ensemble du système de protection de l’enfance se montre inadapté à ces fonctionnements.

Elle avance quelques propositions :

  • formation des travailleurs sociaux chargés d’évaluer les IP ;
  • création d’un module complémentaire pour permettre l’évaluation des IP conçue et validée entre autres par des associations de parents, des professionnels reconnus dans le champ de l’autisme et des travailleurs sociaux connaissant les réalités du terrain de l’évaluation des Informations Préoccupantes ;
  • présenter les théories psychanalytiques dans les contenus de formation comme uniquement un repère historique ;
  • évaluation au cas par cas des enfants placés pour carences affectives/éducatives, afin de détecter d’éventuels troubles pouvant avoir été confondus avec des signes de maltraitance ;
  • création d’un « guide de l’Information Préoccupante » à remettre à chaque famille concernée afin que celle-ci puisse en comprendre les enjeux.

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6 commentaires sur “L’autisme à l’épreuve de la protection de l’enfance

  • F68.10

    Ce rapport est précieux. De multiples points du rapport montrent que les institutions et leur découpage des tâches et responsabilités sont les causes d’un prisme intellectuel à travers lequel l’autisme et la maltraitance en général est perçue. On retombe dans l’éternel débat: comment mettre en place des évaluations scientifiques des politiques publiques telles que le processus des informations préoccupantes?

    Enfin, je vais prêcher pour ma paroisse, car le cas Rachel est mentionné dans ce rapport: ce n’est pas parce que Rachel a été accusée d’un diagnostic infamant que ce diagnostic n’est pas indexé sur une réalité. Et là encore, c’est la même question qu’au paragraphe précédent qui se repose.

    Mais bon, quoiqu’on pense du gouvernement actuel, quand j’entends Sophie Cluzel mettre de temps à autre les pieds dans le plat, j’ai l’impression que c’est le seul gouvernement qui a l’intention de remettre de l’ordre dans ce système en commençant à mettre au pas les délires freudiens…

    • F68.10

      Quand j’écris « ce diagnostic […] est […] indexé sur une réalité », je ne faisais pas référence à Rachel, mais simplement au fait qu’il y a une réalité occultée sur le concept des maltraitances médicales, et ces maltraitances médicales peuvent occasionnellement provenir de la famille quand le contexte s’y prête.

  • Valérie Laffitte

    Je suis tellement désolée que la singularité soit suspecte alors qu’en cherchant des solutions ensemble pour vivre ensemble dans un environnement vivable pour tout le monde, toutes les différences seraient une richesse, les familles seraient unies et surtout les gens plus heureux…

  • Kaczmarek

    Bonjour, je suis maman qu’un petit garçon de 6ans Autiste
    J’ai acellement un contrôle des travailleurs sociaux du crip, hier j’ai appris part la travailleuse sociale que nous allons être convoqué au juge des affaires familiaux, elle me reproche de ne pas avoir justifier 4 absence à l’école.
    En début d’année j’ai prévenus la directrice que mon fils prenait un traitement à la mélatonine car il la des difficultés à s’endormir j’ai fourni un papier du médecin traitant, et l’hôpital de jour m’a suivi pendant nos rencontres avec l’école, nous avons donc décidé de le faire rentrer cette année en ulis
    La personne du Crip à vue mon fils Autiste 5min elle les parties car il fessais trop de bruit pour continuer notre discussion
    Aujourd’hui je me retrouve avec une future convocation devant le juge des affaires familiaux
    Je voulais savoir si j’avais un recours avocat attention médical aide pour la protection des personnes handicapées
    J’ai vraiment peur qu’il place mon enfant
    Merci pour votre réponse