Interview avec Cos Michael : l’autisme chez les femmes âgées


 

Network Autism 13 janvier 2016 – Article original : Interview with Cos Michael: autism and older women
Traduction et transcription de l’interview filmé : Marie Blesbois, membre de l’AFFA

Cos est consultante en freelance, écrivain et formatrice ainsi que porte-parole de l’autisme.

Elle est consultante sur un projet intitulé “the Autism Spectrum, Adulthood and Ageing project Research team”, un projet d’une équipe de recherche qui se concentre sur le vieillissement des personnes autistes. Cette équipe est basée à l’Université de Newcastle au Royaume-Uni. Cos est aussi membre du “Science Advisory Group” au sein de l’association anglaise Autistica.

Cos Michael a accepté d’être interviewée pour le site Network Autism lors de sa participation à la Conférence de la NAS (National Autistic Society ) sur les femmes et les filles autistes, qui a eu lieu en septembre 2016.

Network Autism a posé à Cos une série de questions : vous pouvez voir l’intégralité de l’interview filmé (anglais non-sous-titré) dans ce lien.

Cliquez sur l’image pour afficher la vidéo

    1.  Pouvez-vous nous en dire plus au sujet de votre travail actuel ?

Peu après mon diagnostic d’autisme, j’ai rejoins la NAS afin d’y amorcer un flux de travail ayant pour thème le passage au troisième âge chez les autistes. J’y suis restée quelques années puis j’ai décidé de me lancer en free-lance, de façon indépendante. Désormais je travaille au sein de divers projets tels que l’étude intitulée “The Adult ageing Autism Cohort”, la Cohorte des Adultes Autistes du troisième âge (basée en Grande-Bretagne). J’y tiens le rôle de conseillère. J’écris aussi pour un site web et je suis également formatrice.

   2.  La ménopause chez les femmes autistes est un domaine qui a été largement négligé jusqu’à présent. Pourquoi selon vous ?

Historiquement, la recherche sur l’autisme s’est focalisée sur les hommes, les garçons en fait. Donc quand des femmes ont commencé à être diagnostiquées, c’était en tant que petites filles. Personne n’a encore fait la déduction que les filles deviennent femmes et que les femmes subissent la ménopause. Et ce parce que les hommes n’ont pas la ménopause et que la recherche est toujours centrée sur le profil masculin. Il faut que l’on reconnaisse que les femmes diffèrent des hommes du point de vue de la santé et du mode de vie.

La ménopause n’a pas fait l’objet d’une seule recherche. Je n’ai même jamais entendu qui que ce soit se demander pourquoi devrait-on faire de la recherche à ce sujet. Par conséquent les femmes autistes âgées sont totalement invisibles et négligées.

Il n’y a pas de fonds en place pour permettre d’éventuelles recherches. Je n’ai jamais vu de plan de recherche au sujet de l’autisme et de la ménopause et je pense que c’est un véritable désastre pour ces femmes.

   3.  Comment percevez-vous les changements d’ordre physique et émotionnels lors de la ménopause et quel est leur impact sur les    femmes autistes ?

Nous n’avons pas de connaissances quant à la façon dont la ménopause peut impacter et changer physiquement et émotionnellement les femmes autistes. Encore une fois, aucune recherche n’a été menée jusqu’à présent. Pourtant de nombreux points me semblent préoccupants.

L’un d’eux est l’ostéoporose : après la ménopause, la densité osseuse tends à s’affiner chez les femmes. L’une des causes selon nous serait l’usage des SSRI*, les inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine, un type d’anti-dépresseurs. Etant donné que la dépression fait partie des principales comorbités de l’Autisme, beaucoup de ces femmes auront passé des années sous ce type de traitement. Donc je m’inquiète que cela puisse affecter leur prédisposition à l’ostéoporose post-ménopause.

Un autre domaine me préoccupe : celui du vieillissement en général et ce que j’ai pu en lire.

Les traits autistiques tendraient à être moins notables en vieillissant. C’est probablement lié au fait que ces personnes finissent par s’habituer à cette façon d’être et de vivre, alors ils deviennent plus à l’aise et en accord avec eux-mêmes. Du moins c’est ce que j’espère.

Car j’ai entendu, de la part de nombreuses femmes autistes, que des différences physiologiques de fonctionnement dues à la ménopause chez toutes les femmes, autistes ou non, ne s’atténueraient pas suite à la phase de ménopause.

De fait, les femmes autistes me disent parfois: “Mon métabolisme s’est ralenti de façon significative lors du passage à la ménopause, mais suite à celle-ci, les choses ne sont pas revenues à la normale.” Et cela me préoccupe beaucoup.

Encore une fois il n’y a eu aucune recherche, aucun intérêt pour la recherche, par conséquent ce sont là des on-dit mais sans recherches sur ce sujet nous ne saurons jamais ce qu’il en est vraiment.

Donc voilà, c’est un appel à l’aide, afin que des personnes financent la recherche et que d’autres se portent volontaires pour pouvoir rassembler les fonds nécessaires à la mise en place d’études.

   4.  Quels sont les points clés en terme de besoins chez les femmes autistes âgées ?

Je pense que pour les femmes les plus âgées, les points clés en matière de besoin concernent chaque sphère de leur vie. Que ce soit du côté social ou physique, de l’aide à la santé mentale, émotionnelle, aux besoins sensoriels. A l’heure actuelle on sait que les personnes âgées ont davantage tendance à souffrir de dépression et d’anxiété. Est-ce qu’une prise de médicaments est la seule réponse à cela ? Peut-être pourrions-nous orienter les choses de manière plus thérapeutique : si ces personnes n’étaient pas si isolées socialement, elles pourraient avoir la possibilité de se tourner vers des interlocuteurs lorsqu’elles sont angoissées. Elles souffriraient alors moins d’épisodes anxieux.

Les personnes âgées sont également vulnérables, d’autant plus en tant que femme vivant seule et isolée socialement. Elles sont vulnérables et physiquement et émotionnellement.

Une autre nécessité est la pratique d’exercice physique, car celui-ci augmente les niveaux de sérotonine dans le cerveau. Tout le monde sait cela. Mais où donc les personnes âgées (particulièrement les femmes seules) peuvent-elles maintenir leur forme physique ?

De plus il se peut qu’elles aient des difficultés à s’insérer au sein d’un groupe. L’exercice physique est bon pour maintenir la forme physique et mentale.

D’autres besoins sont à satisfaire en matière de qualité de vie, d’entretien du logement, de soins, d’assistance…Tous ces domaines affectent ces femmes âgées. Un autre thème qui requerrait plus d’attention, et ce pour toute personne âgée, particulièrement celles qui sont seules, c’est la perte d’un proche. Il arrive fréquemment que ce soient des parents encore plus âgés qui subviennent à tous les besoins des personnes autistes vieillissantes. Si ce ou ces parents meurent, ce qui est malheureusement inévitable, tout risque de devenir difficile à gérer.

Où ces personnes âgées pourront-elles obtenir le soutien dont elles nécessitent au quotidien ?

Comment pourront-elles parvenir au maintien de leur indépendance ?

Car si leurs parents décèdent, cela pourrait aussi aboutir à la perte de leur logement.

Et quelle est leur statut par rapport aux aides financières et aides concernant la précarité ?

Ces personnes âgées, particulièrement les femmes, sont-elles capables d’accéder aux services sociaux ? Sachant qu’elles ne sont pas connues de ces services, et que la plupart ne comptabilisent pas les personnes autistes. Ils ne savent pas précisément combien de personnes autistes occupent leur secteur.

Ensuite vient l’accès aux services liés à la santé mentale. Là encore, ces personnes ne sont pas dénombrées. Et quand elles le sont, ce n’est pas en raison de leur autisme.

Donc oui, ces personnes nécessitent de l’aide, bien plus qu’on ne pourrait l’envisager au premier abord.

   5.  Quel conseil donneriez-vous aux professionnels qui travaillent auprès de femmes âgées autistes ?

Il me semble que le meilleur des conseils à leur donner serait de demander à ces femmes quels sont leurs besoins. Car personne ne le fait. Il faudrait qu’ils se positionnent en tant que médiateurs afin d’aider ces femmes à formuler clairement leurs besoins. La plupart ont passé leur vie sans que ne leur soit posé cette question. Elles n’en ont donc jamais pu envisager de réponse.

En résumé, ces professionnels devraient considérer les choses d’une façon globale, holistique : il faut qu’ils deviennent réellement conscients de ce qu’est l’autisme. Ils doivent probablement penser qu’il le sont déjà du fait d’avoir pris connaissance de l’autisme dans un contexte pédiatrique, mais nous grandissons, nous changeons, nos besoins changent ainsi que nos vies. Et si vous placiez un spécialiste des enfants avec autisme au sein d’un service de gériatrie, en se disant qu’il est spécialiste en la matière, les personnes âgées autistes le remettraient sûrement à sa place.

Nous ne sommes pas différentes des autres personnes âgées et nous avons besoin de professionnels qui intègrent ce que nous sommes et qui nous sommes, à ce stade précis de notre vie. Nos besoins d’ordre sensoriel ont changé, nos besoins physiques ont changé. Nous souffrons exactement des mêmes altérations de santé physique et mentale que toutes les personnes âgées. Nous avons besoins de professionnels spécialisés dans l’arthrite, le diabète, la cardiologie, l’épilepsie…Nous avons besoin de professionnels qui interviennent dans les hôpitaux et maisons de retraites.

Nous voulons que l’ensemble de ces professions connaissent la nature des besoins des femmes âgées et autistes.

*Selective Serotonin Reuptake Inhibitor

Cos a aussi écrit un article pour Network Autism en lien avec la session de la conférence sur les femmes et filles autistes ; « Autism, ageing and women: not invisible, just ignored » (Autisme, vieillissement et femmes : pas invisible, juste ignoré)

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3 commentaires sur “Interview avec Cos Michael : l’autisme chez les femmes âgées

  • Fortier Line-Marie

    Merci. J’ai 70ans et il m’a été diagnostiqué un TSA. Tout en me déclarant cela , le psy m’a dit que c’était trop tard pour avoir une aide ( médicale ou autre) Il était étonné que j’ai pu travailler avec des enfants de maternelle. Que je me suis occupée-mal- de mes parents vieillissants. Cet entretien a eu lieu à la suite d’un examen de l’IRSA ou on proposait un bilan mémoire et neurologie en général, à l’hopital. J’ai expliqué pourquoi je prenais des neurleptiques depuis toute jeune (30ans). C’est tout ce qu’il sera fait pour moi qui n’a jamais pu apprendre à conduire, entre autres. Je suis TRES FATIGUEE, comme si j’avais 15ans de plus, assez isolée, seul le fait de venir d’un milieu aisé m’a aidé et m’aide encore quoique devant des papiers, dans les banques etc…je me sens démunie et me suis fait « avoir ». Je ne vois pas mon avenir bien agréable. Cela ne se sent pas je crois mais j’éprouve une REELLE COLERE CONTRE CETTE SOCIETE FRANCAISE.

    • Isabelle DENIS

      Dommage Line-Marie que je ne vois votre commentaire que 4 ans après sa publication … à date anniversaire quasiment : je vous écris tout de même car, mère d’un grand fils diagnostiqué autiste sans déficience intellectuelle à 21 ans, je pense fortement, à bientôt 65 ans, être moi-même porteuse de cette « différence invisible » et votre témoignage quand à votre fatigue anormale et votre colère vis à vis d’une société française aveugle et indifférente à cette problématique de la femme autiste âgée fait écho à mon propre vécu. Je vous souhaite d’avoir tout de même fini par trouver une association ou un groupe un peu plus « motivé » pour relever le défi de faire évoluer les mentalités. J’ajoute que je prends ma retraite d’ici un an après avoir « assuré » 25 ans d’éducation nationale dans l’invisibilité la plus complète de ma particularité. J’ai juste bifurqué vers le statut de remplaçante à un moment où m’intégrer à une équipe adulte me devenait trop pénible …alors que le contact avec les jeunes enfants est naturel et heureux -avec de la fatigue à la clé toutefois- J’ai eu droit à plusieurs périodes de « dépression », d’états « ébrieux » sans que les examens physiologiques divers ne donnent une explication satisfaisante. J’attribuais cela à des problèmes relationnels de ma vie personnelle : je pense maintenant que le facteur principal était un « débordement » continu autant cognitif qu’émotionnel.