L’amitié, une gestion délicate pour les femmes autistes


Liz Pellicano, Felicity Sedgewick pour Spectrumnews, 16 mai 2017
Article original : Friendships pose unique challenges for women on the spectrum

 

Pour la plupart des adultes, avoir des amis est essentiel au bonheur. Plus les liens amicaux sont forts, plus une personne est susceptible d’être heureuse, et même en meilleure santé (1, 2).

De nombreuses personnes autistes ont du mal à se faire des amis et à les garder. Ce qui est à l’origine d’un mythe selon lequel elles ne souhaitent pas avoir d’amis (3). En réalité, elles aspirent à l’amitié comme n’importe qui d’autre. Mais elles se heurtent à des difficultés pour se faire des amis et les garder.

Les femmes autistes, en particulier, peuvent avoir du mal à interpréter les subtilités sociales qu’implique l’amitié (4, 5, 6).

Notre recherche révèle qu’elles éprouvent des difficultés à réagir à un conflit social, à comprendre les sous-entendus amoureux et à faire face à l’anxiété sociale. Il nous faut développer des interventions pour les préparer à ces défis.

L’essentiel de ce que nous connaissons sur l’amitié en autisme provient d’études sur des enfants dont les amitiés sont bien moins complexes que chez les adultes. Les rares travaux étudiant les relations d’adultes autistes concernent avant tout des hommes.

Nous avons cherché à comprendre de quelle manière les femmes autistes diffèrent des femmes neurotypiques quant aux difficultés qu’elles rencontrent pour nouer et conserver des amitiés et à la satisfaction qu’elles tirent de ces relations. Cette compréhension devrait permettre d’élaborer des stratégies particulières afin d’aider ces jeunes filles et ces femmes à mieux gérer leurs relations sociales.

 

Espace sûr

Nous avons interviewé 15 femmes autistes et 15 femmes neurotypiques, âgées de 20 à 40 ans et vivant en Angleterre, sur l’amitié et d’autres relations. Nos résultats n’ont pas été publiés. Ces femmes font partie d’une étude plus large sur les expériences sociales des jeunes filles et des femmes présentant des traits autistiques.

Nous avons posé des questions ouvertes telles que: « Comment choisissez-vous vos amis? » et « Qu’est-ce qui est important pour vous en matière d’amitié? »

Nous avons constaté que les femmes autistes ont tendance à considérer l’amitié de la même manière que les femmes neurotypiques. Elles apprécient la possibilité de partager leurs pensées et leurs émotions avec des amis: « Je peux tout leur dire et ils écoutent ». Elles sont heureuses du soutien qu’apporte cette amitié. « Elle m’aide toujours beaucoup ou je l’aide toujours beaucoup », témoignait l’une d’elles. Elles apprécient aussi la liberté « d’être soi-même » dans une relation et disent que l’amitié offre « un espace sûr ».

Cependant, nous avons identifié d’importantes différences. Alors que les femmes neurotypiques ont tendance à avoir de nombreux amis, les femmes autistes ont un nombre limité d’amis très proches. Parfois, ces amitiés profondes s’apparentent à de la « passion », nous a dit une femme. « Mes amis occupent toutes mes pensées », témoignait-elle.

Les femmes sur le spectre autistique diffèrent aussi de leurs semblables neurotypiques quant à la manière dont elles réagissent à des actes d’agression sociale tels que les commérages ou le rejet brutal par un ami. Nombre de ces femmes éprouvent alors une anxiété sociale qui les amène à limiter leurs contacts.

Cette anxiété peut affecter la manière dont ces femmes aborderont toutes leurs interactions sociales, qu’elles appréhendent ou non un conflit. Par exemple, une femme expliquait qu’à cause de cette anxiété, il lui fallait écourter toutes les interactions avec d’autres. A la longue, cela peut affecter les amitiés.

Nous avons constaté que les femmes autistes utilisent davantage internet pour entretenir leurs liens amicaux que ne le font les femmes neurotypiques. Certaines femmes semblent maintenir le contact avec leurs amis presque exclusivement par courriel. « Ma vie sociale se résume en grande partie à internet », nous a dit une femme.

 

Relations amoureuses

Les femmes autistes interrogées ont fait état de relations amoureuses d’une longueur et d’une profondeur similaires à celles des femmes neurotypiques, affirmant qu’il s’agissait des amitiés les plus importantes de leur vie. « Mon mari est devenu ma relation particulière », confiait une femme autiste. « Je ne peux pas dire que j’ai des amis en dehors de mon compagnon », témoignait une autre.

Une femme disait des partenaires amoureux qu’ils apportent des amis « clé en main » parce qu’ils ou elles viennent avec leur propre réseau social. Faire siens les amis de son partenaire peut diminuer le stress et l’anxiété de se faire de nouveaux amis, mais cela peut aussi laisser la personne isolée si la relation amoureuse vient à prendre fin. Bien que certaines femmes neurotypiques fassent elles aussi de leur partenaire le centre de leur réseau social, cette tendance est plus marquée chez les femmes autistes.

Les personnes autistes ont parfois du mal à comprendre la signification implicite d’une conversation ou les attentes sociales de leurs amis, ce qui peut affecter l’amitié (7). Par exemple, une femme raconte qu’une amie lui a demandé: « Cette robe me grossit-elle? » « Ne sois pas stupide, c’est ton embonpoint qui te fait paraître grosse, pas la robe », a-t-elle répondu.

Les difficultés qu’ont les femmes autistes à comprendre les motivations d’autrui peuvent aussi les rendre vulnérables, en particulier dans le domaine des relations amoureuses et sexuelles. Davantage que les neurotypiques, ces femmes ont tendance à prendre ce qu’on leur dit au sens littéral et à penser que leurs interlocuteurs ont de bonnes intentions. « Je pensais vraiment que nous allions juste prendre un café, et ce n’était absolument pas ce qu’il avait en tête », nous disait une femme. Cette tendance pourrait expliquer pourquoi, lorsque nous les avons interrogées, ces femmes ont davantage fait état d’agressions sexuelles que ne l’ont fait les femmes neurotypiques.

Toutes les participantes à notre étude nous ont dit qu’avec l’âge elles progressaient dans leur connaissance d’elles-mêmes et prenaient de l’assurance. Il en résulte qu’elles sont de plus en plus satisfaites de leurs relations amicales, peut-être parce qu’elles ont appris comment mettre fin à des relations néfastes et à se concentrer sur des amitiés authentiques. Une femme autiste expliquait: « Aujourd’hui je choisis avec davantage de soin les personnes avec lesquelles je passe du temps et auxquelles je fais confiance ». Peut-être un soutien ciblé offert précocement pourrait-il accélérer ce processus naturel.

 

Liz Pellicano est directrice du Centre for Research in Autism and Education au University College London.

Felicity Sedgwick est une étudiante de troisième cycle dans son laboratoire.

 

Références

  1. Antonucci T.C. Et H. Akimaya Sex Roles 17, 737-749 (1987)
  2. Berkman L.F. et S.L. Syme Am. J. Epidemiol. 109, 186-204 (1979)
  3. Gould J. et Ashton-Smith Good Autism Practice 12, 34-41 (2011)
  4. Aukette R. et al. Sex Roles 19, 57-66 (1988)
  5. Olson J.M. et al (1996). Expectancies. Dans E.T. Higgins et A.W. Kruglanski (Eds.), Social psychology: Handbook of basic principles (pp. 211-238). New York, NY: Guilford Press
  6. Crick N.R. et J.K. Grotpeter Child Dev. 66, 710-722 (1995)
  7. Mitchell P. et al. J. Child Psycho/. Psychiatry 38, 685-691 (1997)

 

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